La leçon du 21 avril 1997 n’a pas été entendue[1]. L’illustration en est la dissolution de l’Assemblée nationale pour redonner la parole aux Français qui ont majoritairement voté pour l’extrême droite aux élections européennes.
Cette dissolution s’inscrit à front renversé de la pratique jusqu’ici appliquée en recourant aux 49-3 constitutionnels, en réformant par décret.
Voir dans les résultats des élections des députés européens la remise en cause des mandats législatifs est-ce pour éviter d’y voir celle du mandat suprême qui, s’il en prenait acte, devait revenir, lui, devant le corps électoral. Il semble que l’on soit allé à l’article 12 en sautant l’article 11 de la Constitution ( Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions…).
Cet article ne permettait-il pas de trouver un « bon » sujet, de politique économique, sociale ou environnementale qui faisait redonner la parole, pleine et entière, aux Français ?
Un référendum pouvait, selon le sujet, fédérer des électeurs d’un des extrêmes avec la majorité de gouvernement … ou faire exprimer un « contre Macron » qui nous renvoyait, alors, à 1969.
De la dissolution de l’AN c’est un « fait majoritaire » d’opposition au Chef de l’État qu’il faut attendre. Si le pari est fait de démontrer l’incapacité d’un RN à gouverner[2] le pari peut être gagné au vu du programme annoncé. Mais, le pari est risqué car un gouvernement RN devra tenir compte de la dure réalité et remiser les annonces les plus électoralistes. Le Chef de l’État, alors au-dessus des partis, présidera en empruntant à François Mitterrand le fameux «la Constitution, rien que la Constitution, toute la Constitution. […] La Constitution attribue au chef de l’État des pouvoirs que ne peut en rien affecter une consultation électorale où sa fonction n’est pas en cause »[3]. Le pari qui est fait ne saurait être celui du chaos qu’entraînera la fort probable réaction des oppositions du Nouveau front populaire. Si l’on a vu l’AN se « zadifier », il faut s’attendre à pire et le score de la liste menée par Manon Aubry peut y engager. Si l’on a vu les mobilisation de la rue dégénérer, il faut craindre pire encore. Ceci pour l’ambiance nationale qui ne doit pas faire oublier que la France n’est pas seule. Il suffit de voir les anticipations des acteurs des marchés qui renchérissent le coût de la dette publique et d’en voir les effets, inévitables, sur le coût des emprunts, sur le coût de la vie.
Le fait majoritaire contre le chef de l’État qui ressortira de ces élections législatives ouvre sur un territoire inconnu. Présider une cohabitation et fort différent de la présidence d’une « start-up nation ». Présider une cohabitation impose un même temps d’un nouveau style, une gymnastique politique d’une autre souplesse que celle de la verticalité dite jupitérienne.
Je concluais une précédente tribune [4] en craignant que le citoyen déçu l’exprime dans les urnes et, qu’un « pacte » de partis minoritaires emporte le morceau, accède aux affaires. Le citoyen est déçu et l’élection européenne lui a permis de le dire dans les urnes. Le RN s’est fait familier et rassurant, il a séduit ces électeurs abandonnés par la gauche social-démocrate. Alors, les pactes aujourd’hui se forment, il faut craindre qu’ils emportent, effectivement, le morceau. « L’extrême centre », le bloc de la raison, qui n’a pas su faire avec le corps social, se présente submergé. Surpris, comme s’il n’avait pas suivi l’histoire, il offre, de trop, aux alliances opportunes.
Michel Monier,
Membre du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale est ancien DGA de l’Unedic.
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[1] Dissolution de l’Assemblée nationale par Jacques Chirac.
[2] « Aux portes du pouvoir – RN, l’inéluctable victoire ? » – Arnaud Benedetti, Michel Lafon, avril 2024.
[3] Message du président de la République François Mitterrand, lu le 8 avril 1986, devant chacune des deux Assemblées par leur président.
[4] « Du monarque républicain au manager de proximité », Revue Politique et Parlementaire, 4 juin.