Pour qui suit l’actualité des relations internationales avec une pensée géoéconomique globale, un paradoxe s’impose : jamais l’ordre mondial n’a été autant mis à rude épreuve sur l’enjeu des interdépendances économiques et de la sécurité nationale. Certains pays tentent d’utiliser leur puissance économique pour imposer leur volonté. Dans mon ouvrage Rivalité sino-américaine en Indo-Pacifique, j’expose la question stratégique qui se pose à chaque puissance : où allons-nous dans l’art d’affirmer notre mercantilisme ? Cette question a été abordée lors de nombreux entretiens avec des responsables politiques et du secteur privé japonais et européens.
Comprendre la géoéconomie comme enjeu de croissance
Le 23 juillet 2025, le Japon et l’Union européenne annoncent la création d’un cadre d’« alliance » pour renforcer la compétitivité de leurs entreprises en matière de coopération commerciale et de sécurité économique. Ce partenariat survient en réponse aux tarifs douaniers de l’administration Trump, et inclut la mise à jour du projet Japan-EU Competitiveness Alliance.
À une époque marquée par une rivalité croissante entre les États-Unis et la Chine, la sécurité économique devient un sujet de plus en plus central. Ce concept se concentre sur la résilience des infrastructures et des chaînes d’approvisionnement, en particulier dans des secteurs comme les semi-conducteurs, les minerais rares, et la protection des technologies de pointe. Le Japon, pionnier en la matière, adopte une posture défensive face aux défis économiques. Cependant, ce concept continue d’évoluer. Dans ce contexte, une approche globale est plus efficace qu’une réponse fragmentée. Il est crucial de mettre l’accent sur la croissance : la sécurité économique doit avant tout viser à soutenir la prospérité en développant des partenariats industriels solides.
Le 23 mai 2025, le président Trump signe des décrets pour revitaliser l’industrie nucléaire américaine, notamment face aux technologies chinoises et russes dominantes dans la conception de réacteurs. Ce contexte conduit à un partenariat renforcé entre le Japon et l’UE pour diversifier les chaînes d’approvisionnement en minéraux rares et mettre en place des mécanismes de sécurité nucléaire. L’accord entre le Japon et l’UE inclut des mesures telles que la mise en place de mécanismes pour réduire les risques d’investissement, ainsi que des réglementations transparentes sur la sécurité nucléaire, incluant la gestion des déchets et le démantèlement des installations. Dans ce contexte de tensions géopolitiques croissantes, cette stratégie s’étend également au « Sud global », avec un engagement vers les économies émergentes. L’Union européenne, pour sa part, est déterminée à renforcer sa coopération au sein d’un vaste accord transpacifique, impliquant des pays comme le Japon, le Royaume-Uni et d’autres, pour renforcer la sécurité économique à l’échelle mondiale.
Un monde d’alliances
Le rôle de la France, bien que crucial dans certains secteurs technologiques, est davantage subordonné à une dynamique collective européenne. Au-delà de la cohésion européenne, l’alliance tripartite entre le Japon, le Royaume-Uni et l’Italie modèle de nouveaux écosystèmes, notamment dans la défense, avec des plateformes technologiques et des laboratoires de recherche industrielle.
L’inauguration à Reading du siège du projet GCAP (Programme mondial d’avions de combat) met en lumière cette collaboration trilatérale. Ce projet vise à développer un avion de chasse furtif, symbole d’une coopération industrielle entre le Royaume-Uni, le Japon et l’Italie, renforçant leur autonomie stratégique. Cette coopération permet de structurer l’innovation et le développement des capacités industrielles, avec un objectif de renforcer les infrastructures de défense de ces trois nations. La collaboration public-privé, visible dans ce programme, est un exemple de la manière dont les pays alliés peuvent structurer des partenariats durables.
Newcleo peut-elle s’imposer comme le leader de la renaissance nucléaire à l’échelle mondiale ?
L’arrivée des GAFAM dans l’industrie nucléaire reflète un retour de la géoéconomie, marquant un changement dans la leadership du marché. L’exemple de Newcleo, une startup développant des réacteurs modulaires avancés, incarne cette nouvelle dynamique. Elle se distingue en abordant non seulement la production d’énergie nucléaire, mais aussi le recyclage des déchets nucléaires, un enjeu crucial pour l’industrie de demain.
Les petits réacteurs modulaires (PRM) offrent un modèle économique viable, capable de rivaliser avec les grandes centrales en termes de coûts et de temps de construction. Ces réacteurs compacts peuvent être installés dans des zones isolées ou offshore, réduisant les besoins en infrastructures terrestres. Le modèle PRM présente des avantages non seulement pour les pays développés, mais aussi pour les économies émergentes, en permettant un accès plus rapide et moins coûteux à l’énergie nucléaire. La demande croissante de centres de données, notamment en Asie, propulse l’intérêt pour ces technologies.
Cependant, la souveraineté énergétique ne repose pas seulement sur la maîtrise technologique, mais aussi sur la gouvernance. Les entreprises doivent collaborer plus étroitement avec les gouvernements pour accélérer l’adoption des technologies nucléaires avancées. Le rôle central des startups comme Newcleo dans cette transition est crucial pour rendre les réacteurs nucléaires plus accessibles et compétitifs. La rentabilité reste un enjeu majeur. Pour attirer les investissements privés, il est impératif de démontrer la stabilité et la demande à long terme pour les infrastructures nucléaires. Ce défi est particulièrement visible en Asie, où la demande d’électricité continue de croître à un rythme soutenu.
Sur fond de réalité
L’industrie nucléaire, longtemps dominée par de grands acteurs étatiques, connaît un renouveau grâce à des startups comme Newcleo, qui redéfinissent les modèles économiques et les solutions techniques. À l’échelle mondiale, la coopération entre le Japon, le Royaume-Uni et l’Italie représente un acteur stratégique de cette renaissance. Il s’agirait d’une nouvelle initiative, à l’échelle internationale, visant à inscrire la création d’un nouveau consortium comme un des points à l’ordre du jour du Sommet du groupe des Sept (G7) qui se tiendra à Evian en 2026. Outre la mention de ce sujet dans le communiqué principal, les dirigeants du G7 publieraient une déclaration distincte sur la sécurité économique, avec l’expression que « l’avenir appartient à ceux qui ont l’énergie de l’imaginer et de le construire ».
Herve COURAYE
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(1) Hervé Couraye, « Rivalité sino-américaine en Indo-Pacifique » VA Éditions, 2023, disponible en ligne : Hervé COURAYE – Boutique (va-editions.fr)