La première présidence de Donald TRUMP nous avait sidéré, les débuts de sa seconde présidence nous terrifie. Tout autant par ses décrets de politique intérieure que par ses droits tarifaires mondiaux. Ses décisions traduisent une personnalité niant l’universalisme et la rationalité et une stratégie de domination du monde par la force économique et la peur plutôt que par la raison et le droit.
Il incarne parfaitement la célèbre formule « quand on sait où il va, on ne sait plus où il est et inversement ; si on comprend ce qu’il veut, on ne sait pas ce qu’il va faire et quand on comprend ce qu’il fait, on se demande où il va ». Il a engagé la désaméricanisation du monde et l’on devrait sans féliciter si seulement l’on savait où cela va nous conduire.
Comme le soulignait l’essayiste Georges Van Heven « si en chinois le nom Trump signifie argent et en allemand triompher, en vieux français ce serait rusé et dans la bible trompettes ! » tout un programme… Mais au lieu de nous lamenter, ne devrions-nous pas nous réjouir ?
La crise des tarifs douaniers et le repli militaire des Etats-Unis, pour brutaux qu’ils soient, ne sont-ils pas salutaires pour notre Europe. Une nouvelle chance ne s’offre-t-elle pas à notre continent ? En effet, nous vivions avec l’assurance d’un parapluie nucléaire américain dont le prix était un marché dollarisé.
Cette vassalisation militaire, économique, culturelle, technologique et numérique, subie depuis 1945, ne touche- t-elle pas à sa fin grâce à une Amérique en grande difficulté budgétaire, économique et en grand fracas social et sociétal ? Pour les européens, la secousse est forte mais elle doit, enfin, sonner notre réveil et nous donner un nouvel élan.
Pourquoi ne pas prendre comme exemple la Chine et ses routes de la soie recrées par Xi Jiping, en 2013, en fait « six corridors » visant la Russie, la Turquie, le Pakistan, l’Afrique et l’Europe.
Dans le seul secteur maritime, l’Union européenne en a subi les conséquences avec les prises de participation majoritaires dans les ports du Pirée, en Grèce, d’Anvers en Belgique, de Fos et du Havre, en France, de Valence en Espagne et Hambourg en Allemagne. Ce dernier assurant aujourd’hui 40% du trafic entre l’Europe et l’Asie. Sur 20 grands sites à containers dans le monde, 9 sont chinois…
Et que dire des secteurs automobile, pharmaceutique et de l’acier !
Face au » protectionnisme Trumpien » et à la tenaille mortelle américano-chinoise, n’est-il pas temps pour l’Europe de multiplier ses zones d’influences ? Au-delà du Canada, quatre zones pourraient bénéficier des produits et des investissements européens : l’Inde, l’Amérique du Sud, le Moyen Orient et l’Afrique, zones d’échanges auxquelles nous lient des liens anciens. Prenons l’exemple de l’Afrique où vivent 1,2 milliards d’habitants aux portes de notre Europe.
En janvier 2021 y a été créée la zone de libre échanges continentale africaine ( ZLECAF) qui doit, à l’objectif 2036, supprimer sur ce continent 90% des droits de douane sur les biens et services échangés entre tous les pays. Alors qu’attend l’Union européenne pour accélérer ce processus et créer une zone de libre-échange couvrant les deux continents ?
Jean Louis Guigou* avec la Fondation « Afrique-Méditerranée-Europe, suivant l’exemple des « verticales » américaines et asiatiques (ensemble économique d’un même continent) avait anticiper cette évolution.
Une Union européenne-Union africaine voilà le premier défi à relever, sachant que la Méditerranée et l’Afrique sont des espaces d’échanges naturels. D’autant que les Américains sont, sauf militairement, depuis la mandature de Bill Clinton absents sur ce continent et que Trump vient de supprimer leur seule présence avec la dissolution de l’USAID* (40 milliards de dollars en 2024). Un traité de coproduction, une Charte de valeurs, une Banque Intercontinentale (BIAME) assurant la sécurité des investissements et la mobilité des capitaux, une instance de coordination (Commission Africano-européenne) représentant les 55 Etats africains, les 24 Etats Caraïbes et Pacifique (ACP) en association, par traité avec l’Union européenne dans le cadre du Fonds européen de développement (FED) et les 27 Etats européens soit 106 pays sur les 193 membres que compte l’ONU).
Les thématiques prioritaires abordées dans cet espace européo-africain seraient, par exemple, la sécurité alimentaire, la transition énergétique, la santé, l’éducation, les flux migratoires, les infrastructures, la défense et le numérique.
En 2050, il faudra nourrir, loger, vêtir 2,4 milliards d’habitants en Afrique, continent qui, au-delà de ses richesses minières et agricoles, disposera d’une richesse humaine exceptionnelle avec, parmi sa population 70% des 18-25 ans de la planète terre. Bref, en 2050, il y aura plus de jeunes en Afrique que dans le reste du monde. N’est-il pas temps pour l’Europe de considérer l’Afrique comme un avenir et non plus comme un boulet migratoire ?
Face au « tango américain » et à l’obligation pour Pékin de trouver de nouveaux débouchés à ses produits en visant notamment le marché européen, l’Europe se doit de créer de nouveaux espaces d’échanges « mutuellement gagnant » pour les différentes parties qui y participeront.
Soyons enfin audacieux et inventifs ! Il n’est que temps.
Michel SCARBONCHI
Ancien Député européen
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* Jean louis Guigou, ancien Directeur de la Datar
*USAID, Agence des Etats-Unis pour le développement international
*ACP, Afrique-Caraïbes-Pacifique Accords d’association avec l’Union européenne, dit de accords de Cotonou depuis 2000