Le 12 juillet, dix-neuf personnes se sont réunies à Bougival pour tenter de résoudre la question du statut de la Nouvelle-Calédonie. Plusieurs choix symboliques marquent ce moment : on parle de « l’État de la Nouvelle-Calédonie », ou encore de « nationalité calédonienne ». Mais le plus important va au-delà du symbole : cet accord est une première application du principe de subsidiarité dans sa version ascendante. C’est un véritable choc de décentralisation des compétences. Le principe est simple : c’est aux collectivités les plus petites de déterminer elles-mêmes leurs compétences et celles qu’elles délèguent à l’échelon supérieur.
Le principe de subsidiarité est déjà inscrit dans notre Constitution, en ces termes : « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ». Dans ce cas précis, cela signifie que la Nouvelle Calédonie a vocation à exercer toutes les compétences, dès lors qu’elle les exerce mieux que Paris.
Toute la question, dès lors, est de savoir quelle institution est habilitée à évaluer si la Nouvelle Calédonie exerce mieux ses compétences que ne le ferait Paris. Si c’est Paris qui évalue les performances, alors la subsidiarité est descendante.
Si, en revanche, c’est à la Nouvelle Calédonie qui revient le droit d’évaluer à quel niveau les compétences sont le mieux exercées, alors l’interprétation de la subsidiarité est ascendante. Toutes les compétences, y compris les plus importantes, reviendraient donc à la Nouvelle Calédonie dès lors que celle-ci estimerait être plus performante que ne l’est Paris.
La nouvelle subsidiarité ascendante calédonienne
A ce titre, les accords de Bougival sont historiques car ils constituent une première tentative de mise en application du principe de subsidiarité ascendante. Désormais, c’est la Nouvelle-Calédonie, et non plus la France, qui pourra choisir les compétences qu’elle souhaite exercer, y compris les plus régaliennes : défense, monnaie, justice, armée. À sa demande, elle pourra récupérer ces pouvoirs. L’État français interviendra ensuite pour organiser le transfert, en en évaluant les implications juridiques et financières, mais sans pouvoir s’opposer au choix calédonien. En outre, la Constitution calédonienne – la Loi fondamentale – qui pourra être révisée unilatéralement par les institutions calédoniennes – fixera les principes de gouvernance et la répartition des compétences entre ces institutions.
C’est en ce sens que la subsidiarité ascendante simule la souveraineté : bien que soumise à la Constitution française, la Nouvelle Calédonie – par sa simple capacité à déterminer qui exerce le plus efficacement une compétence – peut s’arroger des pouvoirs semblables à ceux d’un état souverain, tout en ne l’étant pas.
Des règles figées qui limitent cette interprétation ascendante de la subsidiarité
Mais si la Nouvelle-Calédonie peut décider qui exerce quelle compétence, elle ne pourra pas décider comment elle le décidera. Les accords prévoient en effet des procédures précises : 60 % des membres du Congrès pour réviser la Loi fondamentale, 65 % du Congrès et une majorité des électeurs par référendum pour demander de nouveaux transferts de compétences régaliennes. Ces seuils sont élevés, ce qui peut se justifier par l’importance des décisions concernées. Mais surtout, ils sont inamovibles. Rien dans l’accord ne permet de changer ces règles, même à l’avenir.
Prenons un exemple : imaginons que 60 % des membres du Congrès souhaitent modifier la Loi fondamentale pour que toute révision future nécessite un référendum plutôt qu’un vote parlementaire. Cela ne serait pas possible, car la procédure elle-même est verrouillée par l’accord. Ce point, crucial pour la capacité à s’autoadministrer, est ici clairement une exception à l’interprétation ascendante de la subsidiarité calédonienne.
Il en va de même pour la définition de la nationalité calédonienne et du corps électoral, sujet particulièrement sensible. Savoir qui vote est une question centrale en démocratie. Or, même sur ce point, la Nouvelle-Calédonie n’aura pas la possibilité de réclamer la compétence de définir des règles électorales.
Un modèle à suivre de près et à élargir
En dépit de ces limites, toutefois, cet accord est ce qu’il y a eu de plus ambitieux en termes de confiance accordée aux territoires français. La subsidiarité ascendante part du principe que les territoires savent évaluer correctement ce qui peut être bien administré par eux, et ce qui doit l’être par l’Etat français.
Cette confiance, les territoires en ont besoin. A l’image de la Nouvelle Calédonie, la subsidiarité ascendante permet aux indépendantistes de poursuivre des voies légales pour s’approcher de l’indépendance, et aux loyalistes d’être assurés qu’aussi loin qu’ira l’autonomie calédonienne, celle-ci sera encadrée par la République française.
Le « tout ou rien » de la politique française dans ses territoires, qui a fait tant de mal à la Nouvelle Calédonie, pourra être dépassé par la souplesse que la subsidiarité ascendante donne, parce qu’il allie les avantages de l’indépendance sans ses défauts.
La prochaine étape sera l’inscription dans la Constitution de cet accord. Celle-ci pourra gommer les défauts de l’accord ou, au contraire, les accentuer. En fonction de cela, il faudra suivre de près l’expérience calédonienne car, en fonction de son succès, plusieurs autres régions de France seraient surement prêtes à adopter ce nouveau pacte républicain. Chiche ?
Raul Magni-Berton
Professeur de science politique (ESPOL), chercheur associé de GenerationLibre