Jamais, sous la Ve République, un mouvement subversif n’avait atteint aussi profondément la magistrature, pour l’entraîner vers les abîmes d’une sécession institutionnelle note Maître Philippe Fontana, avocat au barreau de Paris.
Depuis la fin du mois d’août, une campagne, d’abord insidieuse, puis de plus en plus manifeste a d’abord prétendu que l’autorité de l’exécutif sur le parquet contreviendrait au caractère démocratique des institutions. S’enhardissant devant l’absence de toute opposition, ses mêmes promoteurs s’en sont ensuite pris à la fonction et à la personne du garde des Sceaux, lui déniant toute légitimité et l’accusant – empiétant allégrement sur la présomption d’innocence – d’un conflit d’intérêt ou, plus grave, d’imaginaires actes délictuels commis dans l’exercice de sa fonction ministérielle.
Tout ceci n’est qu’un prétexte à une tentative de prise de pouvoir par certains magistrats.
La tentation d’une indépendance du parquet est un serpent de mer, entretenu depuis sa création par le Syndicat de la Magistrature (SM), au nom de la « séparation des pouvoirs ».
Cette posture idéologique masque la volonté d’une autogestion où les juges n’auraient de compte à rendre qu’à eux-mêmes, laissant leurs concitoyens se débattre dans une jungle pénale, rendue folle par un laxisme judiciaire fondé sur une culture permissive de l’excuse permanente, qu’ils promeuvent.
Jusqu’à présent, toutes ses offensives avaient échoué. Son échec le plus retentissant : une décision rendue par le Conseil constitutionnel le 8 décembre 2017, déclarant conforme à la Constitution l’article 5 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 disposant que les magistrats du parquet sont placés sous l’autorité du garde des Sceaux.
Or, dans son avis remis au président de la République le 15 septembre dernier, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a remis drastiquement en cause la décision du gardien des institutions.
Tout en citant abondamment les travaux de Jean-Louis Nadal, considéré comme le pape de la gauche judiciaire, les membres du CSM n’ont pas craint de rejeter le caractère démocratique de nos institutions dans ces termes affirmatifs :
« le manque d’indépendance des magistrats du parquet est dénoncé depuis de nombreuses années en raison du lien hiérarchique qui les unit au pouvoir exécutif. De nombreuses réflexions ont mis en évidence qu’une telle carence portait atteinte à la démocratie ».
Ainsi, le CSM, qui a pour mission constitutionnelle d’assister le chef de l’Etat dans sa mission de garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, rejette les principes constitutionnels qui fondent son existence.
Il combat ainsi la conception traditionnelle française selon laquelle le parquet est le bras armé de l’exécutif, nécessaire à l’exécution d’une politique pénale, dont il est responsable devant la représentation nationale.
Ce groupe de magistrats, appuyé par le CSM, entend remettre en cause les institutions voulues par le général de Gaulle et approuvées par le peuple français par référendum en 1958, qui conduisent le gouvernement à déterminer et conduire la politique de la Nation, y compris pénale.
Le CSM entend donc les modifier sans aucun mandat, sinon celui qu’il s’est arrogé.
Dans ce même avis, le CSM estime qu’une réforme du parquet serait « de nature à augmenter la confiance que les citoyens placent en leur Justice ».
A moins de se substituer aux augures, cette phrase démontre que le CSM entend parler au nom du peuple, niant de ce fait la légitimité de l’exécutif et de la représentation parlementaire.
Sortant de ses missions, le CSM, dont les magistrats qui en sont membres procèdent des syndicats, entend surtout imposer un gouvernement des juges dont l’histoire connaît les dangers.
Persévérant, il a ensuite publié deux jours après ce rapport un communiqué qui prend acte que le garde des Sceaux a diligenté une enquête administrative visant nominativement trois magistrats du parquet et qu’il « sera particulièrement vigilant ».
Cette enquête faisait suite à des dysfonctionnements révélés par un rapport d’inspection sur le parquet national financier, dont chacun connaît la nature des turbulences inédites l’affectant : accusation de pressions lors de l’affaire Fillon, d’harcèlement sexuel et moral, démission d’un de ses vices-procureurs pour rejoindre un cabinet d’avocats assistant ceux-là même qu’il a poursuivis. La liste des turpitudes, vraies ou supposées, de cette juridiction d’exception s’étale scandaleusement dans la presse, y compris dans Paris-Match, où son ancienne patronne accepte de répondre aux questions des journalistes, à défaut de consentir à celles des inspecteurs de la Chancellerie.
Dès lors, les syndicats de magistrats, encouragés par ces tartufferies, refusaient le principe d’une enquête administrative visant trois de leurs collègues du parquet, mais échouaient dans leur recours présenté devant le Conseil d’Etat.
Pire, pour faire pression sur le garde des Sceaux, ils ont même organisé des pétitions et des rassemblements au caractère illégal, les manifestations et le droit de grève leur étant interdits par l’ordonnance de 1958.
Ces mêmes magistrats, dont la procureure générale de Paris signataire d’une motion mettant en cause le garde des Sceaux, ne craignent pas le paradoxe : prétextant une accusation envers ce dernier d’un conflit d’intérêt restant à démontrer, ils cautionnent les illégalités rappelées ; leur justification est idéologique : comme Savonarole, ils se drapent dans un combat contre la corruption et la préservation de l’indépendance d’une justice, dont ils oublient sciemment l’ineffectivité.
Alors, même si nous ne soutenons pas la politique pénale de l’actuel garde des Sceaux, ni même sa personne, nous n’entendons pas rester inertes devant ces attaques mettant en cause le fonctionnement régulier des institutions, dont les promoteurs sollicitent en outre le concours du commissaire européen en charge de la justice.
A notre tour de rester vigilants, afin que les magistrats respectent tant les institutions que le principe d’impartialité, préalable nécessaire à l’indépendance de la Justice réclamée.
Philippe Fontana
Avocat au barreau de Paris