A trois jours du premier tour de l’élection présidentielle, le politologue et président de Pollingvox, Jérôme Sainte-Marie, répond aux questions d’Arnaud Benedetti.
Revue Politique et Parlementaire – Le premier tour, ce dimanche 10 avril, peut-il nous réserver des surprises ? et si oui lesquelles ?
Jérôme Sainte-Marie – Par définition, une surprise peut toujours survenir, mais dire cela n’est pas dire grand-chose. Avant chaque scrutin majeur, par espérance, calcul ou anxiété, les passionnés de politique envisagent des scénarios alternatifs à ce que laisse envisager les sondages du moment. Cette fois-ci on parle beaucoup d’une hypothétique qualification pour le second tour de Jean-Luc Mélenchon et plus encore d’un supposé « vote caché », notamment parmi les partisans d’Éric Zemmour. Pour ce candidat, qui a tant misé sur les sondages lors du lancement de sa campagne, l’enjeu est à l’évidence de maintenir la fidélité de ses électeurs potentiels et d’éviter un réflexe de « vote utile » au profit de Marine Le Pen.
Il existe au moins deux objections à cette idée. Tout d’abord, sur les trois dernières élections présidentielles, l’ordre d’arrivée des principaux candidats a été exactement établi par les sondages de la dernière semaine. En 2017, alors qu’au soir du 21 avril le score des quatre premiers candidats sont compris dans l’étroit intervalle entre 19,5 %, Jean-Luc Mélenchon, et 24,1 %, Emmanuel Macron, tous les instituts voient leurs intentions de vote confirmées. En 2012 c’est à peu près la même chose, même si le score de Jean-Luc Mélenchon s’avérera moindre que prévu, ainsi qu’en 2007, élection marquée par une plus grande dispersion des mesures sondagières.
Ensuite, le recours à l’argument du vote caché est des plus classiques, malgré de réguliers démentis par la réalité. Ce fut celui de certains sarkozistes lors de la primaire de la droite et du centre en 2016, puis celui de fillonistes en 2017, sans la moindre confirmation dans les urnes. Rappelons aussi la lourde remise en cause des sondages par la France insoumise durant la campagne des élections européennes en 2019, qui prétendait même disposer de ses propres mesures démentant les chiffres publiés par les médias. Finalement, la seule différence les concernant entre les derniers sondages et le score réel de la liste conduite par Manon Aubry fut que celui-ci s’avéra moindre qu’escompté.
RPP – L’une des clefs de ce scrutin sera aussi le niveau de participation. Pourquoi les instituts de sondage ont-ils autant de mal à l’estimer ?
Jérôme Sainte-Marie – En ce mercredi 6 avril, les évaluations de la participation publiées par les instituts de sondage tournent autour de 70 %. Ce serait pour un premier tour un record à la baisse sous la Ve République, moindre que les 71,6 % de 2002. Notons à ce propos que le niveau de participation à la présidentielle a culminé en 1974 à 84,2 % au premier tour et à 87,3 % au second.
Pour établir la participation, les instituts de sondage ne retiennent que les inscrits qui sur une échelle d’intention de voter choisissent la note maximale, 10, ou bien parfois les deux plus hautes, 9 et 10. Pour Kantar, la première mesure donne 61 % et la seconde 74 % Il peut aussi être tenu compte de l’intérêt pour la campagne en évaluant les différences par rapport à des scrutins précédents.
La préoccupation de tous les observateurs de cette élection se porte sur la participation car celle-ci a été dramatiquement faible aux régionales de 2021 – 34,7 % au lieu de 58,4 % en 2015. Est-ce, comme ce fut le cas pour les municipales de 2019, l’effet conjoncturel de la pandémie de la Covid-19 et des mesures préventives adoptées, ou bien une tendance qui emportera tous les scrutins, et dans quelle mesure ? L’incertitude demeure.
A vrai dire, cette question se pose surtout par rapport aux intentions de vote enregistrées : peut-on attendre d’une abstention imprévue un démenti de celle-ci ? Je n’en suis pas sûr car si, par hypothèse, il y avait un surcroît de dix points d’abstention par rapport à 2017, plusieurs électorats en seraient affectés prioritairement – on songe à celui de Marine Le Pen mais aussi de Jean-Luc Mélenchon et de Yannick Jadot, assez jeunes, mais cette liste n’est pas limitative – ce qui en réduirait l’effet.
RPP – Cette campagne constitue-t-elle un tournant dans la relation des Français à la politique ?
Jérôme Sainte-Marie – Je ne le pense pas, car la spécificité de la campagne, et notamment l’impression chaotique qu’elle dégage parfois, tient pour l’essentiel à un événement majeur mais exogène, la guerre en Ukraine.
On retrouve un intérêt élevé pour le scrutin, moindre de quelques points seulement selon Ipsos du niveau atteint en 2017, et des attentes à la fois morales et matérielles liées à une inquiétude identitaire d’une part, une préoccupation pour notre modèle social d’autre part. La présidentielle reste très logiquement le grand rendez-vous démocratique des Français, quelles que soient les circonstances.
Jérôme Sainte-Marie
Président de Pollingvox
Propos recueillis par Arnaud Benedetti