Dans un environnement urbain toujours plus complexe, les professionnels de la livraison sont soumis à des exigences croissantes et difficilement compatibles. Tandis que les attentes des consommateurs tendent vers une réduction des délais d’acheminement, les pouvoirs publics imposent – à raison – des mesures environnementales contraignantes, sans pour autant donner les moyens nécessaires aux acteurs du secteur pour s’y conformer. Pour résoudre cette équation et réussir la transition écologique du dernier kilomètre, les mairies ont un rôle déterminant à jouer en organisant le partage de l’espace urbain.
Des transporteurs sous pression
Les acteurs de la livraison connaissent une période de transition accélérée. L’explosion du e-commerce, entraînée notamment par la crise sanitaire liée au COVID-19, a considérablement augmenté le volume de colis à acheminer, et exige en conséquence une montée en échelle de nombreuses infrastructures. Mais en zone urbaine, cette nécessité se heurte à des contraintes fortes. La rareté du foncier empêche en effet d’y implanter des centres logistiques, lesquels sont repoussés en périphérie. Les nouvelles mobilités s’y développent de façon parfois chaotique, complexifiant le travail des livreurs et pesant sur leur productivité. Enfin les pouvoirs publics y multiplient les mesures environnementales, nécessaires mais parfois contre-productives parce que conçues sans les principaux intéressés.
Concilier l’ensemble de ces facteurs est un défi que doivent relever les transporteurs pour mener à bien leur mission et tenir leurs engagements RSE. Mais il est également de la responsabilité des pouvoirs publics, et en particulier des mairies, de les y aider.
Car la livraison durable n’est pas qu’un enjeu économique propre au secteur logistique, c’est aussi un levier écologique décisif et un enjeu de santé publique.
Si elle n’est pas prise en charge de façon adéquate, la hausse du nombre de colis à livrer se traduit en effet directement par une augmentation significative du trafic urbain, des embouteillages et des émissions de gaz à effet de serre. Or, la pollution atmosphérique est désormais selon l’OMS la première cause de décès prématurés dans le monde et est bien sûr l’une des principales causes du réchauffement climatique. Il devient donc urgent d’agir de façon concertée.
Pour être véritablement efficace, une politique urbaine en faveur de la livraison durable doit mobiliser l’ensemble des acteurs concernés et tenir réellement compte de leurs apports. Il est en ce sens nécessaire de réunir autour d’une même table les transporteurs, les autorités en charge de l’aménagement urbain mais aussi les entreprises et institutions propriétaires ou usagères d’espaces stratégiques potentiellement mobilisables. Au-delà des incitations et des obligations réglementaires, ce dialogue pourrait s’avérer décisif pour permettre aux intérêts de toutes les parties prenantes de converger.
Créer de nouvelles synergies pour mieux partager l’espace urbain
Concrètement, ce dialogue pourrait déboucher sur le développement de synergies nouvelles entre acteurs privés et publics. On sait que la RATP met désormais à disposition d’Amazon deux centres bus, vides en journée, pour permettre au géant américain de disposer de sites logistiques dans des zones où le foncier se fait rare. Sur le même modèle de mutualisation des ressources, les entreprises disposant de parkings de grande taille inutilisés la nuit ne pourraient-elles pas les mettre à disposition des professionnels des transports ? Des partenariats de ce type existent d’ores et déjà : la nuit, le groupe LVMH héberge ainsi dans ses parkings équipés de bornes de recharge les véhicules électriques qui, le jour, transportent ses salariés. L’usage des places de parking publiques ou des emplacements de livraison, qui se sont multipliés ces dernières années, pourrait également être optimisé par l’installation de bornes de recharge rapide dédiées à la livraison, indispensables à l’adoption massive des véhicules électriques par les spécialistes du dernier kilomètre. L’accès à ces bornes pourrait par ailleurs être simplifié par une harmonisation des conditions d’accès et une intégration des services d’abonnement, dont l’éclatement complexifie aujourd’hui considérablement le travail des transporteurs engagés dans la transition électrique de leurs véhicules.
L’objectif doit ainsi être de mieux partager l’ensemble des ressources et en particulier l’espace urbain.
C’est dans cet esprit que la Mairie de Paris a récemment développé des micro-hubs logistiques à destination des entreprises de livraison à vélo. Ils consistent en des entrepôts miniatures construits sur d’anciennes places de parking et doivent favoriser le décongestionnement de la capitale. Ces partenariats entre acteurs privés et publics sont absolument incontournables pour accélérer et optimiser la transition écologique du secteur de la livraison. Leur développement nécessite cependant l’implication d’un acteur clé : les mairies. Les maires ont l’opportunité de jouer un rôle déterminant en devenant les chefs d’orchestre et les facilitateurs de ce type d’initiatives. En favorisant les rencontres et en accompagnant les efforts conjoints des acteurs de l’écosystème urbain, ils donneraient aux politiques de transformation urbaine un véritable ancrage dans la réalité des usages.
La nomination au poste de première ministre d’Elisabeth Borne, ancienne ministre des Transports, peut être vue comme un signal positif à destination des professionnels du secteur. Dans ces temps de profonde mutation, les acteurs de la livraison ont plus que jamais besoin de pouvoirs publics à l’écoute, conscients de leurs enjeux et prêts à endosser des rôles nouveaux pour faciliter leur transformation écologique.
Philippe Tellini
Directeur des Partenariats groupe et des Affaires Publiques du Groupe TopChrono