Marine Le Pen ne joue plus à celle qui respecte les institutions mieux que tous les autres. La patronne du RN s’est refermée dans une posture du refus. Plus question d’attendre un discours de politique générale ou un projet de loi de finances, encore moins un débat parlementaire avant de censurer le gouvernement. Pourquoi Marine Le Pen veut-elle esquiver le débat et renoncer à une tribune parlementaire qui sert si bien sa stratégie de la cravate ?
Il n’y a pas si longtemps, en avril 2022, sur ses affiches, Marine Le Pen adoptait une pose très sobre avec un slogan institutionnel « Pour tous les Français ». Aux législatives de 2024, le duo Le Pen-Bardella annonçait un très classique « La France revient ». La candidate RN à la présidentielle vantait à tout propos son respect des institutions et des procédures, même quand elle contestait sa condamnation pour détournement de fonds publics. Elle refusait de censurer le gouvernement par principe. Elle préférait poser ses conditions.
Mais depuis la démission de François Bayrou, la députée du Pas de Calais a perdu patience. Elle réclame la dissolution à corps et à cris, tout de suite, maintenant ! Elle pourrait recycler les vieilles affiches du FN de son père dans les années 80/90 barrées d’un seul slogan : « Le Pen vite ! » L’agacement de la présidente du groupe RN est palpable, jusque dans l’hémicycle où elle n’a pas la patience d’écouter le LR Laurent Wauquiez.
Certes, la crise provoquée par le vote de confiance perdu par le Béarnais a créé une instabilité plus forte, mais à vrai dire, le risque de dissolution existait déjà avec les gouvernements Barnier ou Bayrou avec lesquels la chef de file RN a négocié. Ce qui a changé, c’est que Sébastien Lecornu a décidé de se tourner vers les socialistes.
La stratégie paraissait improbable. Mais elle est dangereuse pour le RN. L’émancipation du PS vis-à-vis de LFI renverse la donne arithmétique. Les voix du RN ne sont plus déterminantes. D’où sans doute le changement de pied de la patronne du parti. La semaine dernière, à la question de savoir si elle censurerait le gouvernement s’il suspendait la réforme des retraites – qu’elle a pourtant contestée – Marine Le Pen ne s’embarrasse pas de nuances : « je censure tout, moi, là, maintenant. Je censure tout ! » Mais la suite de son propos est révélatrice, Marine Le Pen ne croit pas que le gouvernement puisse suspendre la réforme. « S’ils veulent suspendre, qu’ils suspendent, provoquait-elle. Ils ont largement le temps, entre maintenant et le moment où on déposera la motion de censure », et de s’avancer, « ce sera au bénéfice de tous ».
Car en octobre 2024, les députés RN avaient déposé une proposition de loi pour rétablir l’âge de départ à 62 ans. Quelle serait la position du parti de Marine Le Pen lors d’un débat budgétaire suivi et décortiqué par les Français ? Pourrait-elle encore défendre la retraite à 62 ans sans dire comment elle la financerait ? Comment se positionnerait-elle sur la taxation des holdings familiales ou sur une contribution exceptionnelle des grandes fortunes, y compris celles qui financent des médias dont elle se sent proche, comme le soulignait le socialiste Boris Vallaud ?
Depuis 2024, la présidente du RN se trouvait dans une posture confortable. Elle pouvait réclamer des mesures à destination de son électorat populaire, en abandonnant le casse-tête de leur faisabilité financière au gouvernement avec lequel elle négociait. Avec ce renversement arithmétique, c’est le PS qui occupe cette position.
La non-censure proposée par Sébastien Lecornu n’est pas gratuite. Certes, il cède sur la suspension de la réforme des retraites, mais il prévient que le coût devra en être compensé. Le débat budgétaire qu’il propose ne devra pas correspondre au concours Lépine des idées les plus électoralistes, il devra aussi tenir compte de la cohérence financière des propositions de ceux qui aspirent à gouverner. Une condition de cohérence qui ne fait pas partie de l’ADN du RN.
Marie-Eve Malouines
Editorialiste