La mise en place prochaine du « Conseil national de la refondation » associant les « forces politiques, économiques, sociales, associatives » du pays ainsi que des citoyens tirés au sort témoigne d’un volonté assumée de l’exécutif pour faire perdurer la délibération au-delà du débat parlementaire. En mettant en place cette instance, le chef de l’Etat souhaite répondre à cinq objectifs de campagne : « L’indépendance, le plein-emploi, la neutralité carbone, les services publics pour l’égalité des chances et la renaissance démocratique avec la réforme institutionnelle. »
Dans notre démocratie, le désaccord politique reflète souvent un désaccord moral et des points de vue divergents sur des valeurs fondamentales. Toute théorie satisfaisante de la démocratie doit ainsi fournir un moyen de confronter et de surmonter ce désaccord. Comment alors trouver une manière moralement justifiable de produire des décisions collectives contraignantes malgré la persistance de ces désacords ?
Si la crise de confiance des citoyens envers leurs représentants est un constat, il existe de multiples formes d’activité et de participation à la vie de la cité qui ne relèvent pas immédiatement de la prise de décision. C’est celles-ci que nous devons cultiver.
Renouer le lien entre le citoyen et la cité
En 2017, Emmanuel Macron l’avait déjà pressenti : le défi des prochaines années pour la France serait de remédier à l’effondrement des partis politiques traditionnels, vidés de leur substance, en créant des moments de délibérations permettant de redonner un nouveau soufle au débat public. Il ne s’agit pas, à proprement parler, de donner la parole aux citoyens mais d’aller au plus près de leurs préoccupations. Le succès de la « grande marche » et la multiplication des comités locaux furent les témoignages d’une forte attente en ce sens.
La délibération ne se pratiquant peu ou plus au sein des partis, celle-ci s’est disséminée dans l’espace public au sein d’une « opinion publique » atomisée, phénomène accentué par les réseaux sociaux.
Or, comme le soulignait Alexis de Tocqueville dans son ouvrage De la démocratie en Amérique : « En forçant les hommes à s’occuper d’autre chose que de leurs propres affaires, il combat l’égoïsme individuel, qui est comme la rouille des sociétés ». Pour remédier à ce risque intrinsèque aux démocraties et à notre société individualiste et matérialiste, l’auteur insiste sur le rôle des « associations » afin de renouer du lien entre les citoyens et la cité.
Le Grand débat national ou la Convention citoyenne, moments de catharsis collective nécessaires, n’ont malheureusement pas abouti à un véritable projet concret. Ce qui leur a peut-être manqué : la prise en considération de la distanciation sociale, véritable mal pour notre société, qui dénoue un peu plus chaque jour les liens entre les citoyens que nous sommes. Face à ce constat, il apparaît urgent et primordial de redonner du sens mais aussi corps à la grande idée de Tocqueville : l’interpénétration de la société civile et de la société politique. Il nous appartient, désormais, de ne plus être « modérément » démocrates mais de tout mettre en œuvre pour consolider le tissu social en récréant des espaces de dialogues interindividuels, des lieux de discussion mais également d’instruction de la démocratie. Ces moments de délibérations citoyennes, véritables miroirs de la société doivent répondre à plusieurs objectifs et non des moindres : avoir le souci de son prochain (ce que l’épreuve de la pandémie n’a pas toujours fait ressortir) mais également faire l’apprentissage de la chose publique, de l’action et de la responsabilité. Ne sont-elles pas les meilleurs remparts contre les aveuglements naturels ?
L’écoute et le débat au chevet de notre démocratie
Pour ce faire, il nous faut dépasser les conventions citoyennes locales qui sont, certes, toujours nécessaires pour réunir plus largement des citoyens afin de confronter les idées, délibérer au sein d’un dispositif existant mais repensé. Un système reposant sur le tirage au sort parmi des représentants de différents corps sociaux au niveau, par exemple, de la circonscription, permettrait de renforcer le rôle local des députés.
Parmi les thématiques nationales prédéfinies par le Président de la République, la première pourrait être l’égalité des chances, car l’ascenseur social semble désormais en panne.
Il ne s’agit pas ici de trouver des solutions toutes faites mais de prendre le pouls du système, de partager des constats pour dresser un diagnostic national. Cette confrontation permettrait ensuite aux députés de formuler des propositions au plus proche de nos attentes dans un plus grand respect diminuant, de facto, les risques de conflit. Ces lieux de discussion pourraient réunir plusieurs dizaines de citoyens par circonscription qui deviendraient, le temps de quelques semaines, des citoyens engagés, échangeant sans tabou ni faux semblant sur la vie de la cité. Le fruit des délibérations serait alors porté par les députés et ferait l’objet d’une publication nationale, renforçant ainsi leur rôle sans pour autant créer un organisme dédié.
Pour une partie de la population, la République est une idée approximative, voire ringarde. Il en est de même pour la discussion. Pour Marc Bloch, « Le peuple français mérite qu’on se fie à lui et qu’on le mette dans la confidence ». Permettons alors aux représentants d’organiser la délibération et de promouvoir l’éducation politique des citoyens, de telle sorte que leur position et celle du représentant tendent à se rapprocher. Défendons l’idée d’une discussion collective au service du débat de fond et de l’émergence de consensus pour (ré)écrire, sereinement notre nouveau contrat social.
Delphine Jouenne
Associée cofondatrice du cabinet Enderby
Auteure d’Un Bien Grand Mot