Pour la Revue Politique et Parlementaire, Michel Monier s’attaque à l’inflation ministérielle et souligne son impact sur la permanence de l’action publique, mettant en avant le rôle prépondérant de l’administration dans la gestion à long terme, au détriment du mandat démocratique des ministres.
L’inflation, c’est comme les trains, elle peut en cacher une autre.
Il y a celle des prix, celle des normes et des « lois ». Nous savons que l’inflation c’est une perte de valeur. Alors, que penser de l’inflation ministérielle ? La question passe sous les radars détecteurs de couleur (gauche ou droite, un peu plus ou un peu moins à gauche ou à droite ?) et de la parité. Elle passe sous ces radars si ce ne sont les commentaires et observations, à chaud, sur le gouvernement plus ou moins resserré. Ce sont là des analyses qui relèvent de l’observation momentanée, des observations faîtes … en même temps que les nominations.
Une observation non pas en même temps mais sur le temps long fait décompter que depuis l’élection présidentielle de 2017 ce sont 110 ministres et secrétaires d ‘État qui ont été nommés. 110, à ce jour.
Qu’il y ait parmi ces 110 nominations des reconduits importe peu. Que tel ou tel ministère soit ou non selon le gouvernement, de plein exercice importe peu. Que le rang protocolaire de tel ou tel soit déclassé importe, finalement, peu.
Ce tsunami de nominations, cette inflation de casting, pose une autre question : celle de la permanence de l’action publique (et subsidiairement celle du nombre de canards, s’il y a dans chaque ministère la tradition du lâcher de canard dans les jardins ministériels comme elle existe à l’hôtel de Brienne – ministère de la défense – quand un nouveau ministre s’y installe).
La succession des 110 nominations de ministres depuis 2017 c’est l’application à l’art de gouverner de cet axiome keynésien : « réfléchir à long terme est une mauvaise méthode pour résoudre les problèmes car à long terme nous serons tous morts ». Décidemment Keynes encore, comme si ça ne suffisait pas avec le déficit et la dette…
L’inflation ministérielle source de changements fréquents fait poser la question de la permanence de l’action publique. Qu’un gouvernement s’installe pour un « tournant », pour un « acte deux » (ou trois), ce qui importe c’est que « sous la conduite du Premier ministre le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Il dispose de l’administration et de la force armée » (article 20 de la Constitution). Si à l’évidence les gouvernements qui se succèdent déterminent la politique de la Nation est-ce qu’ils la conduisent vraiment ?
Il faut se rassurer : l’administration, forte des administrations centrales, est là pour en assurer la permanence de l’action publique.
Elle l’assure en prenant les « tournants » prudemment, en anticipant qu’un « acte trois » viendra bientôt qui évite de se précipiter à mettre en œuvre l’acte deux du moment. Elle sait qu’un gouvernement peut en cacher un autre ! C’est là ce que l’on nomme « science administrative »
L’administration c’est le bras armé, c’est la force d’action de l’action publique, parfois la force de résistance. Elle en les moyens. L’administration c’est une autre inflation, elle est l’inflation sous-jacente du coût de production des services publics. Mais, c’est une autre histoire : celle de la théorie du ruissellement dont l’administration démontre, de façon experte, que le ruissellement n’est pas une théorie. Quand l’un des trois versants perd des effectifs, les deux autres en gagnent.
Oui, ça ruisselle, ça croît et les incessants changements de gouvernement confortent le pouvoir des « agents publics », cette technocratie qui, instruite des leçons de Galbraith, ne cesse de consolider un Nouvel État …non pas industriel mais … administratif.
Au déficit des finances publiques l’inflation ministérielle ajoute un déficit démocratique : l’administration se fait dépositaire du long terme et elle gouverne les ministres. Intermédiaire entre le citoyen et les élus elle agit comme titulaire d’un mandat implicite. Les ministres passent (et les canards aussi).
Michel Monier,
Membre du Think tank CRAPS – cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale,
Ancien DGA de l’Unédic.