Les justiciables ultramarins font face, chaque jour, à une inégalité d’accès à la justice aussi insupportable qu’inacceptable. Cette injustice profonde est avant tout le fruit d’un agrégat d’ignorances volontairement mises sous le tapis. Cette méconnaissance est structurelle, elle invisibilise une richesse linguistique, des particularités géographiques, des pratiques culturelles. Ce faisant, elle laisse les injustices prospérer, et en cela, elle ne peut plus être ignorée.
Dans nos territoires ultramarins, l’accès au droit est pavé d’obstacles. Et ce, malgré l’intensité des violences qui y sévissent. En 2023, les outre-mer représentaient, à l’échelle nationale, 25 % des atteintes aux personnes, 30 % des homicides et tentatives d’homicide et plus de 50 % des vols à main armée. Les violences intrafamiliales y sont deux fois plus nombreuses. Le narcotrafic y prospère : la zone Antilles-Guyane concentre à elle seule 50 % de la cocaïne saisie chaque année en France. À cela s’ajoutent des trafics annexes et une prolifération alarmante des armes à feu, avec des taux de tentatives d’homicide qui explosent.
Face à cela, la réponse judiciaire reste parcellaire, lacunaire, parfois absente. L’accès au droit est entravé par la fracture numérique, l’illectronisme, le manque d’infrastructures routières, la rareté des juridictions, la faiblesse des moyens humains et matériels. Les audiences par visioconférence se généralisent, sans prise en compte des problèmes de connexion et d’accès à l’électricité dans des zones souvent mal couvertes. Les justiciables, les avocats et les magistrats se heurtent à des distances considérables, à des frais élevés non pris en charge, à une logistique coûteuse et dissuasive.
Des initiatives existent – pirogues du droit en Guyane, JustiBus en Martinique – mais elles restent à la marge, précaires, et sous-financées. L’aide juridictionnelle, quant à elle, ne tient aucun compte des surcoûts liés aux réalités géographiques ultramarines. Cela témoigne d’un mépris structurel, d’un aveuglement administratif, d’un défaut criant de reconnaissance.
Et que dire de la langue ? Le français n’est pas la langue maternelle de tous. Nos territoires ultramarins sont multilingues : ils réunissent 54 des 75 langues reconnues comme « langues de France », dont la plupart sont parlées par les populations autochtones de ces territoires. On recense ainsi neuf langues polynésiennes, vingt-huit langues kanak en Océanie ou encore six langues amérindiennes en Guyane. Pourtant, les politiques publiques à l’œuvre dans le milieu judiciaire persistent à négliger cette richesse, en omettant d’introduire une traduction systématique des documents, de former des interprètes, ou de garantir une médiation linguistique digne de ce nom. Trop souvent, c’est l’avocat, le juge, ou un proche du justiciable qui fait office d’interprète. Une absurdité, un risque, une indignité.
Ce traitement différencié alimente le sentiment de relégation. La défiance envers l’institution judiciaire y trouve une de ses causes majeures.
Nous ne demandons pas des faveurs. Nous demandons l’équité.
Pas une égalité abstraite que garantirait sur le papier un copier-coller de normes hexagonales. Une équité réelle, tangible, effective et donc, adaptée.
C’est pourquoi j’ai déposé une proposition de résolution visant à créer une commission d’enquête parlementaire sur l’accès à la justice dans les outre-mer. Elle sera inscrite à l’ordre du jour de la prochaine niche de mon groupe parlementaire ([Gauche Démocrate et Républicaine] le 5 juin prochain.
Une fois créée, cette commission devra donner à voir des réalités invisibilisées, dresser un état des lieux précis des inégalités, mais surtout formuler des propositions concrètes, adaptées à la réalité unique de chacun de nos territoires.
Il en va de la cohésion nationale, de la confiance démocratique, et de la dignité des citoyens.
Parce qu’une justice maltraitée devient une justice maltraitante, nous avons le devoir, ici et maintenant, de faire place aux réalités locales et culturelles de nos territoires ultramarins au sein du fonctionnement de la justice française.
Davy Rimane
Député DVG de Guyane
Président de la délégation aux Outre-Mer de l’Assemblée nationale
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