De la communication digitale au risque dans le champ informationnel en passant par l’interaction avec la société civile, l’éventail de la diplomatie publique est vaste. Aussi, au regard de l’actualité et du rôle majeur joué par l’OTAN, nous avons interrogé Marie-Doha Besancenot sur sa perception de l’influence de l’organisation internationale.
Revue Politique et Parlementaire – Notre perception de l’OTAN a-t-elle évolué avec la guerre en Ukraine ? De quelle manière ?
Marie-Doha Besancenot – L’intérêt pour l’OTAN est soutenu, et lié à la perception de la menace. Lorsque l’on interroge annuellement les publics alliés sur leur volonté de rester dans l’OTAN, le soutien est très fort. Les réponses positives avoi- sinaient les 70 % pour la France et pour l’ensemble de l’Alliance à 60 %.
La longueur de la guerre a un impact ; il y a une lassitude. Pour autant, la défense collective est bien là. À la question : « Pensez- vous que votre pays peut se défendre seul ? », la plupart des pays répondent : « non, on a besoin d’alliés ».
RPP – Qu’en est-il de la confiance ?
Marie-Doha Besancenot – C’est une question centrale pour une Alliance qui repose sur un engagement de solidarité. Une donnée est préoccupante : lorsque l’on évoque la confiance dans les médias nationaux sur la couverture de la guerre en Ukraine, seuls 44 % des personnes interrogées ont confiance dans leurs médias pour dire la vérité sur la guerre et 49 % n’ont plus confiance. On voit décliner cette confiance depuis 2022.
Outre la lassitude, se détache une difficulté à comprendre et à saisir les éléments de la guerre et le sentiment que ce qui est présenté est d’emblée partisan.
RPP – Quelle lecture a-t-on selon les pays ?
Marie-Doha Besancenot – En Suède, en France et en Turquie, le risque terroriste est perçu comme plus important. L’intérêt pour l’OTAN est partout fort et l’engagement est bien là. La Défense ne laisse pas indifférent ; c’est un sujet intime. Cela est reflété par les taux d’engagement des publics sur les réseaux sociaux de l’OTAN, qui est très supérieur à d’autres organisations internationales. Les communautés sont très engagées – dans un sens ou dans l’autre ! – le sujet de la défense, et de la défense collective, fait réagir. On comprend qu’on ne peut pas faire l’économie d’une défense collective. Aucun allié ne peut se défendre tout seul. On a besoin d’alliés. Les nuances entre alliés viennent de la perception du risque selon la géographie. Elle est très forte sur le flanc est, les pays baltes et nordiques. Il n’y est pas nécessaire d’expliquer ce qu’est l’OTAN aux alliés qui viennent de renoncer à des décennies de neutralité militaire pour rejoindre l’OTAN. C’est un sujet existentiel. Plus on s’éloigne vers l’Ouest, plus on s’estime protégé par sa géographie.
Pour la France, ce sentiment est renforcé par l’existence et l’autonomie de notre dissuasion.
RPP – Qu’en est-il de la prise de conscience dans l’hexagone ?
Marie-Doha Besancenot – L’impact des menaces hybrides sur la sécurité nationale a fait l’objet d’une véritable prise de conscience politique. La France a réussi à doter Viginum d’un mandat incontestable, centré sur les ingérences étrangères. S’y ajoute une coordination interministérielle qui est la clé d’une réponse opérationnelle.
RPP – Comment les autorités nationales contribuent-elles au travail des organisations multilatérales sur ces sujets ?
Marie-Doha Besancenot – La décision d’attribuer une attaque dans le champ informationnel relève des autorités natio- nales, qui la partagent ensuite avec l’Alliance. Sur le mandat, plus généralement, de détection, coordination et réponse dans le champ informationnel, il se négocie directement avec les alliés en comité. Tout au long de l’année, les priorités des Alliés sont traitées en comités, donnant lieu à des positions communes et des recommandations de travail par les diplomates des 32 ambassades. Elles sont ensuite entérinées par le Conseil de l’Atlantique nord dans ses différentes formations – ministérielles et, une fois dans l’année, au niveau des chefs d’État et de gouvernement.
La voix des nations est intégrée dans toutes les étapes; elles passent leur temps à négocier, en lien direct avec leurs capitales.
RPP – Comment l’opinion publique est- elle prise en compte par les instances in- ternationales ?
Marie-Doha Besancenot – Maintenir un lien vivant avec les opinions publiques alliées a toujours été au cœur des missions de l’OTAN et de ma division en particulier. Pour cela, nous menons des enquêtes d’opinion annuelles, qui alimentent le rapport annuel du Secrétaire général de l’OTAN. Elles rendent compte du sentiment de sécurité des opinions publiques, leur foi dans l’Alliance, leur sentiment de solidarité, leur appétit à aller défendre un allié, etc. Ces indicateurs guident ensuite nos campagnes : si un public paraît particulièrement inquiet, ou vulnérable à un narratif adverse qui le déstabilise, nous lui dédions une campagne de réassurance. Cela a été le cas en Bulgarie l’an dernier par exemple, auprès d’un public senior, via un documentaire historique à la télévision sur les dix moments clés de l’histoire de la Bulgarie, dont l’accession à l’OTAN.
RPP – Quelles sont les valeurs en jeu ?
Marie-Doha Besancenot – L’objectif de l’OTAN est de préserver la paix et d’éviter le conflit. C’est une Alliance défensive avec une volonté de réassurance vis-à-vis du public de l’Alliance et de dissuasion vis-à-vis des adversaires. Nous faisons en sorte que les publics aient conscience des risques en disant clairement quel est l’état de la menace, tout en rassurant sur la protection que l’OTAN accorde à ses un milliard de citoyens.
RPP – Comment impliquez-vous les populations ?
Marie-Doha Besancenot – Nous nous assurons que le public comprend les risques et le mandat de l’OTAN, et s’intéresse aux enjeux de défense collective. On alerte ou on rassure les opinions publiques en fonction des besoins identifiés en lien avec les nations concernées. Aujourd’hui, les citoyens s’interrogent d’eux-mêmes sur les différentes composantes de leur défense, nationale et collective. Ils ont conscience que la guerre d’aujourd’hui est plus complexe qu’un franchissement de frontière par un char, et que les civils font partie d’une guerre informationnelle dédiée à déstabiliser les démocraties de l’intérieur et à contourner notre dissuasion.
Les responsables politiques de l’Alliance impliquent de plus en plus leur société civile dans des plans de résilience nationaux – qu’il s’agisse d’accroitre le nombre de leurs réservistes, de responsabiliser les civils via des livrets de bonnes pratiques, ou encore en encourageant le travail des médias indépendants.
RPP – Qu’en est-il de l’industrie ?
Marie-Doha Besancenot – Les capacités de production industrielles sont un sujet central dans le contexte actuel de rééquilibrage des investissements transatlantiques, des besoins immédiats de l’Ukraine, et de l’état de la menace. Les deux tiers des alliés se sont engagés à investir 2 % de leur PIB pour assurer leur propre Défense, mais cet effort est déjà considéré insuffisant pour protéger les citoyens dans un monde qui se réarme et où nos adversaires sont entrés dans une économie de guerre L’industrie a un rôle clé à jouer pour arriver à produire rapidement et durablement. En ce sens, l’OTAN peut être un facilitateur, en favorisant des commandes collectives et en encourageant la complémentarité des contributions, mais il revient à chaque pays de développer ses capacités.
Marie-Doha Besancenot
Secrétaire générale adjointe pour la diplomatie publique de l’OTAN
Propos recueillis par Mathilde Aubinaud