Avec des investissements stratégiques et une vision à long terme, le Québec développe un environnement unique pour l’innovation quantique. Entre infrastructures de pointe, incubateurs spécialisés et liens étroits avec l’Europe, il se démarque comme une terre d’accueil pour la recherche et la commercialisation des technologies quantiques. Nicolas Doiron-Leyraud et Philippe Duguay décryptent les ambitions québécoises et les perspectives de coopération avec les acteurs internationaux.

Les sciences et technologies quantiques redéfinissent notre compréhension de l’univers et transformeront l’économie de demain. Les ordinateurs quantiques, grâce à la superposition et à l’intrication quantiques, offrent une puissance de calcul qui croit exponentiellement avec leur taille, promettant de résoudre des problèmes auparavant insolubles.

Ceux-ci auront un effet majeur et disruptif dans des domaines économiques tels la chimie, les matériaux, les sciences de la vie, la finance et les transports.

En 2035, la valeur économique potentielle du calcul quantique dans ces secteurs combinés – en matière de revenus addition- nels et de réduction de coûts – pourrait totaliser 2 T$ globalement, tandis que le marché de l’informatique quantique à lui seul pourrait atteindre près de 80 G$ (McKinsey Quantum Technology Monitor, 2024). Les technologies quantiques révolutionneront également la cybersécurité par la cryptographie quantique, assurant ainsi la sécurité des données face aux cyberattaques croissantes. Les capteurs quantiques, avec leur sensibilité inégalée à la lumière, aux radiations ou aux champs magnétiques offriront une précision de pointe dans des domaines tels la navigation, l’imagerie médicale, et l’exploration des ressources naturelles. Pour assister un monde où les ordinateurs et les capteurs quantiques sont déployés, des percées en communication quantique assureront le déploiement d’un Internet quantique capable d’échanger de l’information et des signaux quantiques à courte et longue distance. L’innovation en quantique, stratégiquepourl’économie et pour la défense , a entraîné des investissements majeurs de la part de toutes les nations industrialisées. En 2023, l’investissement public global en quantique a atteint 43 G$, dont 15,3 G$ en Chine seulement.

L’ENGAGEMENT DE LA PUISSANCE PUBLIQUE AU QUÉBEC

Le Canada et ses provinces et territoires ont, pour leur part, investi 1,4 G$. Alors qu’en 2022 le gouvernement fédéral du Canada annonçait 250 M$ (360 M$ CAN) pour la première phase de sa Stratégique Quantique Nationale, le Québec, à lui seul, a investi plus de 200 M$ (300 M$ CAN) depuis 2019 pour déployer de façon soutenue et cohérente son écosystème d’innovation en quantique.

Les investissements du Québec proviennent principalement du ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie du Québec et d’Investissement Québec. Ils soutiennent la formation de talents, la recherche fondamentale, les collaborations entre les universités et l’industrie, la mise en place d’infrastructures mutualisées, et la commercialisation des avancées quantiques pour leur adoption dans tous les secteurs économiques. Le Québec mise sur une stratégie intégrée où recherche, industrie et infrastructures de pointe travaillent ensemble afin de mobiliser efficacement l’écosystème quantique, ainsi que ceux de l’intelligence artificielle et de la photonique, pour réaliser des projets d’envergure dans des domaines stratégiques, tels l’énergie et le transport, où le Québec peut avoir une influence réelle.

Les investissements du Québec en quantique s’insèrent également dans la Stratégie québécoise de recherche et d’investissement en innovation (SQRI2) 2022-2027. Avec un investissement de 7,5 G$ CA sur cinq ans, la SQRI2 vise à renforcer la compétitivité du Québec sur la scène internationale en soutenant le développement technologique et scientifique, notamment dans des secteurs émergents comme l’IA et le quantique.

Un projet phare du gouvernement du Québec sont les Zones d’innovations, qui visent à augmenter la commercialisation des innovations, la création, l’attraction et la croissance d’entreprises innovantes, le transfert technologique, les exportations et les investissements, tout en attirant talents et entreprises, et ce dans des secteurs stratégiques. En 2022, le Québec désignait ses deux premières zones d’innovation : située à Sherbrooke, la zone d’innovation Distriq, consacrée aux technologies quantiques, et Technum Québec, située à Bromont, dédiée à la microélectronique et aux systèmes électroniques intelligents.

À ce jour, ces deux zones ont cumulé ensemble plus de 1 G$ CAN d’investissements publics et privés.

Elles favorisent la synergie entre la recherche fondamentale, notamment avec l’Université de Sherbrooke et l’Institut quantique, et le développement technologique et la commercialisation, s’appuyant principalement sur l’Institut interdisciplinaire d’innovation technologique (3IT), le Centre de collaboration Miqro innovation (C2MI) – plus gros centre de microélectronique au Canada – et le Laboratoire de développement des technologies quantiques (DevTeQ). Ces infrastructures collectives sont ouvertes à toutes les entreprises, permettant à celles- ci de se développer sans investir massivement dans des équipements en début de parcours.

Pour accélérer la commercialisation et faciliter le démarrage d’entreprises, le Québec a mis sur pied son propre fonds d’investissement en quantique, Quantac et,ainsi que le Quantum Venture Studio (QVStudio),tous deux basés dans Distriq. Quantacet est un fonds de capital de risque consacré au quantique, qui a vu le jour en 2023 et qui est doté de 24 M$ CAN, dont 14 M$ CAN proviennent du gouvernement du Québec. QV Studio, également lancé en 2023 grâce à un investissement de 4,5 M$ CAN du gouvernement du Québec et à la participation de Quantacet et du fonds français Quantonation, s’est rapidement établi comme le modèle d’incubateur en technologies quantiques sur lequel plusieurs autres nations se basent pour établir leur stratégie d’entrepreneuriat en quantique. Pour accompagner les entreprises émergentes en phase de croissance, l’accélérateur d’entreprise ACET a conçu un programme spécifiquement adapté aux jeunes entreprises quantiques.

AMBITIONS INTERNATIONALES ET COOPÉRATIONS AVEC L’EUROPE ET NOTAMMENT LA FRANCE

En concentrant recherche, talents, infrastructures de pointe collectives, capital d’investissement, accompagnement des startups, ainsi que des grandes entreprises telles IBM et Teledyne, Distriq et Technum Québec catalysent l’industrie du quantique, tout en permettant le rayonnement international de tout le Québec. De ce contexte émerge un tissu dynamique de jeunes entreprises québécoises innovantes, comme Nord quantique ou Anyon Systems, qui se positionnent de façon enviable en informatique quantique, ou SB Quantum devenu joueur mondial de l’intelligence magnétique, avec des applications dans le domaine spatial et l’exploration minière. D’autres jeunes entreprises québécoises en quantique, telles Qubic Technologies, Ki3 Photonics, Femtum, et T0 Technology, connaissent une forte croissance. Ces entreprises nouent des partenariats avec des acteurs internationaux pour cocréer des solutions innovantes et explorer de nouveaux marchés, positionnant le Québec comme un carrefour de l’innovation quantique.

À ce jour, plus de quarante entreprises et organisations du secteur quantique ont choisi de s’installer dans Distriq.

Les zones d’innovation sont également une porte d’entrée pour le marché nord-américain, avec l’aide d’Investissement Québec qui accompagne étroitement les entreprises étrangères et met en place des incitatifs financiers pour faciliter leur installation dans Distriq ou ailleurs au Québec. Par exemple, la société française Pasqal a choisi Distriq pour réaliser de la R&D et y produire ses ordinateurs destinés au marché nord-américain, une initiative évaluée à 90,6 M$, à laquelle Investissement Québec a participé. D’autres entreprises, comme Equal1 (Irlande), Multiverse (Espagne), SQK (Corée), ainsi que les entreprises françaises Exaion et Quandela, se sont également installées à Sherbrooke. Pasqal et Quandela figurent parmi les startups quantiques en plus forte croissance mondialement en matière d’investissement.

La participation du Québec à des initiatives globales, telles que les programmes Horizon Europe ou Quantum Flagship, ouvre la voie à des financements collaboratifs et à des projets d’envergure internationale. Cette approche proactive assure au Québec une place de choix dans les discussions sur l’avenir des technologies quantiques et renforce sa capacité à influencer les orientations stratégiques mondiales.

Le Québec entretient des relations particulièrement étroites avec la France dans le domaine des technologies quantiques. Une entente avec l’écosystème de Paris-Saclay Innovation Playground favorise les échanges de connaissances et de technologies, établissant des liens structurés avec les zones d’innovation du Québec. Les liens entre Sherbrooke et le Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) existent depuis de nombreuses années, menant notamment à la création de deux International Research Laboratories (IRL) en micro- électronique et en matériaux quantiques. De plus, le fonds d’investissement français Quantonation, premier fonds mondial dans le domaine du quantique, avec des actifs de €200 M, est très impliqué dans la zone Distriq, entre autres avec des investissements dans le QV Studio et Nord Quantique. En 2023, Quantacet et l’Institut Quantique organisaient d’ailleurs à Sherbrooke le premier symposium Alain Aspect (prix Nobel de physique 2022), événement d’envergure réunissant des partenaires internationaux autour de grands enjeux où le quantique est amené à avoir un impact majeur, comme la santé et l’environnement.

L’IMPORTANCE DE L’INTERFACE ENTRE ENTREPRISES ET MONDE ACADÉMIQUE

Les universités québécoises jouent un rôle central dans la formation de la prochaine génération de spécialistes en technologies quantiques. L’Université de Sherbrooke offre des programmes de formation avancés en sciences quantiques, notamment une formation de premier cycle universitaire (baccalauréat) spécialisée en science de l’information quantique, première du genre dans le monde francophone.L’École de Technologie Supérieure (ÉTS), située à Montréal, développe une formation en quantique appliquée qui vise à fournir à l’industrie des ingénieurs qui seront à la fois des agents importants pour le développement de technologies quantiques mais également pour leur adoption dans différents secteurs de l’économie québécoise.

Les collaborations entre le milieu universitaire et l’industrie sont au cœur de l’innovation québécoise dans tous les secteurs et les technologies quantiques en sont un parfait exemple, notamment avec la mise en place de plusieurs initiatives et infrastructures collectives de transfert technologique.

Distriq et Technum Québec, avec l’Institut Quantique, et le DevTeQ, 3IT, et C2MI, se distinguent par leur capacité à couvrir toute la chaîne de valeur des technologies quantiques, allant de la recherche fondamentale à la commercialisation. Cette approche intégrée maximise les synergies entre les acteurs de l’écosystème, facilitant ainsi le passage des découvertes scientifiques aux applications industrielles, et offrant la possibilité de collaborer avec plus de 400 entreprises partenaires de ce réseau. Le C2MI et son aile quantique pour la fabrication industrielle de qubits supraconducteurs jouent un rôle crucial dans ce processus. Situé à Bromont, le C2MI se spécialise dans la fabrication de microsystèmes électromécaniques (MEMS), l’assemblage avancé de semi-conducteurs et l’électronique imprimable, facilitant la transition des concepts de recherche vers des produits commercialisables, en collaborant étroitement avec des partenaires industriels et universitaires. De plus, l’Institut National d’Optique (INO), situé à Québec, au cœur du principal écosystème en photonique du Canada, ajoute un axe de développement en photonique-quantique à cette chaîne de valeur.

En cryptographie et communications quantiques, le Québec a mis sur pieds le réseau fibré KIRQ à Sherbrooke, Mon- tréal et Québec, en partenariat notamment avec les grandes entreprises Bell Canada, Telus et Ciena. Ce banc d’essai offre une plateforme flexible de prototypage pour les entreprises et les chercheurs, facilitant le développement et la validation de nouvelles technologies quantiques dans des conditions réelles de télécommunication.

En calcul quantique et de haute performance, la Plateforme d’innovation numérique et quantique du Québec (PINQ2) joue un rôle central dans l’écosystème quantique québécois. En partenariat avec PINQ2, IBM a installé à Bromont un des rares ordinateurs quantiques de IBM hors des États-Unis, avec un processeur de 127 qubits identique à celui employé par IBM pour faire d’importantes percées récentes, notamment l’avènement de l’utilité quantique. PINQ2 offre ainsi à ses partenaires, entreprises et chercheurs au Québec et à travers le monde, un accès mutualisé à une plateforme de calcul haute performance hybride, combinant les capacités d’une infrastructure de calcul classique et quantique. PINQ2 et IBM mobilisent universités, entreprises et instituts de recherche autour de projets innovants, avec un focus sur des applications concrètes dans des secteurs stratégiques pour le Québec. Par exemple, PINQ2 et IBM, auxquels se joignent des partenaires industriels majeurs tels Hydro Québec, visent à utiliser le calcul quantique pour trouver des solutions innovantes dans le secteur du développement durable, comme la gestion des réseaux électriques, l’amélioration de l’efficacité énergétique et la réduction des émissions de carbone, soutenant ainsi la transition vers une économie plus verte et durable. Calcul Québec offre également d’importantes infrastructures de calcul, qui incluent notamment un ordinateur quantique québécois Anyon Systems, pour
des projets d’innovation collaboratifs et la formation de talents. Avec la présence au Québec de multiples plateformes de calcul quantique vient le défi de développer des algorithmes innovants pour utiliser celles- ci efficacement en vue d’applications industrielles significatives. Misant sur les forces combinées d’écosystèmes de recherche de classe mondiale en quantique et en intelligence artificielle, l’Alliance en algorithmie quantique (AAQ) a récemment été mise sur pieds afin de relever ce défi d’envergure et positionner le Québec comme leader mondial en algorithmie quantique. L’AAQ réunit l’ÉTS, l’Institut de valorisation des données (IVADO) et l’Institut Quantique.

Un des principaux atouts du Québec est sa petite taille et son agilité, qui lui permettent de miser sur une approche intégrée et ouverte.

Cette stratégie repose sur des infrastructures différenciantes et des projets collaboratifs entre le milieu unversitaire et l’industrie, qui contribuent au développement des talents et d’une main d’œuvre hautement qualifiée. Le Québec a ainsi mis sur pied un écosystème quantique complet, en investissant à chacune des étapes du cycle d’innovation, de la recherche fondamentale jusqu’à la commercialisation. Cela permet de faire ressortir des secteurs spécifiques où des solutions concrètes peuvent être exploitées pour répondre aux défis industriels actuels et de demain.

Nicolas DOIRON-LEYRAUD* et Philippe DUGUAY**

*Conseiller senior en technologies quantiques au ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie du Québec
**Adjoint exécutif et expert- coordonnateur en intelligence artificielle au ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie du Québec