A la veille d’une nouvelle journée nationale de mobilisation contre la réforme des retraites, Jacky Isabello cofondateur de l’agence Coriolink, décrypte la stratégie du gouvernement en termes de communication.
Dans son ouvrage Le savant et le politique Max Weber prétend que : « toute l’expérience historique confirme que l’on n’aurait jamais pu atteindre le possible si dans le monde on ne s’était pas toujours et sans cesse attaqué à l’impossible. » La stratégie adoptée par le chef du gouvernement Edouard Philippe consiste à s’engager dans cette direction. Puisque réformer les retraites, de surcroît en tentant de supprimer les régimes spéciaux de certaines professions des transports publics, se range sans doute dans la case des réformes a priori impossible à mener. A l’approche d’une nouvelle manifestation programmée pour le 17 décembre quelle est la stratégie du gouvernement en termes de communication ?
Alors que la saison 1 d’une série palpitante « Macron et Philippe réforment les retraites » s’était achevée sur une nouvelle rupture avec un syndicaliste, et pas n’importe lequel, Laurent Berger le patron de la Cfdt, celui avec lequel « un deal » devait se faire pour conduire cette réforme, chacun pouvait s’accorder sur la communication calamiteuse de la part du président de la République et de de son chef du gouvernement. Alors qu’une nouvelle religion du livre de la fin de vie des Français, devait, sous la plume du prophète M. Delevoye, édicter l’orthopraxie pour escompter connaître une fin de vie heureuse et financièrement aisée la machine s’est détraquée. Macron, sur un coup de tête, réfuta un verset essentiel pour Delevoye celui de l’âge pivot, les ministres se mirent à dire tout et son contraire, le Haut-commissaire aux Retraites et le Premier ministre n’étaient d’accord sur rien.
La saison 2 allait-elle dévoiler un scénario dans lequel les protagonistes se réconcilieraient et vivraient heureux et surtout nous permettraient de faire beaucoup d’enfants pour financer les retraites ? Car s’il est une évidence, c’est que ne pas mourir après une longue carrière coûte quelques deniers à un Etat déjà bien impécunieux dans de nombreux domaines.
Ce drame, dont le scénario décrivait Laurent Berger irrité par les annonces du Premier ministre replaçant l’âge pivot dans son projet, avait de mon point de vue un intérêt majeur. La cacophonie orchestrée par nos dirigeants plaçait M. Berger, s’il n’avait pas joué la scène du psychodrame, dans la situation d’un syndicaliste supplétif du gouvernement, dont il n’aurait pas fallu attendre longtemps pour que M. Martinez, l’acteur cégétiste, le traite de « jaune », de briseur de grève. Situation qu’avait connue en 2003 la Cfdt lors d’une précédente réforme des retraites. A l’époque la centrale de Montreuil, cornaquée par François Chérèque, avait subi la perte de plus de 15 000 adhérents, soit entre 15 et 20 % de ses effectifs.
Dans la saison 2, l’histoire dans l’histoire se dessine clairement à la vue des Français excédés par un blocage massif et durable de leurs moyens de transport. L’ambition des équipes qui s’opposent serait de laisser se dessiner une place de choix pour une belle avancée dans les négociations ; énucléer la mesure dite de l’âge pivot de 64 pour partir en retraite avec une pension complète. Plaçant ainsi en arrière de la scène la demande jugée extravagante de la CGT de retirer simplement le texte du gouvernement. Si j’en juge les sondages, les Français adhèrent massivement à l’idée de supprimer les régimes spéciaux, mais sont hostiles à cet âge pivot qui rappelle de tristes souvenirs chez le dentiste plus qu’une fin heureuse sur une plage de sable fin.
En termes de communication il était essentiel de placer l’attention des médias autour de cette forme d’opposition raisonnable.
Important pour le gouvernement puisqu’ainsi il perçoit comment ouvrir la possibilité de réformer et donc d’exécuter la promesse du candidat Macron. Important pour la Cfdt qui reste dans son rôle de syndicat, c’est-à-dire une organisation dont l’objet social est avant tout de porter des revendications et de négocier avec le pouvoir en place aux meilleurs bénéfices des travailleurs. De plus, cette saison, qui égrène les jours de tension, semble dessiner une « association de malfaiteurs » entre Edouard Philippe et Laurent Berger pour laisser l’immobile Philippe Martinez se draper du costume de l’opposant borné n’ayant aucune autre proposition que celle de se prendre, non pas pour un négociateur, mais tout simplement pour le chef d’un gouvernement ce qu’il n’est pas. Il semble croire à ce cadeau que pourrait lui faire le père Noël tout en menaçant de priver de cette période familiale sainte et inattaquable aux yeux de nos concitoyens. D’un point de vue de la tactique politicienne Machiavel aurait applaudi à la manière dont le chef du gouvernement et le patron de la Cfdt porteraient un très mauvais coup à un syndicat peu réputé pour sa souplesse dans l’art de négocier, si M. Martinez s’enfermait dans une telle impasse. On comprend ainsi pourquoi le chef du gouvernement a sévèrement critiqué dans Le Parisien dimanche les grévistes, qui provoquent de très importantes perturbations dans les transports. « Noël c’est un moment important. Il faudra que chacun prenne ses responsabilités. Je ne crois pas que les Français accepteraient que certains puissent les priver de ce moment ».
A l’approche de la grande grève du 17 octobre avant que les enfants rangent leurs cahiers pour deux semaines de vacances et que le Haut-commissaire aux retraites découvre une nouvelle série de mandats d’administrateur, la pilule doit malheureusement rester amère pour les Franciliens.
Il s’agit de rendre l’atteinte à la liberté de se déplacer intolérable aux yeux de l’opinion publique.
Ainsi finaliser la réforme deviendra un impératif puis perdra de l’attention qu’elle suscite dans la société française pour se déplacer, avec les yeux de la colère, vers les dangereux extrémistes qui tentent de saboter les tentatives de laisser loin des algarades la douceur de Noël.
Jacky Isabello
Cofondateur de l’agence Coriolink