Nous voici donc arrivés au pied du mur de la dette, ou, au choix, au bord du précipice. Himalaya ou spéléologie, l’exercice est redoutable !
Après que la France a été mise sous procédure de déficit excessif par l’UE (juillet 2024), les causes du dernier dérapage qui nous amenait à cette sanction étaient rapidement identifiées : insuffisance de recettes fiscales ! Avec un taux de prélèvements obligatoires (PO) sur le PIB de 42,8 % et une dépense publique qui pèse 57,1 % de ce même PIB, c’est donc l’insuffisance de recette qui est la cause de tous nos maux et non pas le niveau de la dépense publique ! Tous les responsables, politiques, exécutif, administration et élus, se penchent alors sur le sujet avec la délicate attention de le prendre par le bout de l’erreur de prévision. Serait-ce l’appareil de Bercy le coupable, serait-ce l’exécutif qui n’a pas suivi les recommandations de l’Administration, seraient-ce les élus qui toujours soucieux de redistribuer les richesses s’accommodent de prévisions de croissance volontaristes ? Ainsi pris en compte le défaut de recettes trouve sa cause dans le modèle de prévision et non pas dans les politiques publiques mises en œuvre.
Le problème est technique, il n’est pas politique, il ne remet pas en cause l’axiome de la nécessaire dépense publique.
L’irresponsabilité générale qui a fini par conduire à cette sanction par l’UE trouve donc son alibi dans la technique. Il faut, pour positiver, voir dans cet évitement un consensus politique ex-post ; c’est moins bien qu’un consensus économique ex-ante, mais faut faire avec. Les experts de tous bords se rendent aux auditions de la commission ad hoc ; leurs discours sont vite brouillés par la politique politicienne : au « vous avez caché le déficit » on répond « vous avez demandé toujours plus » … ce à quoi il faudrait répondre que, caché ou pas vu, le déficit a fait boule de neige par la satisfaction des demandes de toujours plus qui rendaient nécessaire de fiscaliser toujours plus à la satisfaction générale. Nos années de déficit donnent son plein sens à l’observation de Galbraith : « la fiscalité joue un rôle déterminant dans la culture du contentement [1]». Élus, exécutif et Administration se sont satisfaits de ce lent glissement qui nous a conduits au pied du mur, au bord du précipice. La logique du Service public a gagné sur celle de l’Économie que l’on accuse de se venger par la dette qui rend insoutenable la trajectoire des Finances publiques ! L’ennemie reste la finance tant qu’on ne voit pas que ce sont les Finances publiques qui ont rendu la dette insoutenable. Les punitions sont toujours plus désagréables que les bons points.
L’État prospère, depuis Colbert, sur l’Économie. Il s’est appliqué à organiser la redistribution aux dépends de la distribution primaire à la production. Au premier choc pétrolier de 1973 le taux de PO était de 34 % sur un PIB de 180 Mds €, la France était au 4e rang mondial. En 2024, 42,8 % de PO sur un PIB de 2917 Mds €, la France est au 7e rang. De 1973 à 2024 le PIB en valeur est multiplié par 16, les PO sont multipliés par 20 ! C’est sur cette sur-élasticité des PO au PIB qu’il faudrait s’interroger davantage que sur le modèle de prévision ! Cet évitement c’est, là encore, le résultat d’un consensus politique qui fait toujours privilégier l’efficacité politique de court terme sur l’efficacité économique. Il en résulte cette autre boule de neige, sociale cette fois, qu’est le lent déclassement de l’Économie nationale résultant du poids des PO sur la création des richesses. La précarisation, qui a pris le nom de smicardisation, rend nécessaire toujours plus d’intervention d’un État qui se dit providence. La redistribution ne crée pas de richesses, son nom le dit : elle les redistribue.
Trop souvent mal ciblée la dépense publique ne fait pas jouer l’effet multiplicateur.
Le cercle est devenu vicieux ! L’addiction à l’action publique nous a fait prendre les politiques économiques pour de l’Économie politique jusqu’à arriver au négationnisme économique [2] au point que l’on peut lire dans la littérature experte sur les Finances publiques que « Une croissance des dépenses publiques durablement supérieure à celle du PIB, en valeur, oblige à relever le taux des prélèvements obligatoires, au risque de dégrader la compétitivité du pays, pour limiter l’aggravation du déficit public [3]», oui, il est écrit « oblige à relever le taux de PO » pour permettre une croissance des dépenses publiques durablement supérieure à celle du PIB !
Le trait de l’irresponsabilité est forcé ? Allons donc ! L’industrie c’est, aujourd’hui un peu plus de 3 millions d’emplois quand les effectifs publics en comptent 5,7 millions ! L’action publique et la fonction publique ont droit à un ministère de plein exercice quand l’industrie est un ministère « auprès » de celui de l’Économie et des Finances ! Oui, si un trait est forcé, c’est celui de la socialisation bureaucratique. Le trait est forcé au point que la dette devient un problème parce que le service de la dette est le premier budget de l’État : ne voit-on pas qu’il pèse, d’abord, sur l’Économie avant de peser sur le budget de l’État ? Le service de la dette, préoccupation principale, fait alors envisager la solution de l’emprunt européen qui permettrait de bénéficier de taux plus avantageux ; le service de la dette ne supportant pas le coût des taux demandés pour de la dette française l’effet boule de neige serait freiné … mais la dette, elle, continuera de rouler. Les plus experts expliquent que l’objectif est de porter le déficit primaire au niveau du solde primaire stabilisant. L’objectif de diminuer la dette devient un objectif de second rang.
La culture de l’intervention étatique, le principe de la redistribution prévalent et font leur œuvre privilégiant les solutions politiques de court terme. Le modèle français s’apparente à un keynésianisme social, réparateur davantage que protecteur et subsidiarisant, par effet d’éviction, les investissements. Le multiplicateur joue à contre sens : plus de dépense publique crée plus de dépense publique.
La culture de l’intervention étatique rend subsidiaire le rôle de l’entreprise, à laquelle on demande pourtant toujours plus de responsabilité sociale ; c’est peut-être là une autre irresponsabilité[4] collective.
Alors, responsabilité des irresponsables ou irresponsabilité des responsables ? Il faut préciser et reformuler : inscrite dans la longue période ouverte en 1975 il s’agit de la « Responsabilité politique de l’irresponsabilité économique ». Il faut, pour conclure, ajouter que les responsables politiques, les élus et l’Administration ne sont pas seuls responsables de cette irresponsabilité économique … souvenons-nous du « Bonjour à tous, bonjour chers assistés, bonjour les patrons qui prennent des risques et bonjour les rentiers, les planqués, les gens de l’arrière, les salariés, ceux qui ignorent la compétition » de Bernard Maris. Cette interpellation de Bernard Maris c’est, autrement formulée, la question de savoir si l’offre de dépense publique crée la demande, ou l’inverse.
Michel Monier
Membre du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale – Think tank CRAPS
Ancien DGA de l’Unedic
Photo : sylv1rob1/shutterstock.com
[1] JK Galbraith, « La république des satisfaits, la culture du contentement aux États-Unis », Seuil, janvier 1993.
[2] Pierre Cahuc, André Zylberberg « Le négationnisme économique et comment s’en débarrasser », Flammarion, septembre 2016.
[3] Fipéco.
[4] Cf. « Dette publique : L’État doit déléguer aux entreprises », Bernard Cohen-Hadad, https://www.revuepolitique.fr/dette-publique-letat-doit-deleguer-aux-entreprises/