Les députés de la commission spéciale ont voté la suppression des Zones à faibles émissions (ZFE) interdisant l’accès de plusieurs grandes villes aux véhicules les plus polluants. Le projet poursuit pourtant un objectif consensuel : réduire la pollution des ville ; mais il révèle une évidence politique négligée : une bonne loi, c’est d’abord une bonne méthode.
Un vote en commission n’a pas la même valeur que le débat dans l’hémicycle, mais il signe d’ores et déjà l’échec des zones ZFE en France. Les deux amendements qui ont conduit à la suppression étaient déposés l’un par LR, l’autre par le RN, mais ils ont été soutenus par des élus du bloc macroniste tandis que les parlementaires de gauche ont préféré s’abstenir, sans essayer de sauver les Zones à faibles émissions. La mise en place des ZFE constitue l’exemple type de la complexité de l’action politique.
Au départ, il y a une volonté que personne ne conteste, les voitures qui roulent à l’essence ou au diesel polluent l’atmosphère des villes et ont de graves conséquences sur la santé de leurs habitants. Il faut donc réduire leur présence dans les grandes agglomérations. Comment faire ? Comme souvent, la réponse semble d’une évidente simplicité : puisqu’il faut réduire la circulation des voitures polluantes, il suffit d’interdire la circulation de ces véhicules. Mais comme il apparait évident que les automobilistes rechigneront, il est décidé qu’en leur donnant un délai suffisant, ils auront le temps de se faire à l’idée et de changer de voiture. Un dispositif d’aide aux plus modestes devrait border le dispositif sur le plan social.
Seulement, la réalité est plus complexe. Le dispositif a pourtant bien du mal à s’imposer. Le parc automobile ne se renouvelle pas aussi vite qu’espéré. Pour des questions de pouvoir d’achat, mais aussi parce que se répand le sentiment d’une ségrégation sociale entre ceux qui ont les moyens de changer de voiture et ceux qui ne le peuvent pas, ceux qui bénéficient de solutions alternatives à la voiture, et ceux qui n’en ont pas. Ceux qui vivent dans les grandes métropoles, et ceux qui habitent à leur lisière et s’en sentent exclus. Ces derniers ont le sentiment que l’effort est injustement réparti.
Les ministres ont beau rappeler l’efficacité de la mesure, elle se heurte à la même réalité politique que les 80 km/h ou la taxe gazole, pour être convaincante, avant d’être efficace, une mesure doit à la fois être applicable et juste. Or, ce dernier point parait fragile car les pouvoirs publics eux-mêmes semblent hésitants. En 2021, la loi a confié aux communes la responsabilité de son application, comme si le gouvernement préférait prendre ses distances. Il réduit le soutien aux véhicules électriques, et met rapidement fin au dispositif de leasing social, trop lourd pour ses finances. Certaines villes ont reporté le calendrier de mise en œuvre, et finissent par mettre en place des systèmes dérogatoires ou bien reportent les sanctions pour les éventuels contrevenants. Toutes ces précautions traduisent une incapacité de répondre à la question posée par ceux qui ont besoin de leur vieille voiture sans pouvoir la remplacer : « et comment je fais, moi ? ». Autant de signaux qui affaiblissent le bien fondé du dispositif en laissant libre cours à d’autres arguments qui n’ont plus rien à voir avec l’objectif premier : la santé des habitants. Le rappel des 80 km/h se glisse dans le débat parlementaire, le souvenir des Gilets jaunes revient hanter les esprits. L’évocation de ce grand malentendu rappelle que le fossé ouvert entre dirigeants et administrés n’est toujours pas comblé. L’art politique n’est pas qu’un art de persuasion. Il se base sur la connaissance des réalités et sur la définition de la méthode adéquate. Avant d’interdire les voitures polluantes, que personne n’a envie de défendre, il faut d’abord comprendre à qui et à quoi elles servent afin de trouver comment les remplacer avant de décider de les interdire.
Marie-Eve Malouines
Editorialiste