Ses drapeaux en berne, la France se drape d’un deuil qui nous aliène tous. En abaissant le pavillon tricolore pour la disparition du pape, Emmanuel Macron échoue à faire taire le bruit du monde spirituel : il plonge notre République dans une tristesse qui n’est pas la sienne et qu’elle n’a jamais chérie. On ne ploie pas l’étendard national devant un prélat, si admirable soit-il, sans trahir le principe même de neutralité qui assure à chacun le droit de ne pas partager cette affliction.
Le souverain pontife reste, avant tout, le gardien d’une cité de Dieu, dont le pouvoir s’érige sur la foi et le dogme. Que ses prières pour la planète ou ses appels à la justice sociale vous bercent, peu importe : rien ne fait du pape l’émissaire des idéaux républicains, car ses convictions naissent d’un credo, non d’un pacte civique. En imposant à tous les Français la gravité d’un office funèbre, on confond pupitre liturgique et tribune politique, on voile la frontière entre l’intime et le collectif.
Ce n’est pas un incident isolé. De ses conciliabules à l’Élysée aux hommages ostentatoires, le chef de l’État navigue dans une laïcité élastique, prête à s’étirer selon le rite qui chante. Il a suspendu la promesse d’une loi sur la fin de vie pour honorer le souverain du Vatican, rallumé la flamme de Hanouka dans les salons officiels, tissé des liens sinueux entre le trône temporel et l’autel divin. Chaque fois, c’est un coup de ciseau porté au contrat laïque : l’État se fait célébrant, et la République, un temple à géométrie variable.
Pourtant, la loi de 1905 n’a jamais été un chiffon de papier sacré, mais la digue dressée contre la noyade des libertés dans la mer des convictions. Elle ne ménageait pas les susceptibilités religieuses : elle chassait les cultes hors du domaine public pour offrir à chacun la souveraineté de son esprit. Les bâtiments officiels doivent être les autels de tous, non les chapelles d’un seul. Le drapeau national, dressé sur ses mâts, ne ploie devant aucun dogme.
La laïcité, c’est l’air libre donné à chaque conscience : croire, ne pas croire, douter, changer d’avis, rester muet. Elle n’est pas une coexistence embrumée sous le regard bienveillant de l’État, mais un mur de séparation, solide comme un serment, infranchissable comme la ligne du tricolore. Quand un président vitupère contre cette forteresse, il dévoile une concession injustifiable : il existe une colère légitime, bien plus vive que le glas des clochers, et c’est celle de voir notre République — notre maison commune — devenir le sanctuaire d’un seul.
Kamel Bencheikh,
Écrivain
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