Ce pouvoir n’est évidemment pas démocratique, il ne l’a jamais été et il est l’héritier de pouvoirs qu’ils ne l’ont jamais été non plus. Le régime plus que jamais fermé sur lui-même, tenaillé par des luttes d’influence, contesté sourdement mais à tout moment susceptible de se voir emporté par des débordements populaires, entend étouffer toutes les voix d’opposition qui le confronteraient à son bilan et à la facticité de son récit. Afin d’échapper à sa mise en cause, la nomenklatura algérienne renoue avec la rhétorique dont elle ne s’est jamais départie depuis l’indépendance. Il lui faut pour se légitimer, se justifier, se barricader, un ennemi extérieur. La France est celui-là mais d’autres comme le Maroc ou Israël peuvent à l’occasion également servir aussi de dérivatifs. Le moment a ceci de singulier qu’il conjugue toutes ces détestations : anti-françaises, anti-marocaines, anti-israéliennes avec des relents à peine dissimulés d’antisémitisme.
Pour se convaincre de ce trait des plus repoussants, l’affaire Sansal vient de le confirmer. Des « émissaires » missionnés au chevet de l’écrivain l’ont enjoint de récuser son avocat, Maitre Zimeray, en raison des origines juives de ce dernier. Avec un rare courage Boualem Sansal a refusé de se soumettre à un diktat aussi insidieux qu’abject. Honneur à lui qui du fond de sa solitude carcérale nous montre le chemin de l’intransigeante dignité au moment où de ce coté-ci de la Méditerranée la tergiversation est de mise, pour ne pas dire une extrême prudence sous laquelle perce une trop évidente pusillanimité. L’exécutif français n’a pas cru bon réagir aux informations de Marianne qui le premier a révélé les pressions du pouvoir algérien sur l’écrivain embastillé. Comme Paris n’a toujours émis aucune protestation depuis trois mois sur le non-respect par Alger de la protection consulaire à laquelle a droit notre compatriote.
De réserves circonstancielles en réflexes dilatoires, la position de la France est d’autant plus peu audible que dans le même temps sa ministre de la Culture, pour le moins discrète sur la situation d’un romancier francophone embastillé, procède à une visite officielle au Sahara occidental, objet de tous les courroux d’Alger. Tout se passe comme si Paris, renouant avec ses vieux démons de la politique au fil de l’eau dès lors qu’elle se confronte à la question algérienne, était incapable de se fixer une ligne claire et lisible. Or cette énième crise franco-algérienne, la plus en acuité depuis 1962 sans doute, devrait nous inciter à ne plus rien céder au régime d’Alger. Ce serait là le meilleur service que l’on rendrait tout à la fois à notre ami otage des hiérarques algérois en vu de sa libération, mais aussi à la relation Paris/Alger ainsi qu’au peuple algérien. Encore faut-il pour s’en convaincre ne pas se résoudre à une disposition de lâche accommodement pour entrer dans une politique de fermeté et de lucidité.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à Sorbonne-Université