Les 20 et 21 novembre l’Université catholique de Lille – avec l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Sénégal, l’Agence Française de Développement, l’Académie des Sciences d’Outre-Mer et le soutien de la Région Hauts-de-France et la Fondation de l’Université Catholique de Lille – a organisé des journées d’études internationales sur le thème « Le temps des colonisations de de Gaulle à nos jours ». Partenaire de cet évènement, la Revue Politique et Parlementaire a pu interviewer Jean-François Petit, professeur à l’Institut Catholique de Paris.
Revue politique et parlementaire – Lors de votre intervention, vous vous êtes intéressé à la question complexe de la mémoire de la décolonisation, et à tout ce qu’elle pouvait déclencher de passions. Elle semble même passer au premier plan quand on parle de décolonisation. Quelle est dès lors la place de l’historien dans ces débats mémoriels ?
Jean-François Petit – La mémoire de la décolonisation veut être vive, polémique, facilement instrumentalisée. L’historien peut participer à la consolidation de la fiabilité de la représentation du passé effectuée par l’intermédiaire de la mémoire. Il est particulièrement habilité à aider à fonder le passage du souvenir à une mémoire réfléchie des évènements passés. Ce mouvement permet d’explorer les traces mémorielles pour les reconstituer et ainsi élargir un pouvoir d’exploration et de recherche historique. Il est particulièrement conscient qu’entre la présence du souvenir et l’effort de rappel, le terrain peut être glissant et qu’il existe différentes formes de combinaison des éléments historiques, ce que Ricoeur appelle une herméneutique de la conscience historique.
RPP – En outre, vous avez bien illustré les deux écueils de notre époque, entre absence de mémoire et mémoire victimaire. Que pensez-vous de l’utilisation qui est aujourd’hui de la mémoire comme argument politique ?
RPP – Dans son ouvrage Les abus de la mémoire (Arléa, 1998), Tzvetan Todorov dénonce l’utilisation opportuniste de certains pans du passé tout en insistant sur la nécessité de le restaurer dans son exhaustivité. Cette restauration, qui apparaît comme un gage de vérité, implique-t-elle un changement dans les méthodes de recherche et d’enseignement de l’histoire ?
RPP – Vous avez également évoqué le concept de post-mémoire, qui s’attache à étudier la part de subjectivité dans la mémoire. Mais n’y a-t-il pas un risque, à force d’études du passé qui se veulent exhaustives, de mettre celui-ci tellement à distance qu’on finit par s’en détacher complètement ? N’y a-t-il pas le risque de rompre le lien entre les hommes et leur passé ?
JFP – L’attention au concept de « post mémoire » me semble ouvrir des pistes de recherche intéressantes. Je n’aime pas bien les syntagmes en « post » ou « néo ». Mais une mémoire transculturelle est aujourd’hui nécessaire car elle permet d’étudier les migrations de la mémoire dans des espaces diversifiés, par exemple de l’histoire à la littérature ou d’un espace géographique à un autre. On serait parfois surpris de voir combien des phénomènes historiques ont la vie dure, sont métabolisés, repris dans d’autres contextes. Plus que rompre le lien avec le passé, je crois au contraire qu’il en restitue des virtualités et permet ainsi d’accentuer les liens entre les vivants. Mais il faut sans doute en histoire – c’est sûrement aussi la sagesse des limites – parfois n’accepter de « n’être que là ». Les thèses en philosophie ou en histoire sont souvent intéressantes quand elles ne touchent qu’à des questions bien circonscrites, croyez moi !
Propos recueillis par Nathan Le Guay
Jean-François Petit
Institut Catholique de Paris