Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères répond à la Revue Politique et Parlementaire et livre son analyse sur la realpolitik et la diplomatie française actuelle.
Revue Politique et Parlementaire – Les attentats de Paris, avec la décision du chef de l’État de réorienter sa politique étrangère, en tenant compte notamment de la position russe, marquent-ils, de la part de la France, le début d’une “realpolitik” que vous appelez de vos vœux ?
Hubert Védrine – La “realpolitik” n’est rien d’autre qu’une politique qui se méfie des chimères et prend en compte les réalités. Donc tôt ou tard, toute politique étrangère doit s’y soumettre même si dans nos démocraties ultra-médiatisées, la tentation est forte d’adopter au départ des postures dites “morales» qui plaisent à l’opinion, avant que la réalité ne se réimpose. Cela fait un certain temps que la France, comme les autres pays occidentaux, combine les deux dans une proportion qui varie avec le temps et la personnalité des dirigeants, d’où l’importance du discours de François Hollande à Versailles après les attentats.
RPP – Peut-on concilier diplomatie réaliste avec la politique des droits de l’Homme à laquelle est attachée la gauche française?
Hubert Védrine – Bien sûr. D’autant qu’on n’a pas le choix. Comment faire autrement ? Il y a d’ailleurs une tromperie sur le terme de la politique des droits de l’Homme. Tout le monde est pour les droits de l’Homme, mais dans la plupart des cas, il s’agit d’un affichage à usage interne qui ne renforce pas spécialement le respect des droits de l’Homme à l’extérieur dans tel ou tel pays incriminé. Cela dit, le respect des droits de l’Homme s’imposera de plus en plus, du fait de dynamiques internes, pas du fait de notre prosélytisme. Donc là également, il faut trouver le bon dosage.
RPP – Dans le monde nouveau qui se dessine, le modèle occidental fondé sur la démocratie et son prosélytisme est-il toujours d’actualité ? Le droit d’ingérence préconisé par Bernard Kouchner et Bernard Henri-Lévy, qui a montré ses limites dans les révoltes des printemps arabes, n’a-t-il pas vécu ?
Hubert Védrine – Le monde occidental, issu d’une chrétienté très prosélyte, oscille toujours entre traiter avec le monde extérieur (réalisme, diplomatie) et le convertir: autrefois évangélisation, aujourd’hui démocratisation et droits de hommisation, par la conviction, les sermons, les sanctions ou la force. Depuis la décomposition de l’URSS, c’est ce dernier courant qui a dominé en Occident dans les médias et, par voie de conséquence dans la classe politique : aux États-Unis, néo conservatisme ; en France, ingérence ; en Europe, sanctions et conditionnalités. Ce mouvement a provoqué des catastrophes (Irak 2003) ; il atteint ses limites ; il reflue ; il faut en faire le bilan et penser la suite.
RPP – Le gaullo-mitterrandisme revisité qui est d’une certaine façon l’axe sur lequel repose la politique étrangère française vous paraît-il toujours guider la présidence de François Hollande ?
Hubert Védrine – Cet “axe” a déjà été malmené sous Nicolas Sarkozy qui voulait rompre avec ses prédécesseurs. On retrouve plus ou moins cette filiation dans notre politique étrangère en Afrique (Mali, RCA), à nouveau sur la Russie (processus de Minsk). Au Moyen-Orient, dans le monde arabe, c’est moins évident. Il faut dire que le monde est devenu plus compliqué et que l’absence de vraies réformes économiques en France réduit notre audience. Malgré cela, la France garde de vrais atouts. Elle reste “attendue” selon la formule de Laurent Fabius, et écoutée.
Propos recueillis par Mario Guastoni
Photo : Wikimedia Commons