A l’occasion des 150 ans de la proclamation de la République, l’Observatoire de la vie politique et parlementaire et le Comité Carnot, avec la participation de l’Observatoire des institutions, administrations et collectivités, ont rédigé un « cahier républicain ». La Revue Politique et Parlementaire a décidé d’en publier les contributions. Aujourd’hui l’introduction rédigée par Denys Pouillard, directeur de l’Observatoire de la vie politique et parlementaire, professeur de science politique, délégué général du Comité Carnot.
En 2023, au lendemain de l’élection présidentielle, nous célèbrerons les soixante-cinq ans de la Constitution de la Vème République, c’est-à-dire une vie aussi longue que celle de la IIIème République si l’on admet, pour cette dernière, d’en fixer le seuil initial aux lois constitutionnelles de 1875 et son interruption dans l’exercice démocratique des pouvoirs publics et du respect des libertés fondamentales à l’année 1940.
Nous ne devons jamais négliger cette notion d’ « espace temps » dans l’Histoire et en politique bien évidemment. Car les événements créateurs ou les interruptions brutales d’un pouvoir qui, au demeurant, est toujours à prendre, concernent autant les idéologies ou régimes politiques que les hommes qui en sont les acteurs heureux ou malheureux. C’est donc en termes de génération qu’il faut décrypter souvent les alternances, les révolutions, les passages d’un état antérieur à une situation nouvelle. Les oppositions se réveillent mais d’autres oppositions se recréent.
Les certitudes idéologiques sont aussi évolutives et elles concernent autant les esprits conservateurs que les esprits progressistes ; la fin du Second Empire et le début tragique, lent et plein d’aléas de l’installation de la République (celle qui devait devenir « la Troisième ») n’échappent pas à cette fragilité humaine.
Les 150 ans de la proclamation de la République, le 4 septembre 1870, nous invitent à revivre l’Histoire de deux journées pour en approcher le caractère essentiel de ce que représente cette « révolution » au sens scientifique et non dans un détournement ou une appropriation violente de l’utopisme des idées révolutionnaires revendiquées par certains.
Loin de nous, dans ce « cahier », de refaire l’Histoire de la République, de savoir ce qu’est la République aujourd’hui, ce qu’elle sera demain. Cette tendance, à chacune des commémorations antérieures (1920, 1970) ou celles concernant les lois constitutionnelles de 1875, ou les célébrations mémorielles de l’amendement Wallon, nous éloigne régulièrement d’une explication pas si évidente des enjeux qui ont fait qu’en une seule journée, sans barricades, sans insurrection ni répression armée, des hommes ont su maîtriser une situation explosive, la canaliser et en assurer, en urgence, un périmètre sécuritaire pour l’avenir des libertés et le retour aux instruments de la démocratie.
C’est donc un « cahier » qui ne va pas plus loin, chronologiquement, au-delà des trois premières semaines de septembre 1870. C’est l’installation d’une République que ce cahier raconte ; l’histoire de sa proclamation et non notre histoire républicaine heurtée, tourmentée, bousculée souvent mais toujours combattante et rebondissante.
Nous ne nous sommes pas écartés des pièces à conviction, des archives, des votes, des motions, des incidents de séance, des témoignages et récits de ceux qui ont vécu ces journées. Nous avons aussi rappelé les circonstances qui ont conduit à la guerre avec la Prusse ; également les convictions des républicains mais également leurs divisions, leurs hésitations, leurs abstentions volontaires, voire des réprobations manifestes à des initiatives de leurs chefs et ceci un mois et demi avant Sedan.
La République s’est construite avec les républicains historiques de 1848, les exilés revenus de Belgique ou des îles anglo-normandes, les amnistiés ; avec la presse abondante et les avocats qui défendaient leurs causes aux multiples procès politiques conduits par les « dynastiques » de l’Empire ; mais aussi avec des hommes courageux, des libéraux ou du « centre gauche » sans qui, peut-être, l’aventure n’aurait pas été possible.
Et si l’on reproche à Émile Ollivier d’avoir été le chef de la droite dynastique à la fin de l’Empire, n’oublions pas qu’il fut républicain d’abord (un parmi cinq au Corps législatif !) et que sans lui, son cabinet d’avocats n’aurait pas ouvert à Jules Ferry la voie parlementaire !
Et si nous sommes tous en reconnaissance éternelle à Henri Wallon pour son amendement dans la « course finale », plus personne n’oserait rappeler que ce converti à la République était encore, dans le cabinet de Broglie, avant le vote historique, un adversaire convaincu des républicains !
Ce sont les hommes qui transmettent les valeurs, et rappellent les fondamentaux, créent les nouveaux paramètres qui vont sceller des politiques nouvelles ; ceux qui ne voulaient pas voir la force de l’éducation, de la liberté de croire ou ne pas croire, de la liberté d’association étaient des conservateurs ; mais il y en eu aussi parmi les républicains. La grande épreuve des républicains fut celle de l’ordre ou plus exactement du désordre. Elle poursuit les Républiques et les gouvernants, cent cinquante ans encore après !
Des universitaires, historiens nous ont accompagnés dans cette présentation de la proclamation de la République du « 4 septembre ».
– Bertrand Marcincal, ancien chef de la division des Archives de l’Assemblée nationale, retrace les péripéties de ce « coup de dé » qui n’est pas un « coup d’État » naturellement mais qui demeurera toujours comme une révolution sans révolutionnaires, « révolution de velours » a-t-on dit. A chaque instant, tout peut basculer dans le bien comme dans l’aventure. « Le 4 Septembre est bien une révolution en ce sens qu’elle est un tournant et une étape d’une République politique et démocratique qui restait encore à inventer, à pacifier et à enraciner »
– Benjamin Morel, maître de conférence en droit public à l’université Paris II met en perspective ces enjeux et se met à la place des acteurs en quelque sorte, soupèse les bienfaits et les inconvénients et nous donne le mode d’emploi pour « proclamer une République » ; « dix minutes plus tôt », l’histoire de celui qui enfreint les lois et de celui qui tue mais n’est pas en définitive un assassin parce qu’il a fondé une cité et ses lois avec elle ; la légitimité de Romulus et la mort de Remus nous poursuit toujours.
– Natacha Loupan, étudiante en histoire à Paris-Sorbonne rappelle la destinée de la « res publica » ; dans ses traductions historiques cette « chose publique » apparaît comme un mot magique et pour que cette République perdure, il faut que « l’idéal républicain », si bien exprimé par Lévy-Bruhl, sache se modeler à son temps, suivre la société, être toujours en mouvement.
– Danièle Lamarque, ancienne membre de la Cour des comptes européenne s’interroge sur la présence, dans l’Europe d’aujourd’hui, d’un esprit républicain. Si dix-neuf États membres de l’Union seulement sur 27 sont des républiques, c’est pourtant sur la base de principes très proches de l’idéologie républicaine que se fonde l’état de droit de l’Union, et tout particulièrement sa Charte des droits fondamentaux. L’actualité démontre toutefois la difficulté à faire respecter cet état de droit, preuve que la république ne peut perdurer qu’appuyée sur une morale républicaine et sur « l’équilibre toujours fragile, entre État, nation et démocratie » ; Claude Nicolet aurait dit de ces mots qu’ils sont « voyageurs » et donc vulnérables.
– Géraldine Chavrier, professeure agrégée de droit public à Paris I livre une étude juridique approfondie sur une loi votée en 1872 et qui est toujours en vigueur. La loi Tréveneuc qui confie des pouvoirs exceptionnels aux conseils départementaux en cas d’empêchement de l’Assemblée nationale procède, à l’époque, d’une actualité pressante ; dans les débats parlementaires, le 4 septembre y est relaté sans cesse avec amertume. Loi toujours en vigueur et anticonstitutionnelle. Alors pourquoi la conserver ? Une loi qui « demeure un cabinet de curiosité dont on préfèrerait que la porte reste à jamais fermée ».
– Guy Rossi-Landi et Paul Marcus, historiens, dissèquent le monde politique d’avant et le monde d’après ; pas si facile de trouver des républicains sous l’Empire ; ils progressent au Corps législatif à chaque élection au pas des bœufs, de zéro à trois, puis cinq… une trentaine au moment du vote sur les crédits de guerre, à un mois et demi de Sedan et parmi eux, « combien de divisions » déjà !
L’Union attendra car à l’Assemblée de Bordeaux, il y a bien des gambettistes avec l’Union républicaine et des ferrystes avec la gauche républicaine ; des radicaux et des modérés… et il faudra attendre le manifeste des « 363 » pour s’assurer de l’union contre Mac-Mahon. Une période agitée qui va engendrer des générations de républicains, pas plus gambettistes que ferrystes, des radicaux qui seront plus modérés, des républicains qui se « socialiseront ». Républicains d’abord… de gauche ou de droite ensuite !
Denys Pouillard
Directeur de l’Observatoire de la vie politique et parlementaire
Professeur de science politique
Délégué général du Comité Carnot