À la suite de deux nouveaux meurtres de femmes en France, l’avocate féministe Violaine De Filippis, porte-parole de l’association « Osez le féminisme », s’est permise une saillie – si j’ose dire – sur une chaîne d’informations en continue. Entre deux affaires encocaïnées, la prêtresse néogenrée lançait, sûre d’elle, que les féminicides étaient dus à « notre culture judéo-chrétienne » qui, d’après elle, permettrait un engendrement systémique de ces crimes.
Il est curieux qu’une telle affirmation sans fondement rationnel sorte de la bouche d’une avocate, dont on pourrait penser que la profession soit gage d’une construction argumentative sérieuse et syllogistique. Il n’en est rien, car tout le mal trouve désormais sa cause dans la systémie, et dans une systémie idéologisée car l’ennemi, c’est le christianisme, c’est l’Église, et c’est Dieu. Les dieux contre Dieu… pari perdu d’avance s’il en est. La systémie (ou « systémique » pour les puristes) ne propose rien d’autre qu’une facilité globalisante d’interprétation d’un fait, mais plutôt que d’appréhender la réalité de ce fait, dans une approche finalement classique, on projette sur ce dernier une idée présupposée. Pire, chez les ayatollahs de la systémique, ce rejet maladif de l’ancien : tout ce qui n’est pas nouveau est désuet, et tout ce qui est désuet est mauvais. Ainsi peut-on lire, à titre d’exemple, tant chez Daniel Durant que chez Jacques Lapointe (dont l’un a vraisemblablement plagié l’autre[1]), que le rationalisme cartésien serait celui d’Aristote, et que tout d’un bloc il faudrait le rejeter car contraire aux principes de la systémique.
Aucune once de raisonnement, une affirmation : le monde s’analyse en système. Brûlez les autres, Dieu (ou « nous ») reconnaîtra les siens. Fascisme axiologique, donc, bien repris par notre jeune plaidante en herbe sur les plateaux de télévision (coupables ?) ; après le désormais fameux rapport de la CIASE, c’est toute la société judéo-chrétienne (sous-entendez « l’Europe », hors Ukraine) qui doit être montrée du doigt par la pensée unique, ou plutôt la pensée du « soi ».
Si maître de Filippis (et pourtant, il est écrit « Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres »[2]) n’avait pas passé son temps libre à s’ériger comme éternelle adolescente en lutte contre l’odieux patriarcat postmoderne, ou à se contenter des lignes d’Annie Ernaux ou des twitts de Sandrine Rousseau, sans doute aurait-elle pu se plonger dans les fondements de la société judéo-chrétienne qu’elle méprise du haut de son piédestal bfm-isé. Sans doute aurait-elle découvert que, face au gynécée grec, face au mariage cum manuromain, face à la situation des femmes mésopotamiennes et dans tout le pourtour méditerranéen, la société judéo-chrétienne a apporté un renversement jamais observé depuis : celui de l’égalité. Notion inexistante chez les païens et dans les sociétés primitives, l’égalité entre l’homme et la femme est revendiquée dès la Genèse, par l’interdépendance des termes hommes et femmes (ish et ishshâh) et par cette phrase : « « l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un »[3]. Mieux encore, la théologie paulinienne pousse toute la chrétienté à oser une véritable déconstruction pour une élévation de l’humanité libérée de ses chaînes originelles : « En effet, vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus »[4]. Et le Christ lui-même n’empêche-t-il pas ce que les conformistes appellent « féminicide » : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre »[5] ?
Déborah, Judith, Rachel, Sara, Myriam, Tamar, Esther, Ruth, ont marqué de leur force la tradition juive. Et que dire de celle que Claudel évoquait en ces termes : « O mère de mon Dieu ! O femme entre toutes les femmes ! Vous êtes donc arrivée après ce long voyage jusqu’à moi ! Et voici que toutes les générations en moi jusqu’à moi vous ont nommée bienheureuse ! »[6]. Mais La jeune fille Violaine (de Filippis) n’a pas dû lire beaucoup Claudel…
Les premières martyres chrétiennes, comme Agnès et Cécile, n’appelaient-elles pas à respecter au nom du Christ la liberté de la femme ? L’Église n’a-t-elle pas lutté, durant des siècles, pour que le mariage dit « par rapt » ou « par enlèvement » soit condamné pour permettre l’expression libre du consentement de la femme[7] ?
N’est-ce pas le premier empereur chrétien, Constantin, qui a condamné ces pratiques dégradantes pour la femme ? Le concile de Chalcédoine de 451 n’a-t-il pas condamné, comme de nombreux autres par la suite, la dépréciation de la femme et les violences faites à son encontre : « Les ravisseurs de femmes, même sous prétexte de mariage, et ceux qui coopèrent avec eux ou les aident, le saint concile a décidé que, s’ils sont clercs, ils perdront leur dignité, s’ils sont moines ou laïcs, ils seront anathématisés »[8] ?
Plus récemment, Jean-Paul II, en 1995, appelait les États et les institutions internationales à faire « ce qu’il faut pour redonner aux femmes le plein respect de leur dignité et de leur rôle », et que « l’Église entend bien apporter, elle aussi, sa contribution à la défense de la dignité, du rôle et des droits des femmes »[9].
Quelques années plus tôt, le même pontife écrivait encore que « Si la violation de cette égalité, qui est à la fois un don et un droit venant de Dieu Créateur lui-même, comporte un élément défavorable à la femme, par le fait même elle diminue aussi la vraie dignité de l’homme »[10].
Benoît XVI disait encore : « Il existe des lieux et des cultures où la femme fait l’objet de discrimination ou est sous-estimée par le seul fait d’être une femme, où l’on recourt à des arguments religieux ou aux pressions familiales, sociales et culturelles, pour soutenir la disparité des sexes, où sont commis des actes de violence à l’égard de la femme en la rendant objet de mauvais traitements et d’exploitation publicitaire. Face à des phénomènes aussi graves et persistants, l’engagement des chrétiens est encore plus urgent pour qu’ils deviennent partout les promoteurs d’une culture qui reconnaisse à la femme, dans le droit et dans la réalité des faits, la dignité qui lui revient »[11].
Cette tradition judéo-chrétienne fustigée par maître de Filippis n’a-t-elle pas fait d’Hildegarde de Bingen et de Thérèse de Lisieux des docteurs de l’Église ? Peut-être aurait-elle préféré qu’elle en fît des « doctoresses »… alors là, je m’incline… l’argument est irréfutable.
S’il y a une dépréciation de la femme dans l’histoire, sans doute faut-il la chercher du côté d’une secte chrétienne, certes, plutôt germanique par ailleurs, qui a nié le principe même du libre-arbitre, mais certainement pas dans la culture judéo-chrétienne.
Il n’y a rien de systémique dans la culture judéo-chrétienne, si ce n’est la recherche constante de la paix sociale à travers cette certitude qu’elle est un moyen sotériologique.
La systémique, c’est la réponse de l’ignorance violente face au fait que la raison faible ne peut expliquer. Bref, c’est la sécurité de l’opinion publique.
J’ajouterai, pour conclure, qu’avec l’égalité, cette culture judéo-chrétienne a apporté une autre dimension novatrice à l’humanité, quelque chose que nulle autre culture n’a établi comme fondement de son existence : la miséricorde. Alors, maître, je vous pardonne.
Pierre-Louis Boyer
Maître de conférences HDR en Droit, Le Mans université, ThémisUM
[1] J. Lapointe, « L’approche systémique et la technologie de l’éducation », [En ligne] ; D. Durand, La systémique, Paris, PUF, Que sais-je ?, 2017.
[2] Mt., XXIII, 10.
[3] Gn.., II, 24.
[4] Gal., III, 28.
[5] Jn., VIII, 7.
[6] P. Claudel, Cinq grandes ôdes, Paris, NRF, 1919, p. 83-84.
[7] S. Joye, La femme ravie. Le mariage par rapt dans les sociétés occidentales du Haut Moyen Age, Paris, Brepols, 2012.
[8] Canon 27.
[9] Jean-Paul II, Lettre aux femmes, 29 juin 1995.
[10] Jean-Paul II, Mulieris dignitatem, n°10, 1988.
[11] Benoît XVI, Discours du 12 février 2008 au congrès international « Femme et homme, l’Humanum dans sa plénitude ».