Petit pays pauvre d’Amérique centrale avec une superficie de 130 000 km² et une population de 7 millions d’habitants, le Nicaragua est dirigé d’une main de fer depuis 2007 par le Président Daniel Ortega et son épouse excentrique, Rosario Murillo, devenue Vice-présidente en 2017.
En début d’année, le régime sandiniste vient de remanier en profondeur la « Constitution politique » du pays datant de 1987 et d’acter une concentration extrême des pouvoirs entre les mains du couple présidentiel[1]. Cette réforme institutionnalise un régime autocratique qui viole chaque jour un peu plus les droits humains et les fondements d’un l’État de droit en lambeaux[2]. En outre, elle amplifie l’emprise du pouvoir exécutif au point de donner au régime les traits d’un régime totalitaire.
I°/ La stratégie du légalisme autocratique
L’évolution du régime sandiniste entre 2007 et 2024 transforme peu à peu, dans un premier temps, la jeune démocratie nicaraguayenne en une démocratie illibérale[3], puis en une véritable dictature dans un second temps[4]. Ce processus est favorisé par le recours au légalisme autocratique.
Inventeur de la notion, le Professeur Corrales explique que le « légalisme autocratique comporte trois éléments clés : l’utilisation, l’abus et le non-usage de la loi au service du pouvoir exécutif »[5]. Au Nicaragua, ce « détournement de la loi » commence dès le retour au pouvoir de Daniel Ortega en 2007 : avec une Assemblée nationale acquise à sa cause, le chef de l’État étend son pouvoir et réduit ses opposants en usant de la loi, en en abusant et même en l’ignorant selon les cas.
Ce légalisme autocratique trouve donc son apogée dans la réforme votée le 30 janvier. Elle concerne 93% des dispositions de la Loi fondamentale et élève au rang constitutionnel diverses dispositions législatives ayant restreint les droits humains et sapé les fondements de l’État de droit au fil des années : suppression de la limitation du nombre de mandats dans le temps (article 147)[6] ; interdiction aux organisations religieuses et aux médias d’avoir des liens financiers avec des entités étrangères (articles 21 et 62)[7] ; défense de diffuser des « fausses nouvelles » sur internet, une manière déguisée de bâillonner la liberté de la presse (article 62)[8] ; déchéance de nationalité pour les citoyens considérés comme des « traîtres à la Patrie » (articles 1 et 24)[9], …
II°/ La consécration d’une dictature matrimoniale
La révision constitutionnelle de 2025 renforce le caractère autoritaire, sinon absolutiste, du régime sandiniste :
- la fonction de chef de l’État devient bicéphale avec effet immédiat par l’instauration d’une coprésidence (article 121) : désormais, la présidence de la République est exercée, à parts égales, par « un coprésident » et par « une coprésidente » ; la Vice-présidente Rosario Murillo a ainsi accédé le 18 février à la présidence, sans avoir eu besoin de passer par la voie des urnes ;
- le mandat présidentiel passe instantanément de 5 à 6 ans (article 123) et rallonge ainsi l’actuel mandat d’une année, reculant les prochaines élections à 2027 ;
- il est mis fin au principe de séparation des pouvoirs puisque désormais, outre la direction du gouvernement, la présidence de la République « coordonnera les organes législatifs, judiciaires, électoraux, de contrôle, régionaux et municipaux » (article 120) ;
- l’État policier est constitutionnellement renforcé par la création d’une « police volontaire », une sorte de milice auxiliaire de la police nationale qui est composée de citoyens volontaires, cagoulés et armés (article 92).
Ceux qui s’opposent au couple Ortega-Murillo deviennent les ennemis du régime, à l’image des étudiants ou des représentants de l’Église catholique[10].
III°/ Une nouvelle architecture constitutionnelle totalitaire
La nouvelle version de la Constitution contient les prémices d’un régime totalitaire[11]. Elle comporte désormais plusieurs caractéristiques de ce système politique :
a°/ L’idéologie officielle du régime se traduit dans l’article 3 selon lequel l’État se fonde « sur des valeurs chrétiennes, des idéaux socialistes et des pratiques de solidarité » ; de plus, le Nicaragua est aussi « un État révolutionnaire, libre, souverain et indépendant » (article 13) ; en outre, la notion de « pluralisme politique » disparaît (ancien article 5 supprimé). Enfin, Rosario Murillo donne très tôt une dimension ésotérique au pouvoir sandiniste : elle joue sur les croyances populaires et déclame quotidiennement des discours, teintés d’une philosophie mystique, pour légitimer l’emprise familiale sur les institutions gouvernementales[12].
b°/ Le monopole de l’activité politique est bien exercé par le Front sandiniste de libération nationale codirigé par Daniel Ortega et Rosario Murillo. Et désormais (article 49), les partis politiques doivent intégrer, dans leurs statuts, les « principes fondamentaux » de l’idéologie sandiniste.
c°/ Le monopole des médias transparaît dans l’article 62 selon lequel l’État vérifie ce qui doit être publié : cela proscrit toute liberté de la presse. Dans les faits, il n’existe plus de journalisme indépendant au Nicaragua : tous les organes de presse ont fini par se réfugier au Costa Rica pour échapper aux persécutions.
d°/ L’économie va être pilotée par les pouvoirs publics : la présidence de la République est compétente pour « diriger l’économie du pays en déterminant la politique et le programme économique et social » (article 125).
e°/ Un système de forces armées, qui organisent la terreur, est assumé dans plusieurs dispositions qui accentuent l’État policier : la création de la « police volontaire » déjà évoquée (article 92), la possibilité pour la présidence de la République de suspendre les droits et garanties des individus pour un temps déterminé (article 171).
En définitive, le récent changement constitutionnel parachève un long processus de dé-démocratisation : « le système […] n’est pas identique à celui de Cuba ou de la Chine. Il ressemble davantage à celui de la Corée du Nord, où le pouvoir est héréditaire et absolu. »[13]. Face à ce projet régressif, Volker Turk s’était inquiété que la réforme sonne « le glas des libertés fondamentales »[14]. Mais, l’objectif recherché par le couple présidentiel était bien de maintenir la population sous son joug tyrannique.
David Biroste
Docteur en droit public, Vice-Président de l’association LATFRAN (latfran.org)
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[1] Sans autre précision, les articles cités sont ceux de la Constitution actuellement en vigueur : loi n° 1234 du 30 janvier 2025 sur la réforme partielle de la Constitution politique de la République du Nicaragua (La Gaceta, 18 février 2025).
[2] Frédéric Saliba, « Comment le couple Ortega a fait main basse sur le Nicaragua », Le Monde, 6 novembre 2021 ; Anne Cantener, « Nicaragua : ʺUn contrôle total de la population à travers des violations généralisées des droits de l’hommeʺ », RFI, Journal d’Haïti et des Amériques, 26 février 2025.
[3] Fareed Zakaria, « The Rise of Illiberal Democracy », Foreign Affairs, Novembre-Décembre 1997.
[4] Pascal Drouhaud et David Biroste, « Nicaragua, le méthodique abandon démocratique », Revue Défense Nationale, n° 879, Avril 2025, p. 121.
[5] J. Corrales, « Autocratic Legalism in Venezuela », in Dossier « The Authoritarian Resurgence », Journal of Democracy, Avril 2015, Vol. 26, N° 2, p. 38 ; Kim L. Scheppele, « Autocratic Legalism », UCLR, Mars 2018, Vol. 85, N° 2, p. 545.
[6] Loi constitutionnelle n° 854 du 29 janvier 2014 (La Gaceta, 10 février 2014) ; Kai M. Thaler, « Nicaragua: A Return to Caudillismo », Journal of Democracy, Vol. 28, N° 2, Avril 2017, p. 157.
[7] Loi n° 1040 du 15 octobre 2020 sur la régulation des agents étrangers (La Gaceta, 19 octobre 2020).
[8] Loi n° 1042 du 28 octobre 2020 sur les cyber-délits (La Gaceta, 30 octobre 2020) ; Catherine Duthu, « Au Nicaragua, pouvoir absolu du couple présidentiel Ortega-Murillo », France Culture, 15 janvier 2025.
[9] Loi n° 1055 du 21 décembre 2020 sur la « défense des droits du peuple à l’indépendance, à la souveraineté et à l’autodétermination pour la paix » (La Gaceta, 22 décembre 2020).
[10] Delphine Lacombe, « Le Nicaragua sous la terreur du couple Ortega-Murillo », Journal des anthropologues, N° 154-155, 2018, p. 307. ; Antoine Boddaert, « Nicaragua : un dictateur contre l’Église », Arte TV (Hikari), 6 décembre 2024.
[11] Sur les critères des régimes totalitaires : Carl Friedrich et Zbigniew Brzeziński, Totalitarian Dictatorship and Autocracy, Harper and Row, 1956 ; Juan Linz, Régimes autoritaires et totalitaires, Armand Colin, 1975 ; Claude Lefort, L’invention démocratique, les limites de la domination totalitaire, Éd. Fayard, 1981.
[12] Daniel Vittar, « Rosario Murillo, entre el esoterismo, la religiosidad y la extravagancia política », Clarin, 28 avril 2018.
[13] Felix Maradiaga, « The Totalitarian Consolidation in Nicaragua », Linkedin, 22 novembre 2024.
[14] Haut-Commissariat aux droits de l’homme, « Nicaragua : Volker Türk exhorte les législateurs à rejeter les modifications proposées à la Constitution », Communiqué de presse, 22 novembre 2024.