Le 23 décembre 2015, le gouvernement proposait un projet de loi visant à modifier la Constitution par l’ajout d’un nouvel article concernant la déclaration de l’état d’urgence. L’argument avancé pour cet ajout constitutionnel était la marge de manœuvre encore trop faible des instances administratives.
Le gouvernement ajoutait que l’inscription, dans la Constitution, d’une nouvelle disposition propre à l’état d’urgence, permettrait d’accroître les pouvoirs régaliens dans le cadre des perquisitions et contrôles d’identité. L’article 2 du texte ambitionnait de permettre la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français ; mesure visant à sanctionner les auteurs des crimes les plus graves.retrouve ce projet n° 3381 intitulé « Projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation » sur le site officiel de l’Assemblée nationale. Le projet note que la Constitution ne propose « que deux régimes particuliers pour le temps de crise », l’article 16 – la possibilité pour le chef de l’Etat de prendre les pleins pouvoirs lorsque l’intégrité du territoire est menacée de manière grave et immédiate – et l’article 36 – l’état de siège – et ajoute qu’aucun des deux régimes n’est « adapté à la situation que la France affronte actuellement ». C’est donc vers une potentielle constitutionnalisation de l’état d’urgence que le gouvernement s’était tourné.
Dix-huit mois plus tard, l’état d’urgence est toujours au cœur des projets législatifs. Le 24 mai, Emmanuel Macron déclarait vouloir sortir de l’état d’urgence. Celui-ci arrive à échéance le 15 juillet mais le chef de l’Etat souhaite le prolonger jusqu’au 1er novembre 2017, pour la sixième et dernière fois.
A l’état d’urgence succèdera le projet que le Premier ministre Edouard Philippe présentait le jeudi 22 juin en Conseil des ministres. Il s’agit du projet de loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » aussi appelé « loi antiterroriste ».
Le texte doit prendre la suite de l’actuel régime d’état d’urgence et ambitionne d’y mettre fin en le faisant entrer dans le droit commun.
L’état d’urgence verrait donc basculer dans le droit commun certaines de ses mesures telles que la facilitation de l’assignation à résidence, les perquisitions de jour et de nuit, le port d’un bracelet électronique et la fermeture de certains lieux de culte. La transposition, dans le droit ordinaire, des mécanismes propres à l’état d’urgence témoigne d’un glissement sécuritaire qui suscite l’inquiétude dans le monde juridique.
Ce régime, comme son nom l’indique, est une dérogation, dont la nature est d’être temporaire et qui ne doit, en aucun cas, se transformer en une situation permanente. L’état d’urgence consiste en une mise entre parenthèses de l’Etat de droit au profit du maintien de l’ordre public et implique, à cette fin, une nécessaire restriction des libertés. Fort logiquement, les inquiétudes s’intensifient chez les juristes, magistrats et défenseurs des libertés publiques. La juriste Mireille Delmas-Marty a, par exemple, adressé une lettre ouverte au chef de l’Etat, dans laquelle elle l’appelle à ne pas faire de choix entre sécurité et liberté, soulignant la fragilité de l’Etat de droit.
Romane Guéchot