Le pape François, à travers ses encycliques Fratelli Tutti et Laudato si’, et son message à la conférence « A Politics Rooted in the People », propose une vision politique profondément originale. En rupture avec les logiques technocratiques et individualistes, il appelle à une politique enracinée dans le peuple, fondée sur la solidarité, la participation et le bien commun.
Dans son message vidéo de 2021, adressé à des responsables politiques et intellectuels, François insiste : « Maintenant plus que jamais, il est nécessaire de construire un avenir à partir de la base, d’une politique avec le peuple, enracinée dans le peuple. » Cette phrase résume la clé de voûte de sa pensée politique. Le peuple, pour François, n’est pas une masse informe manipulable, mais une réalité vivante, culturelle et spirituelle. Il s’agit de prendre au sérieux les aspirations populaires, non de les instrumentaliser.
Le pape distingue ainsi le popularisme véritable d’un populisme manipulateur.
Là où le populisme flatte les bas instincts et divise, le popularisme authentique unit et élève.
Il repose sur la reconnaissance de la dignité de chacun et l’écoute des réalités locales. Cette attention au réel, au quotidien des plus humbles, est une exigence évangélique mais aussi une condition de renouveau démocratique.
Dans Fratelli Tutti, François dénonce les illusions d’un individualisme sans racines et rappelle que « la solidarité exprimée concrètement dans le service, peut aussi être pensée comme une forme de charité politique ». Il propose une politique noble, au service de l’humain, qui dépasse les logiques de pouvoir ou de rentabilité. Une politique qui naît du bas, et non imposée d’en haut.
La solidarité, dans cette perspective, est centrale. Elle n’est pas un supplément d’âme ou une simple compassion. Elle est structurelle, vitale. Elle consiste à se rendre responsable des autres, à participer à leur relèvement, à défendre leurs droits. Elle implique des choix concrets : en matière économique, sociale, écologique. C’est pourquoi la critique du système économique actuel est si forte dans Laudato si’. Le pape y lie destruction de la planète et exclusion des pauvres : « Il n’y a pas deux crises séparées… »
François nous pousse ainsi à une conversion intégrale : changement de regard, de mode de vie, d’organisation politique.
Cette écologie intégrale passe par un dépassement du consumérisme, de l’indifférence et du repli sur soi. Elle suppose une réforme culturelle, éducative et institutionnelle, enracinée dans la solidarité.
Ce projet, loin d’être idéologiquement neutre, peut être compris comme une forme de social-conservatisme. Le pape François valorise l’enracinement culturel, la tradition vivante, les communautés locales, la transmission intergénérationnelle. Ce conservatisme, toutefois, n’est pas réactionnaire : il refuse l’idolâtrie du passé, mais reconnaît la fécondité des héritages populaires. Il est social parce qu’il refuse le libéralisme individualiste et appelle à une économie au service de tous. Il est conservateur au sens où il veut préserver les liens fondamentaux : avec la nature, avec les autres, avec Dieu.
L’écologie intégrale, la solidarité réelle, le popularisme enraciné : ces trois notions sont indissociables et convergent vers un même horizon. Il s’agit de bâtir une société juste, solidaire et durable, où les personnes et les peuples sont respectés dans leur identité et leur dignité. En ce sens, le pape François dépasse les clivages classiques et propose une vision profondément cohérente, à la fois humaine, spirituelle et politique.
En mettant en lumière le concept de popularisme, le pape offre un héritage politique fécond. Il ne s’agit pas d’adhérer à une idéologie, mais de proposer un style d’engagement : écouter, servir, construire à partir de la réalité des gens. Contre le cynisme politique, il défend la possibilité d’une politique noble. Contre l’exclusion, il prône l’inclusion active. Contre la verticalité froide, il valorise l’horizontalité du dialogue.
Ce message interpelle croyants et non-croyants. Il rejoint toutes les traditions humanistes et invite à une refondation de la démocratie. Une démocratie non réduite aux procédures, mais nourrie de liens, de solidarité, d’attention au bien commun.
Loin d’être naïve, cette vision est exigeante. Elle appelle à un engagement concret, à une présence durable, à une écoute patiente. Elle remet l’espérance au cœur de la politique.
En ce sens, le pape François laisse un héritage politique d’une profonde actualité : le courage de la solidarité, la sagesse du peuple et la force tranquille du service.
Ludovic TROLLE
Président Institut Ethique et Politique
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