Leader du Front de résistance nationale (NRF), Ahmed Massoud entretient la flamme d’une option politique alternative à celle des talibans. il n’a cessé de mobiliser les forces d’opposition et la communauté internationale pour démontrer que les talibans demeurent une menace pour le peuple afghan et la sécurité sur la scène internationale. Pour la Revue Politique et Parlementaire, Pascal Drouhaud a interviewé Ahmed Massoud le 12 juin 2025 Ahmed Massoud.
Depuis le déclenchement de l’Opération « Am Kelavi » (Lion dressé) » le 13 Juin 2025 par Israël visant à neutraliser les infrastructures et la chaine de décision contribuant au programme nucléaire à but militaire de l’Iran (1) , analyser les répercussions à la fois sur l’architecture de sécurité international et sur le plan régional est indispensable. L’Asie centrale en général, l’Afghanistan et le régime des talibans en particuliers sont directement concernés par la forme que prend le conflit en cours entre la République islamique d’Iran et l’Etat d’Israël.
Quelques heures avant le déclanchement des opérations, Pascal Drouhaud, Spécialiste en Relations internationales, ancien auditeur de l’IHEDN (2) s’est entretenu avec Ahmad Massoud sur la situation en Afghanistan et les perspectives d’évolution du régime des talibans. Naturellement, la situation dans la région du Golfe persique et les conséquences sur le régime iranien vont provoquer une onde de choc qui devrait replacer le régime des talibans et l’Afghanistan sur le devant de la scène internationale.
Ahmed Massoud mène sans relâche, un combat multiformes : dans la vallée du Panchir, sur le plan politique et dans le but de sensibiliser autant qu’informer une opinion internationale dont l’attention est captée par des théâtres de guerre et de tensions de première importance : l’Ukraine, la guerre entre Israël et sur la réalité du régime taliban. L’Afghanistan semble depuis 2021, reléguée au second rang autant que d’autres conflits comme celui qui se déroule au Soudan. Et pourtant !
En relançant l’Émirat islamique d’Afghanistan au lendemain de la chute du régime de l’ancien président pro-occidental Assaf GHANI, (3) , les talibans appliquent, jour après jour, les règles d’un Émirat islamique au cœur de l’Asie centrale, avec le regard favorable de plusieurs pays comme l’Iran et le Pakistan. Ahmad Massoud ne se résoud pas à voir son pays se transformer en « un pays le pays oublié des relations internationales sous tensions ».
Leader du Front de résistance nationale (NRF), Ahmed Massoud entretient la flamme d’une option politique alternative à celle des talibans. il n’a cessé de mobiliser les forces d’opposition et la communauté internationale pour démontrer que les talibans demeurent une menace pour le peuple afghan et la sécurité sur la scène internationale.
Entretien sur un foyer permanent de tensions en Asie centrale, l’Afghanistan
Revue Politique et Parlementaire – Le 15 août 2021, 20 ans après leur chute, les talibans ont réussi leur retour dans Kaboul, la capitale d’Afghanistan après avoir reconquis, à force d’alliances et de combats armés, l’Afghanistan. Le départ chaotique des forces internationales et la chute du régime de l’ancien Président Ashraf ont renforcé le sentiment d’une bascule irrémédiable. Les talibans ont-ils changé ?
Ahmed Massoud – En aucun cas. Ils n’ont absolument pas changé. Ils ne le peuvent pas, car le régime repose sur un fondement religieux absolu, qui ne laisse aucune place à une quelconque interprétation ou adaptation à la réalité sociale ou politique du pays.
Puisque pour eux tout vient de Dieu, il n’existe aucun cadre juridique, découlant d’un système législatif. Depuis leur retour en 2021, la dérive dans l’exercice de leur mainmise, est quotidienne.
Le triste exemple est celui concernant le rôle des femmes dans la société. Elles ont perdu leur accès à l’éducation, à travers l’école et naturellement, l’université. Même l’usage de la parole dans l’espace public est restreint, voire interdit. Ils ont par ailleurs la main sur certains trafics, notamment celui de la drogue, générant des ressources importantes .
RPP – Que font-ils pour consolider leur pouvoir ?
Ahmed Massoud – Ils tentent de consolider leur pouvoir militairement, en nouant des relations avec divers États, que ce soit en Asie, dans les pays arabes ou même en Occident. Ils emploient diverses tactiques. L’une d’elles consiste à prétendre combattre Daech, ce qui est totalement faux. Nous pouvons le prouver.
D’autre part, devant la communauté internationale, ils prônent deux options : le moins pire et le pire. C’est-à-dire « nous, les talibans », ou des groupes terroristes comme Daech. Dans ce cas précis, personne ne souhaite le pire. C’est leur meilleure protection tandis qu’ils accueillent des groupes armés pour nous combattre. Sur le plan social, ils empêchent les femmes d’avoir un rôle public.
Ils leur interdisent de sortir de chez elles après leur avoir interdit l’accès à l’éducation. Elles ne peuvent même pas apparaître à leurs fenêtres. Sur le plan politique, il n’y a plus aucune interaction avec la population permettant un minimum de représentation politique légitime. N’oublions pas que nous n’avons plus de constitution depuis 2021.
RPP – Pensez-vous que la communauté internationale a accepté les talibans ? L’Afghanistan est-il devenu le « pays oublié » des relations internationales ?
Ahmed Massoud – Je dirais, comme premier point d’explication, que la communauté internationale les a reconnus même si elle ne les accepte pas. Par ailleurs, le monde se concentre sur des crises actuellement encore plus importantes : l’Ukraine, le conflit entre Israël et le Hamas à Gaza. (depuis la réalisation de l’entretien, le nouveau conflit entre l’Iran et Israël) .
Je ne dis pas que c’est acceptable, mais j’essaie de comprendre la situation. Et pour l’instant, tant que l’Afghanistan ne devient pas une menace pour l’équilibre global, le régime profite du contexte pour consolider son emprise sur le pouvoir. Mais je suis convaincu que petit à petit, la question afghane reviendra sur le devant de la scène internationale.
Pour l’instant, les questions urgentes sont l’Ukraine et Gaza. Nous verrons ce qui se passera avec l’Iran et le cadre de son programme nucléaire. Je pense que tôt ou tard, après l’Ukraine, les États-Unis discuteront avec la Russie de l’Afghanistan et du cadre sécuritaire dans la région. Le Président Donald Trump a déclaré dès son retour vouloir « revisiter » le paysage géopolitique de la région. Cela signifie que tôt ou tard, l’Afghanistan retiendra à nouveau l’attention du monde.
RPP – Dans ce contexte, comment gérez-vous vos actions, tant sur le plan politique que militaire ?
Ahmed Massoud – La situation à laquelle nous sommes confrontés ne semble finalement pas si différente de celle qu’a connue mon père.
Rappelons-nous qu’après le retrait des troupes de l’ex-URSS d’Afghanistan en 1989, la communauté internationale avait « oublié » mon pays. Il semblait même « effacé » tant l’urgence s’était reportée sur l’Europe centrale et orientale, et la gestion de l’après URSS.
La chute du mur de Berlin en Novembre 1989, la désintégration de l’ex-URSS, la reconstruction des années 1990, la consolidation du commerce mondial : autant de sujets et de faits qui ont conduit à l’oubli de l’Afghanistan, qui était redevenu dans les années 1980, un front de la guerre entre l’Ouest et l’Est. Dans les années 1990, l’Afghanistan semblait oublié, malgré l’arrivée au pouvoir, des talibans, la consolidation de leur position et l’installation d’un régime fondamentaliste apparu soutenant notamment Al-Qaïda. C’est après l’assassinat du Commandant Massoud le 9 septembre et les attentats contre les États-Unis que l’Afghanistan est revenu au cœur de l’actualité mondiale.
Je fais attention notamment, à ce qu’il se passe actuellement en Syrie. Ahmed Al-Charaa a pris le pouvoir après la défaite et le départ de Bachar Al-Assad en Janvier 2025. Il était à la tête de groupes tels que le Front Al-Nosra et Haya Tahrir Al-Cham. Mais, dès son arrivée à Damas, il a déclaré qu’il allait travailler, dirigeant le pays avec son gouvernement pour le bien de la Syrie. Il a créé une forme de normalisation de la situation, évoquant un avenir national fondé sur des élections et le dialogue. Autant d’aspects qui contribuent à susciter le soutien national et à rassurer la communauté internationale. Cela ne semblait pas si évident et pourtant, des mois après le changement radical à la tête de la Syrie, Ahmed Al Charaa est installé au pouvoir.
Les talibans, quant à eux, font exactement le contraire. Conscients du désintérêt de la population, ils se radicalisent encore davantage. À leur retour en 2021, ils ont pris le contrôle du pays. Aujourd’hui, ils persécutent de nouveau, ceux qui s’opposent à eux. Il ne se passe pas un jour sans qu’un mort ou une disparition ne survienne.
En dictant le bien et le mal, en décidant de ce que les gens doivent penser, de leur foi, ils suscitent une réaction populaire. En fin de compte, ils imposent malgré eux, une méthode de résistance et de lutte. Je suis convaincu que peu à peu, la population prend conscience de ce que signifie, le régime taliban. Même si des pays comme le Pakistan ont des relations importantes avec eux, les méthodes des talibans nuisent directement à l’économie pakistanaise et à sa croissance. Soutenir le régime taliban coûte plusieurs points de pourcentage de son produit intérieur brut (le PIB de l’Afghanistan est de 17 milliards de dollars en 2023 // Pakistan : 339 milliards de dollars). Toute cet ensemble me fait penser que tout n’est qu’une question de temps. Créer de l’espoir, continuer à expliquer et construire une alternative, est essentiel.
RPP – Qu’attendez-vous de la communauté internationale, et notamment des États-Unis ? La seconde administration du Président Trump peut-elle avoir des conséquences sur l’Afghanistan ?
Ahmed Massoud – Absolument. Il faut savoir que l’éventualité d’un nouvel accord avec l’Iran aura automatiquement des conséquences pour l’Afghanistan. Si l’Iran a soutenu les talibans, c’est à cause de l’hostilité entre Téhéran et Washington. Un Iran fort signifie un endurcissement du régime taliban. A l’inverse, les talibans pourront être affaiblis.
RPP – Quel est le rôle du Qatar ?
Ahmed Massoud – L’État du Qatar est un pays très important pour nous. Aujourd’hui, le Qatar a un rôle essentiel : il peut amener les talibans à adopter une attitude responsable. L’évolution d’Ahmed Al Charaa en Syrie depuis son arrivée au pouvoir, démontre que c’est possible.
RPP – Vous avez dit que vous combattiez 21 groupes en Afghanistan. De quoi s’agit-il ?
Ahmed Massoud – Exactement. Ce ne sont pas seulement les talibans qui ont créé en Afghanistan une situation qui est devenue un lieu privilégié pour le développement des groupes terroristes. Mais également Al-Qaïda, Tehrik-i-Taliban Pakistan (TTP), ITPK, etc.
Ayman Mohamed Rabie Al Zawahiri, chef d’Al-Qaïda de 2011 jusqu’à sa mort le 31 juillet 2022, a été éliminé à Kaboul, dans la « zone verte » même, dans le quartier de Sherpur, le quartier le plus huppé de la capitale. Comment expliquer cette réalité ? À cause de ses liens avec le régime taliban. Comment imaginer qu’il vivait dans le quartier le plus sûr de la capitale ? Al-Qaïda et Daech existent en Afghanistan, entre autres, sans l’approbation et le soutien total du régime. Nous les combattons également.
Je crois en notre jeunesse, en cette volonté de nos peuples de parvenir à un cadre meilleur. Cet esprit volontaire est un autre élément que nous avons en commun, dans un environnement international en pleine évolution, et exige que nous construisions de nouveaux cadres de coopération.
Pascal Drouhaud
Spécialiste en relations internationales
Auteur de nombreux articles sur les questions de défense