Alors que nous vivons encore l’effervescence des Jeux olympiques et paralympiques, ce moment de « trêve politique » que le Président de la République a appelé de ses vœux doit aussi être un moment de prise de recul, de réflexion et de décision.
En effet, nous savons que la situation en Nouvelle Calédonie qui a occupé l’actualité au début de l’été est loin d’être réglée. Au moment où doit être désigné un nouveau Premier Ministre et formé un nouveau gouvernement, il y urgence à ne pas laisser les populations sur place s’installer dans l’incertitude et la peur de lendemain sans plan d’action concret et réaliste.
Renouer avec l’esprit de la mission Nouméa conduite en son temps avec succès par Christian Blanc est indispensable. Il est de notre responsabilité de saisir la proposition d’envoi d’une mission parlementaire sur le Caillou telle que lancé par les parlementaires Emmanuel TJIBAOU et Robert XOWIE.
Ainsi, les représentants de la Nation pourront incarner dialogue, action et la médiation indispensable afin de réunir toutes les forces en présence et trouver une voie de sortie pérenne à ce conflit.
Il nous semble nécessaire de renvoyer clairement à plus tard la réforme constitutionnelle du dégel du corps électoral et ce même si la solution « transitoire » retenue à l’époque et contraire à notre pacte républicain, ne doit perdurer.
Agir dorénavant suppose de garder à l’esprit que le sujet principal en Nouvelle Calédonie est la recherche des grands équilibres inter et intra communautaires. De fait, il s’agit bien de rechercher un équilibre entre partage du territoire, partage du pouvoir et partage des crédits. La France pour sa part devant s’attacher à ajuster ces équilibres dans le temps et à en demeurer leur garant politique.
Dans le même temps, la méthode retenue en Nouvelle Calédonie, comme d’ailleurs aussi en Outre Mer, consiste à se donner pour la décennie à venir une volonté expresse de bâtir un avenir commun avec quelques objectifs clairs.
Commençons par la réduction des inégalités qui sont inacceptables pour les populations. En Nouvelle-Calédonie vit la population « la plus inégalitaire des territoires de la République » selon la spécialiste Isabelle Merle.
Première d’entre elles, pour une grande partie de la population, notamment les Kanak, le bénéfice effectif des ressources minières, particulièrement le nickel, revient majoritairement aux grandes entreprises ! Le PIB par habitant en Nouvelle-Calédonie, bien qu’élevé pour un territoire d’Outre-mer (environ 28 000 euros), reste bien inférieur à celui de la métropole, où il s’élève à près de 32 000 euros. Quelles que soient les solutions institutionnelles, l’avenir de la Nouvelle Calédonie ne pourra se faire sans que la population Kanak ne voit progresser ses revenus.
Autre inégalité sociale sur laquelle il convient d’agir de toute urgence : le taux de chômage en Nouvelle-Calédonie avoisine les 13%, contre 8% dans l’hexagone. Un taux qui explose chez les jeunes pour se situer à 37%, soit près du double de celui de la métropole (20%). On aura compris que la jeunesse de ce territoire soit particulièrement désillusionnée, en proie à une précarité grandissante, formant alors un inéluctable terreau à l’éclosion et l’installation de la violence.
Le niveau de pauvreté en Nouvelle-Calédonie est estimé à 17%, contre environ 14% dans l’hexagone. Les Kanaks, qui représentent environ 40% de la population, sont particulièrement touchés, avec des taux de pauvreté et de chômage bien supérieurs à la moyenne du territoire.
C’est la raison pour laquelle nous devons favoriser un meilleur accès aux services public, droit fondamental mais aussi point névralgique de la crise qu’il faut identifier pour en sortir par le haut. En Nouvelle-Calédonie, les infrastructures de transport, les services de distribution d’eau et d’électricité, ainsi que les télécommunications, sont souvent moins développés et bien plus coûteux pour la collectivité que dans l’hexagone.
En parallèle, nous devons améliorer le pouvoir d’achat des ménages lequel a complètement chuté en comparaison avec la situation en métropole : le coût des produits alimentaires est 78% plus élevé, les prix des communications 76% plus importants, et l’accès à la santé est 40% plus coûteux, sans parler du poids de l’énergie, qui est de 30% supérieur aux factures dans l’hexagone.
Nous devons surtout favoriser l’accès à une éducation de qualité, autre victime de cette existence d’inégalités patentes chez les jeunes. En Nouvelle-Calédonie, le taux de réussite au baccalauréat est significativement plus bas qu’au plan national, en raison d’infrastructures souvent vétustes, d’un manque d’enseignants qualifiés et de programmes scolaires qui ne prennent pas suffisamment en compte les spécificités locales.
Pour terminer, il s’agit de rétablir l’inégalité en matière de santé. En 2022, la dépense de santé par habitant était d’environ de 3 000 euros en Nouvelle-Calédonie, contre plus de 3 800 euros dans l’hexagone et le ratio de médecins pour 1 000 habitants y est de 2,5 médecins contre 3,3 en moyenne nationale. Le manque de personnel médical, notamment de spécialistes, oblige souvent les patients à se rendre en métropole pour des traitements spécifiques, augmentant encore ainsi les inégalités d’accès aux soins.
Triste liste à la Prévert que toutes ces inégalités pour lesquelles les mesures à prendre sont indispensables afin de réduire insécurité et sentiment d’abandon vécus par les habitants comme des laissés pour compte, loin de nos préoccupations et décisions pour eux essentielles.
Pour rétablir la confiance et apaiser les tensions, il nous faut engager un dialogue ouvert et constructif avec les populations locales, en élargissant la représentation des interlocuteurs présents dans les négociations, en écoutant les revendications et solutions proposées, afin de travailler ensemble à la construction de solutions durables, crédibles et réalistes.
La solidarité nationale doit s’étendre à tous les citoyens, quel que soit leur lieu de résidence, la situation en Nouvelle-Calédonie n’étant par ailleurs pas un cas isolé, tant elle matérialise le symptôme d’un mal plus profond affectant les relations entre l’hexagone et ses différents territoires d’Outre-mer.
Jean-Claude Beaujour
Avocat