À la suite des élections législatives des 11 et 18 juin 2017, force est de constater que la sociologie de l’Assemblée nationale a connu un changement notable. Les alternances plus classiques, entre la gauche et la droite, des scrutins antérieurs n’avaient pas eu un tel impact sur le personnel politique, au profil sociologique n’évoluant que très lentement1.
Comparé aux assemblées précédentes, le nouvel hémicycle est beaucoup plus féminin, rajeuni, tandis qu’un plus grand nombre de députés est issu du secteur privé (même si le secteur public demeure sur-représenté par rapport à son importance dans l’emploi). On ne peut toutefois pas parler de bouleversement ou de plus de diversité, d’autant plus que, contrairement aux apparences, beaucoup de nouveaux députés sont loin d’être des novices en politique. Beaucoup sont titulaires en effet de mandats locaux ou ont travaillé dans l’entourage d’élus. Certains ont également déjà candidaté à des élections législatives, mais n’avaient obtenu que de modestes scores avant de bénéficier du « label Macron »2. Surtout, l’élitisme social tend à se renforcer. Cela dit, on enregistre bien un taux de rotation des sièges de l’Assemblée qui est inégalé sous la Ve République.
Les ravages du « dégagisme »
En effet, l’assemblée élue en 2012, qui était dominée par le Parti socialiste (PS), s’est volatilisée lors des élections législatives de 2017. Seuls 148 sortants sur 569 ont conservé leur siège (le Palais Bourbon compte 577 sièges mais 8 sièges étaient vacants au moment du scrutin). Cela signifie que le taux de survie des députés de 2012 n’a pas dépassé 26 % – autrement dit un quart des parlementaires – contre 57 % pour les élus de 2007 ou ceux de 2002. Soit un taux de survie qui a été plus que divisé par deux et permet de prendre la mesure du « dégagisme » selon un néologisme apparu lors du printemps arabe de 2011 et largement utilisé par Jean-Luc Mélenchon et les militants de sa formation, La France insoumise (LFI), lors des élections de 2017. Mais ce processus s’est effectué non pas en faveur de ces derniers, mais d’une nouvelle formation, La République en marche (LREM), créée en 2016. Celle-ci obtient en effet 360 sièges avec ses alliés centristes du Mouvement démocrate (MoDem) qui en compte 47 sièges, tandis que le PS, qui comptait 290 sortants, n’en retrouve que 29, soit une chute jamais vue de 90 % des ses effectifs.
Précisions que 206 députés sortants ont été battus au premier ou au second tour des élections de 2017 et, par ailleurs, 223, anticipant une défaite probable ou privilégiant une fonction exécutive locale compte tenu de l’interdiction du cumul à partir de 2017 (ces deux raisons pouvant se conjuguer), ne se sont pas représentés. Là encore, ces chiffres sont éloquents et bien supérieurs à ce qu’on observait habituellement. En 2012, ce sont en effet 118 sortants qui avaient été battus et 89 qui ne se s’étaient pas représentés. Le nombre de défaites a donc augmenté de 75 % et le fait de ne pas candidater de nouveau de 151 % !3
Au total, jamais sous la Ve République, pas même en 1958, le Palais Bourbon n’a compté autant de primo-députés (parlementaires élus pour la première fois) : 422 (si on s’en tient strictement aux sortants) ou 415 officiellement (puisque parmi les nouveaux, quelques uns avaient siégé antérieurement sur les bancs du Parlement mais n’étaient pas à proprement parler des sortants). Le précédent « record » remonte à 1958, aux origines du régime : 310 nouveaux députés sur 576. Soit encore une bonne centaine de moins qu’en 2017. Suivent les alternances de 1993 puis de 1981 (graphique 1). Cela tend presqu’à relativiser le renouvellement du personnel parlementaire qui avait suivi l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, première alternance politique sous la Ve République. Le « changement » avait alors affecté 44 % des députés alors que celui qui a suivi l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République en concerne 72 %. Cela ressemble à une alternance de nature nouvelle, plus volatile, voire déstabilisante pour un régime qui, s’il a résisté a bien des vicissitudes et démontré sa souplesse, n’en reste pas moins la cible de critiques récurrentes.
Graphique 1 – Proportion de nouveaux députés par rapport au nombre
de sièges de l’Assemblée nationale (en % des députés)

La parité n’est plus une chimère
L’un des changements les plus visibles au sein du Palais Bourbon élu en 2017 est sa féminisation. Comme on le sait, longtemps la proportion des femmes au Parlement – tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat – a été négligeable. La politiste Catherine Achin l’a expliqué – non sans recourir à une tautologie subtile – par « la spécificité du fonctionnement du champ politique (qui) a conduit à construire et à reproduire les représentations du métier de député comme un métier d’hommes, longtemps interdit et toujours difficilement accessible aux femmes »4. Mais les élections de 2017 démentent pour la première fois, et assez superbement, cette analyse. Il est vrai que, plus de quinze ans après la loi du 18 juin 2000 « tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives », les premières demeuraient nettement sous-représentées au sein de toutes instances politiques. Mais leur nombre fait un bond au Palais Bourbon à la suite des élections de 2017 (graphique 2).
Graphique 2 – La proportion des femmes au Parlement
(en % des parlementaires)

En effet, 155 députées étaient dénombrées dans l’assemblée sortante (27 % de l’effectif) ; elles sont désormais 224 (39 %). À ce rythme de progression, la parité serait atteinte dès 2022. Encore faudra-t-il que LREM s’installe dans le paysage politique car la formation nouvelle est celle qui a favorisé cette féminisation. Le groupe des parlementaires LREM compte en effet 47 % de femmes. Les autres groupes font moins bien, voire beaucoup moins bien : 46 % de femmes au MoDem, 41 % pour LFI, 38 % pour le PS, 25 % pour le Front national (FN), 23 % pour Les Républicains (LR), 20 % pour le Parti communiste français (PCF) et sa poignée d’alliés ultramarins5, 17 % pour l’Union des démocrates et indépendants (UDI)6. Par rapport à 2012, ces chiffres sont stables pour le PS et le PCF. Ils sont légèrement en progression pour LR et, dans une moindre mesure, à l’UDI puisque, en 2012, l’UMP, rassemblant alors les députés des deux formations, comptabilisait 14 % de femmes au sein de son groupe politique de l’Assemblée nationale.
Autrement dit, le vecteur de cette féminisation a été une formation nouvelle, qui n’avait pas de sortants à préserver et, d’une certaine manière, en rupture avec les pratiques politiques antérieures et à la façon dont se construisent habituellement les carrières politiques, même s’il existe aussi certains parallèles et des ambiguïtés. A contrario, les « héritiers » des formations les plus anciennes – communistes et notables de l’UDI – demeurent les groupes politiques les plus masculins. Si l’on s’en tient aux seuls primo-députés, la parité est proche puisque 44 % de femmes sont recensés parmi ces derniers (contre 39 % en 2012).
Plus de jeunes, moins de sexagénaires
L’âge moyen des députés passe sous la barre des 50 ans, précisément de 54 ans, en 2012, à 49 ans, en 2017. Même si l’écart n’est que de quelques années, il est le plus fort jamais relevé sous la Ve République et il inverse une évolution constante à la hausse depuis les années 1980 suivie d’un plafonnement en 2012 (graphique 3). Cet âge moyen se révèle l’un des plus faibles de toute la Ve République (il était très légèrement inférieur à 49 ans en 1958 et 1981). Cela dit, au moins une assemblée a été moins âgée encore, celle élue en 1945 : l’âge moyen des députés n’était alors que de 45 ans.
Graphique 3 – Évolution de l’âge moyen des députés (1958-2017)

En 2017, la moyenne d’âge des femmes est moindre que celle des hommes : 48 ans contre 50 ans. Par contre, les primo-députés ne sont pas vraiment moins âgés – en moyenne – que l’ensemble des membres de l’Assemblée : un peu plus de 46 ans, soit juste deux ans d’écart, mais un recul de trois ans par rapport aux primo-députés de 2012. Ce sont les députés de LFI qui ont la moyenne d’âge la plus faible (43 ans). Suivent LREM (45 ans mais un écart important distingue les femmes et les hommes, respectivement 39 et 53 ans)7, le FN (47 ans), LR (52 ans), le MoDem (53 ans), le PS et le PCF (54 ans), l’UDI (56 ans). L’âge moyen des primo-députés par groupe politique recoupe ces moyennes sauf dans le cas de LR où il recule à 48 ans (cela vaut aussi pour les « Constructifs » qui sont une dissidence de LR constitués en un groupe politique autonome).
Par rapport aux élections de 2012, on note un recul des moyennes d’âge des communistes (61 ans en 2012) et de la droite, alors l’UMP (56 ans). Globalement, cela traduit que LREM n’est pas seul facteur de renouveau de l’Assemblée. Une cinquantaine de nouveaux députés ont été élus sous l’étiquette LR, plus d’une quarantaine sous l’étiquette MoDem (il est vrai dans le sillage de LREM). Le groupe communiste se trouve également largement renouvelé sans compter la formation du groupe LFI.
La répartition des députés par groupe d’âge montre bien un renforcement sensible de la place des moins de 40 ans (tableau 1). En 2012, seuls deux candidats de moins de 30 ans avaient été élus au Palais Bourbon. Ils sont une vingtaine en 2017, le FN conservant le benjamin de l’Assemblée : Marion Maréchal-Le Pen, 22 ans, en 2012 ; Ludovic Pajot, 23 ans, en 2017. Les trentenaires sont également deux fois plus nombreux. Le nombre de quadras augmente sensiblement aussi. En revanche celui des sexagénaires est divisé par deux, les élus les plus âgés ayant décidé de se retirer du Parlement mais conservant, bien souvent, des fonctions politiques locales. En 2012, François Scellier (UMP), 76 ans, était le doyen d’âge de l’assemblée. En 2017, il s’agit de Bernard Brochand (LR), 79 ans.
Tableau 1 – La répartition des députés par groupe d’âge
(en % des députés)

En termes de génération, l’Assemblée de 1945 se distingue de nouveau, comptant sensiblement moins de membres de plus de 50 ans que les Assemblées de la Ve République retenues ici. En fin de compte, une Assemblée plus jeune sera-t-elle effectivement réformatrice ou plus sensible au changement, que ses devancières – de droite comme de gauche – comme le soutenait Louis Chauvel en 20078? Il est clair que la génération post-1968, qui a dominé la vie politique des années 1970 aux années 2000, faisant échec aux tentatives de rénovation des organisations politiques classiques, s’est s’effacée à la suite des élections de 2017. Tous les ténors du PS des années 1980 sont désormais retirés ou n’exercent plus de rôle parlementaire9. De même, le nombre de cumuls de mandats de député dans le temps se réduit fortement. Cinq députés siègent toutefois sans discontinuer depuis la fin des années 1980, notamment l’ex-frontiste Jacques Bompard ou Olivier Dassault (LR). Mais, globalement, seuls 8 % des parlementaires (ou précisément 48) entament un quatrième mandat (ou plus). Ils étaient plus de 25 % à la suite du scrutin de 2012. Ce sont ces derniers qui seraient affectés par une réduction du cumul des mandats dans le temps à trois mandats consécutifs, selon une proposition récurrente formulée par François Hollande puis par Emmanuel Macron.
Plus de députés issus du secteur privé
La sociologie professionnelle des députés demeure difficile à établir précisément, notamment parce que les professions déclarées par les députés ou enregistrées par l’administration du Palais Bourbon sont floues, pour une large partie. Comment classer clairement les députés déclarés comme « autre profession » ou, parfois, simplement « autre » ? Quel classement opérer concernant la simple mention « profession libérale » ? Il n’est pas possible non plus de procéder à une répartition claire et exhaustive des députés entre « secteur public » et « secteur privé ». On observe également beaucoup de professions tels « chargé d’étude », « chargé de communication », « consultant », « conseil »… qui semblent parfois masquer la réalité : la professionnalisation politique. En effet, beaucoup de députés ont souvent un long passé professionnel dans les entourages politiques, les cabinets locaux ou ministériels, les services communication de collectivités locales… De même, bien des fonctionnaires territoriaux semblent en réalité exercer un métier politique auprès d’élus. Pour tenter de résoudre ces inconnues, nous nous sommes donc appuyés sur d’autres sources que les informations trop lacunaires, et parfois trompeuses, de l’administration de l’Assemblée nationale : recherche des professions de foi des candidats, consultation de leurs sites internet lorsqu’ils existent, de notices Wikipédia ou de la presse. On notera encore que quelques députés ont été élus si jeunes, ce dont l’Assemblée n’avait plus l’habitude, tels Robin Reda (LR) ou Ludovic Pajot (FN) qu’ils n’ont pas eu le temps d’achever leurs études et d’embrasser déjà une carrière professionnelle, autre que la politique professionnelle.
L’Assemblée élue en 2017 traduit-elle une rupture par rapport à celle de 2012 et serait-elle – sociologiquement – plus représentative de la population électorale ? Autant que l’on puisse préciser les choses, il apparaît plutôt une continuité et, selon le politiste Luc Rouban, la nouvelle Assemblée se révèle même plus élitiste qu’antérieurement. Ce dernier oppose une majorité – principalement LREM, LR, PS – « fortement diplômée et issue principalement du secteur privé » à une opposition « venant souvent de la petite fonction publique »10. Si l’on tente de détailler les diverses catégories socio-professionnelles (tableau 2), les « cadres » (dont les « professions intellectuelles supérieures », selon la dénomination et le classement de l’Insee) écrasent en réalité les autres catégories. Ces professions caractérisent quelque 70 % des sièges de l’Assemblée nationale, proportion en recul toutefois du fait d’un nombre plus important de chefs d’entreprise, professions libérales ou entrepreneurs individuels. Pour autant, il reste difficile à distinguer sérieusement entre cadres moyens et cadres supérieurs (là encore les fiches de l’Assemblée sont difficilement exploitables), à repérer les députés issus d’entourages d’élus, à faire clairement la part entre secteur privé et secteur public (même si on peut formuler des hypothèses). Une certitude peut être affirmée toutefois : l’hémicycle ne compte toujours aucun ouvrier (or on en compte encore 20 % de l’emploi). Par contre, on note une légère progression des employés et des professions intermédiaires (malgré tout très sous-représentés)11.
Tableau 2 – La répartition des députés par catégorie
socio-professionnelle (en % des députés)

Un focus peut être fait sur quelques professions pour mesurer les évolutions depuis 2012. Le nombre d’avocats (et autres professions juridiques) est en recul, passant de 7 à 5 %. Cela vaut aussi pour les professions médicales (principalement des médecins et des pharmaciens dont la proportion passe de 8 à 7 %, pour les professions de l’enseignement, de 17 à 14 % et, de manière plus significative encore pour les hauts fonctionnaires, de 8 à 3 %. Ces professions, autrefois nombreuses sinon dominantes au Parlement – on parlait de la République des avocats ou de celle des professeurs – tendent donc à s’en éloigner, cédant la place à d’autres profils issus de la politique professionnelle ou, en 2017, de l’entreprise, même si elles demeurent toutefois sur-représentées par rapport à leur importance dans l’emploi.
Tableau 3 – La répartition des primo-députés
par catégorie socio-professionelleet par groupe politique
(en % des primo-députés)

Quant aux entourages des élus (personnels de cabinet, assistants parlementaires, conseillers divers…), leur proportion régresse également, de 25 à 13 % (mais, comme déjà indiqué, cet exercice professionnel se dissimule bien souvent derrière la déclaration d’autres professions, relativement vague ou des emplois de la fonction publique territoriale). Il est donc loin d’être certain que cette dernière évolution soit conforme à la réalité. En revanche, les députés issus du monde de l’entreprise sont plus nombreux, même si, comme déjà dit et compte tenu des informations disponibles, les contours de ce monde demeure assez vagues mais il semble assez souvent celui des petites entreprises. Environ 44 % des députés seraient issus du monde de l’entreprise privée (en comptant les professionnels du droit, mais sans les médecins ou autres professions médicales dont on ne sait s’ils exercent en libéral ou dans le secteur public). Cela dit, on peut faire l’hypothèse que les professions médicales libérales représentent de l’ordre de 4 à 5 % des députés. En conséquence, un peu moins de 50 % des parlementaires seraient issus du secteur privé (le think tank libéral Ifrap a même estimé cette proportion à 53 %)12. C’est plus que dans les Assemblées antérieures (les députés issus du secteur privé composaient moins de 40 % du précédent hémicycle) mais le secteur public resterait assez sensiblement sur-représenté. D’après l’Insee, en effet, la part de l’emploi public dans l’emploi total est inférieur à 25 %.
L’étude peut également se concentrer sur les seuls primo-députés par groupe politique. LCI (aux effectifs faibles, ce qui fragilise tout de même cette statistique et toute comparaison) se distingue des autres groupes par son plus grand nombre d’employés et de professions intermédiaires et un peu moins de cadres. On ne trouve également dans ses rangs aucun avocat ou médecin. Les sociologies professionnelles LREM, LR (dont les « Constructifs ») et le MoDem sont assez proches. Pour autant, on trouve nettement plus de chefs d’entreprise au sein de LREM mais aussi un peu plus d’enseignants. LR se distingue par son plus grand nombre d’anciens assistants parlementaires ou collaborateurs d’élus, soulignant l’importance de la politique professionnelle pour accéder à un poste de député au sein de cette formation. Par secteur d’emploi, LREM est beaucoup plus tourné vers le « privé » que les autres groupes. Plus de 60 % de ses primo-députés en sont issus. Les proportions dépassent 50 % au MoDem et à LR, mais plafonnent à moins de 25 % à LFI.
Les élus locaux toujours majoritaires mais moins nombreux
L’accès massif à l’Assemblée nationale de députés issus de LREM, l’interdiction à compter de 2017 de cumuler un mandat parlementaire avec des fonctions exécutives locales, traduiraient-ils une rupture dans la construction des carrières parlementaires ? Longtemps, les députés issus des formations politiques classiques ont cumulé en effet leur mandat avec des fonctions locales et devenir député était souvent l’aboutissement d’un cursus honorum qui avait commencé par l’exercice de mandats dans le territoire avant de se poursuivre au Parlement, même s’il existe aussi des cursus inversés, des ministres ou hauts-fonctionnaires entamant sous la Ve République une carrière parlementaire après avoir au préalable exercé des fonctions nationales.
En fait, globalement, les élections de 2017 ne semblent pas véritablement traduire de rupture avec le système politique dominant. Une transition paraît toutefois s’opérer. Les membres de la nouvelle Assemblée, à tout le moins au moment de leur élection, sont toujours chargés de mandats locaux (tableau 4). Quelque 58 % des députés élus en juin 2017 disposent en effet d’au moins un autre mandat (parmi eux certains en détiennent même deux, voire trois). Cela dit, 42 % d’entre eux sont uniquement députés. Cette proportion évolue sensiblement depuis les élections de 2012. À l’époque seuls 16 % se trouvaient dans cette situation. Et lors du scrutin de 2007, ils n’étaient même que 7 %. On observe donc bien une évolution sensible. Mais plus de la moitié des députés demeurent toujours ancrés dans le système politique local au moment de leur désignation. On ne peut donc pas parler de la fin d’un système. Mais un changement paraît bien en cours. Il importe tout de même de rester prudent car, s’agissant des partis classiques, l’ancrage territorial paraît rester la règle (tableau 5). Au contraire, pour les députés issus des formations nouvelles, LREM et LFI, les candidats et élus au Palais Bourbon se révèlent beaucoup plus autonomes du système politique local, ce qui ne signifie pas qu’il n’existe pas de procédures de sélection moins apparentes.
Tableau 4 – Le nombre de mandats cumulés par les députés
lors de leur élection

Le tableau 5 montre clairement que les élus LREM et, plus encore, ceux de LFI, sont beaucoup moins chargés de mandats locaux que ceux de LR et, dans une moindre mesure, du MoDem (notons que ce dernier compte également dans ses rangs deux anciens eurodéputés que la statistique qui a été construite ne prend pas en compte puisque le terme de ce mandat était intervenu avant les élections législatives de 2017)13. Au total, c’est surtout à LR que perdure un cursus politique classique. Celui-ci implique un enracinement local, voire la conquête de la présidence de conseils départementaux ou régionaux (tous ceux détenant ce type de mandat au moment du scrutin de 2017 sont issus de LR), pour devenir « éligible » au Parlement. LR apparaît ainsi comme une sorte de conservatoire d’une hiérarchie des rôles entre territoires et Parlement. Cela dit, les députés appartenant aux autres groupes politiques, dont LREM et LFI, sont loin d’être des novices en politique. Ils sont au moins un tiers à détenir un mandat local, mais le plus souvent relativement modeste, de simple conseiller municipal. Beaucoup ont également un passé militant, dans diverses organisations. Luc Rouban a notamment calculé que quelque 60 % des candidats de LREM avait un passé politique : un tiers provient de la gauche, 15 % de la droite, 12 % du MoDem14.
Tableau 5 – Les mandats cumulés par les députés lors de leur élection

(1) Une seule personne est en fait concernée : Jean-Luc Mélenchon.
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Pour conclure, un renouvellement important et inédit du personnel parlementaire est intervenu lors des élections législatives des 11 et 18 juin 2017. LREM (313 députés) et, secondairement le MoDem (47 députés), incarnent ce changement. Le profil sociologique de ces nouveaux députés est toutefois loin de traduire une rupture par rapport au passé. Luc Rouban, déjà cité, défendrait plutôt la thèse d’une fuite dans un certain élitisme social qu’il convient sans doute de nuancer. Il faudrait analyser les critères de choix et les conditions dans lesquelles a travaillé la commission Delevoye qui a sélectionné les candidats LREM. D’aucuns ont montré aussi que la constitution de ce groupe de députés dépendait de réseaux préalablement existants autour d’Emmanuel Macron : les réseaux de Gérard Collomb dans la région lyonnaise, ceux de François Patriat en Bourgogne-Franche-Comté et, au-delà, dans le pouvoir local, certains réseaux socialistes dans l’Ouest, sans oublier les réseaux de François Bayrou, notamment en Nouvelle-Aquitaine, s’agissant des députés MoDem15. En fin de compte, Luc Rouban a tracé un portait-robot du nouveau député LREM exprimant le changement au sein de l’Assemblée nationale élue en 2017. Mais, si on le suit, le changement apparaît nuancé. À tout le moins il ne traduit pas la diversité attendue et ne résout guère une crise de la représentativité qui n’est pas neuve, même si le débat autour de celle-ci paraît devenu moins vif. Au total, le député LREM est « quelqu’un qui a fait des études supérieures, qui a travaillé dans le privé dans six cas sur dix, qui a été cadre dans une petite ou moyenne entreprise et qui, souvent, a créé sa propre TPE (très petite entreprise). Globalement, les candidats sont représentatifs d’une classe moyenne supérieure (90 % de CSP+). On est loin de la diversification sociale attendue. Et c’est quelqu’un qui, sans être forcément élu, a eu une activité politique »16.
En fin de compte, le renouvellement n’est pas forcément celui auquel on s’attendait. Il interroge également sur la régénération de la vie politique dans la mesure où il échappe largement au militantisme classique. Cela dit, le changement reste très sensible alors même que, trois mois plus tard, les élections sénatoriales ont reconduit des sénateurs au profil très stable : une moyenne d’âge qui demeure supérieure à 60 ans (mais elle était de 64 ans, en 2014, à la suite des élections précédentes), à peine plus de femmes (29 % contre 25 %), taux élevé de réélection des sortants qui se représentaient (70 %), consolidation des positions de LR… Manifestement les dynamiques socio-politiques à l’œuvre dans les deux assemblées du Parlement se révèlent extrêmement contrastées. On pourrait parler de deux mondes…
Dominique Andolfatto
Professeur de science politique, Université de Bourgogne-Franche-Comté/Credespo
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- Voir nos précédentes analyses de la sociologie des députés publiées par la Revue Politique et Parlementaire : « Les mystères de la chambre rose de 2012 », n°1063-1064, 2012, p. 201-218 ; « Les députés de 2007 : miroir déformé ou microcosme », n°1044, 2007, p. 221-226 (données reprises par l’Observatoire des inégalités et des discriminations) et « Les députés de 2002 : La maison sans fenêtres s’ouvre-t-elle ? », n°1020-1021, 2002, p. 162-172 (avec Fabienne Greffet). ↩
- Voir Baptiste Bouthier, « De 2 à 40 %, de loser à député : l’effet magique du label Macron », Libération, 15 juin 2017. ↩
- Sur ces changements, voir Dominique Andolfatto, « Grande lessive à l’Assemblée nationale », The Conversation, 26 juin 2017. En ligne : https://theconversation.com/grande-lessive-a-lassemblee-nationale-79927 ↩
- Catherine Achin, « Un « métier d’hommes » ? Les représentations du métier de député à l’épreuve de sa féminisation », Revue française de science politique, 2005/2, vol. 55, p. 481. ↩
- Réunis en un groupe GDR (groupe de la Gauche démocratique et républicaine) depuis 2012. On compte, en 2011, onze députés communistes et cinq ultramarins. ↩
- D’après un calcul du journal Le Monde, 19 juin 2017. ↩
- Voir Luc Rouban, « L’assemblée élue en 2017 et la crise de la représentation », La Note, vague 16, L’enquête électorale française : comprendre 2017, Cevipof, juillet 2017, p. 2. ↩
- Louis Chauvel, « L’âge de l’Assemblée (1946-2007) », La vie des idées.fr, 22 octobre 2007. ↩
- On pourrait citer Claude Bartolone, ancien président de l’Assemblée nationale (2012-2017) ou Laurent Fabius, désormais président du Conseil constitutionnel, mais également ancien président de l’Assemblée nationale (1997-2000). ↩
- Luc Rouban, op. cit., p. 8. ↩
- Voir aussi : Aurélie Delmas, Kim Hullot-Guiot, « Les députés de 2017 sont-ils si différents de ceux de 2012 ? », Libération, 19 juin 2017. ↩
- Ghislain Lunven de Chanrond, « Professions des députés : 53 % viennent du secteur privé », note de l’Ifrap, 22 juin 2017. ↩
- Jean-Louis Bourlanges, eurodéputé jusqu’en 2007 et Marielle de Sarnez, eurodéputée jusqu’à sa nomination comme ministre des Armées, en mai 2017. Elle démissionnera dès le mois suivant. ↩
- « Candidats REM à l’Assemblée : le signe d’un vrai renouvellement ou en réalité l’arrivée d’une nouvelle élite », interview de Luc Rouban, LCI, 13 juin 2017. ↩
- Voir « Les sept tribus de La République en marche à l’Assemblée nationale », Le Monde, 28 juin 2017. ↩
- « Législatives : la victoire de LREM c’est l’émergence d’une nouvelle élite », interview de Luc Rouban, Le Parisien, 13 juin 2017. ↩