L’État-Providence c’est le vol, mais un vol en réunion dont nous sommes tous, plus ou moins, receleurs. Á qui profite ce vol en bande organisée ? C’était la conclusion d’une précédente tribune[1]. Tentons de voir maintenant quels sont ceux qui en bénéficient effectivement du « pognon de dingue ».
Quand il faut aujourd’hui six générations pour passer du seuil de pauvreté au niveau médian de rémunération une conclusion s’impose : les bénéficiaires directs de l’État-Providence ne sont pas les mieux servis … Les benefitssociaux semblent davantage maintenir en l’état des situations précaires que jouer le rôle d’ascenseur social. Il ne faut pas en conclure à l’inutilité de la dépense sociale. La redistribution nous garantit un taux de pauvreté parmi les plus bas et, après redistribution l’écart de revenus est ramené du rapport de 1 à 13 au rapport de 1 à 3[2]. Le résultat est significatif, la morale républicaine est sauve et tant pis s’il ne s’agit là que d’une photo quand le film nous raconte l’histoire de six générations pour sortir de la pauvreté. Les dépenses sociales sont comme un édredon, ou comme un « cache-misère », qui maintient en l’état les bénéficiaires d’aides sociales. L’État n’est pas pour eux Providence, les prestations dont ils bénéficient ne sont nullement émancipatrices, elles sont d’assistance sociale.
La morale républicaine est sauve : l’État dépense sans compter, jusqu’à s’épuiser, pour assister les plus démunis.
Si l’État dépense sans compter, d’autres comptent pour lui.
Les comptables sont nombreux : la Cour des comptes, Haute juridiction financière, les hauts conseils, celui des finances publiques, celui des finances de la protection sociale et quelques autres ; il y a des observatoires, nombreux aussi. Les uns tirent des sonnettes d’alarmes, parfois des sornettes d’alarmes ; les autres appellent à dépenser encore davantage. Les uns et les autres bénéficient, plus ou moins, de l’argent public ; quelques-uns non. Les vrais comptables devraient être les financeurs de la finance publique…les contribuables.
Le consentement à l’impôt est délégué à nos représentants élus qui, depuis bientôt une cinquantaine d’années, en votant des budgets en déséquilibre consentent, en notre nom, à la dette. Si le mandat impératif n’existe pas pour l’élu-délégué, il est impératif pour l’électeur-déléguant de respecter les lois : le consentement à l’impôt devient consentement à la dette. Les financeurs, citoyen contribuable et entreprise, y trouvent leur compte par le moyen de « niches fiscales », d’aides et subventions, souvenons-nous : nous sommes tous receleurs du vol que fait l’État-Providence ! La facture est salée et, hors le cas de très haute morale citoyenne qui rend insensible à la pression fiscalo-sociale, la question vient, logiquement, du niveau d’imposition-taxation et de l’efficacité de la dépense publique.
Il faut ignorer dans le débat les tenants du « zéro État, zéro impôt ».
Il faut ignorer aussi ceux pour lesquels le « prendre aux riches » résume à la fois la vision (!) économique et la solution (!) à la question sociale.
Il faut retenir les débateurs tenants du « un bon impôt c’est une taxation faible sur une assiette large », il faut retenir aussi ceux du « trop d’impôt tue l’impôt », il faut écouter ceux qui se demandent s’ils en ont pour leur argent et écouter surtout ceux qui demandent si leur contribution participe effectivement à la réalisation du bien social commun. Le résultat de l’action publique dans les domaines régaliens, dans le domaine de l’éducation, dans celui de la santé peut faire conclure que, non, nous n’en avons pas pour notre argent et que, non, le bien social commun effectivement produit n’est pas au niveau de l’effort fiscal consenti.
Á cette insatisfaction on peut répondre que la demande de plus, ou de mieux, de services publics n’est qu’un comportement d’enfant gâté, on peut, à l’inverse l’expliquer par le manque de moyens. Pour répondre à ces deux ordres de critique deux chiffres. Tout d’abord le constat que avec 58% d’équivalent PIB la France consacre beaucoup, et certainement trop, à la dépense publique. Mais il faut voir que le niveau de dépense publique par habitant est, en France, inférieur à ce qu’il est chez des voisins ordolibéraux ou libéraux : 22 608 € ici, 22 738 € en Allemagne et 23 408 € euros aux Pays-Bas[3]. Si l’on dépense trop, en équivalent de PIB, et si l’on ne dépense pas assez par habitant, il n’y a pas paradoxe mais une dure réalité : on ne produit plus assez. Il n’y a plus assez d’huile dans la lampe pour nous éclairer !
Il n’y en a plus assez parce que le Politique prime sur l’Économie, il n’y en a plus assez parce que les politiques publiques, économiques et sociales, on trop entravé l’Économie.
Le public prioritaire de l’État-Providence bénéficie d’aides sociales et minima sociaux qui peinent à faire attendre la réparation de l’ascenseur social. Le contribuable moyen, juste « trop riche » et « pas assez pauvre », exclu des prestations sociales, ne connaît de l’État-Providence que l’effort fiscal qu’il consent. Le contribuable aisé, lui, s’acquitte de sa dette fiscale et complète l’offre publique par l’accès à des services marchands. Qui donc bénéficie effectivement l’État-Providence, ce Robin des Bois ? Le lecteur de la première de ces deux tribunes a déjà des éléments de réponse, ajoutons ici en tentant de voir ce qui empêche le bon ruissellement de cette richesse prélevée par les tuyaux de la Finance publique.
Nous connaissons la Loi de Wagner selon laquelle l’élasticité des dépenses publiques par rapport au revenu national est supérieure à l’unité ; nous nous souvenons que Charles Brooks Dupont-White (1807-1878) observait que « Les plus individualistes se sont rendus à ce sentiment que le progrès crée parmi les hommes des nouveautés morales, politiques, économiques et que cet accroissement emporte un accroissement de puissance publique ». Si l’expansion de la dépense publique est une loi naturelle il importe que les tuyaux de la Fiance publique soit en état, qu’il n’y ait ni fuite, ni étranglement !
Si le « pognon de dingue » ne produit pas ses effets c’est que la mécanique de la redistribution est grippée, le libre ruissellement de la part richesse, toujours plus importante captée par et pour l’action publique, est entravé par un goulot d’étranglement. Á force de complexité l’entrave ne serait-elle pas notre formidable appareil administratif et, question subsidiaire, ne serait-il pas le premier bénéficiaire de l’État-Providence ? Il faut pour étayer cette hypothèserecourir à quelques données simples.
Si l’on se méfie des chiffres parce que on peut leur faire dire ce que l’on veut, on peut aussi leur faire confiance parce qu’ils sont têtus ! Ainsi du nombre des agents publics : nous avons significativement plus d’agents publics que les deux parangons déjà cités (plus de 80 fonctionnaires/1000 habitants ici, moins de 60 en Allemagne et aux Pays-Bas). Ce chiffre-là est têtu parce que nous avons toujours plus d’agents publics (encore 58000 de plus en 2023 et quelques autres de plus sur les premiers trimestres de cette année). Pour vraiment conclure retournons, une fois encore, à la littérature économique qui nous enseigne qu’arrivé à un certain niveau d’emplois publics « la création de 10 emplois publics ajoute, en moyenne, 3 chômeurs supplémentaires[4] ».
N’avons-nous pas trouvé là le goulot d’étranglement qui empêche le bon ruissellement de l’argent public ? et, considérant l’augmentation continue de l’emploi public, dont l’élasticité semble être encore supérieure à celle de la dépense publique, ne serait-il pas le principal bénéficiaire de l’État-Providence ? Nous savons que l’emploi public est mal rémunéré, particulièrement pour les emplois dans la Santé, l’Éducation, la sécurité et bien d’autres. Les revendications d’une meilleure rémunération sont légitimes et elles ajoutent à la pertinence de notre conclusion qui n’est rien d’autre de voir dans l’État-Providence et l’emploi public une démonstration de la loi de Laffer : trop d’emploi public, tue l’emploie public (avec comme circonstances aggravantes d’appauvrir des pans entiers de l’action publique et d’entraver l’Économie).
Pour sauver l’État-Providence il faut mettre au régime l’action publique pour qu’elle retrouve de l’agilité, pour qu’elle permette le jeu plus libre de la création de richesse, la participation d’un plus grand nombre au « monde marchand ». Le déterminant des politique publiques, leur règle d’or, devrait être : permettent-elles de faire plus de PIB que ce qu’elles en consomment, quel est leur apport social au-delà du court terme?
Michel Monier,
Membre du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale est ancien DGA de l’Unedic.
[1] Cf. « L’État-Providence c’est le vol ! » (1) revue Politique et parlementaire, le XX/XX/XX
[2] INSEE Référence, « Revenu et patrimoine des ménages », 27 mai 2021.
[3] Source : https://fr.countryeconomy.com , cité in « Sophisme : on dépense trop pour le social » https://www.thinktankcraps.fr/sophisme-on-depense-trop-pour-le-social-michel-monier/
[4] Céline Choulet « Emplois publics, entre effet d’éviction et missions de service public », Note de conjoncture- BNP, septembre 2007, et « Créer des emplois publics crée-t-il des emplois ? » Yann Algan, Pierre Cahuc, André Zylberberg – Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2012