L’année 2022 confirme que le temps diplomatique est bien incertain et que tout au long de cette période charnière seule une expectative reposant sur trois principes des relations internationales ne datant pas d’hier reste fondée. C’est à partir du rappel de ces trois principes qu’il faut ressaisir la place de cette année dans le présent de la compétition sino-américaine et dans son futur immédiat. Sur le plan politique, 2022 marque l’asymétrie dans un ordre qui tient à ses valeurs et à son modèle de société : soulignons sur le compte Twitter du président Joe Biden la promesse d’unir les États-Unis comme un symbole politique deux ans après l’élection présidentielle américaine et l’assaut contre le Congrès lors de la journée du 6 janvier 2021[1].
Toutefois, vue de Pékin, l’année 2022 marque aussi un nouveau départ politique : c’est l’année où le président Xi Jinping réapparait plus conforté que jamais fort d’un troisième mandat au poste de Secrétaire général lors du 20e congrès du Parti communiste chinois et au sortir d’une stratégie « zéro Covid » de deux ans et demi. Entre l’Europe champ de bataille et une récente enquête du Pew Research Center sur les opinions défavorables sur la Chine pour faire ce qui s’impose dans les affaires de l’ordre mondial (72 %)[2], 2022 prend sa place, dans la mémoire collective, comme un point critique de l’influence de la Chine et d’opinions défavorables du pays et de son système.
Sur le plan diplomatique, 2022 marque l’échec de la stratégie des loups guerriers chinois et le constat lucide de Xi Jinping sur les erreurs commises par la Russie à un moment où les dommages causés par la guerre en Ukraine impactent les intérêts nationaux et la prospérité économique de la Chine.
Dans ce contexte de revenir aux réalités dures qui sont celles de cette compétition, chacun des acteurs s’affaire à trouver sa meilleure place au sein d’un ordre qui porte sur l’intérêt national avec l’intensification des relations bilatérales qui conduit au délitement, tout au long de l’année, du multilatéralisme. Et n’oublions pas que l’ordre est mis au défi par la réalité du rapport de force qui entraîne une série d’événements avec pour point d’orgue la constitution de bloc (Occidental) à l’image de ce qu’on appelait le Bloc de l’Est.
Si 2022 reste un moment clé dans l’histoire de la compétition sino-américaine, c’est également une date d’importance pour l’Indo-Pacifique. Sous forme de chroniques, j’en ai tiré une somme qui forme un ouvrage et dont le titre est : L’essor de l’Indo-Pacifique à l’épreuve de la compétition sino-américaine. Ce nouvel article poursuit ce travail.
Car, au-delà des enjeux géopolitiques, se pose la question de l’hégémon. C’est ça, l’hégémon dans la compétition sino-américaine, songeons à tout ce qui l’intéresse et sa détermination à faire ce qu’il doit faire afin que le système perdure.
Pour l’expliquer, il y a la question de la compétition sino-américaine dans toutes ses composantes et qu’on le veuille ou non, nous amène à revenir aux réalités et c’est cette réalité qui s’impose à l’ordre mondial et qui dicte l’analyse de cet article.
2022, quel(s) événement(s) pour l’Indo-Pacifique ?
Sans le savoir, la soirée du 15 au 16 novembre est de ce point de vue où l’on a évité le pire des événements : un missile de fabrication russe venait de s’écraser dans le village de Przewodow, à côté de la frontière avec l’Ukraine, mais sur le territoire d’un pays membre de l’OTAN, la Pologne. Face au spectre d’une escalade quand le cours de la guerre pouvait déraper, le sang-froid au sein de l’administration Biden a permis d’éviter l’emballement par la maladresse. Les professionnels du department of State ont très bien réagi faisant preuve de réalisme et conférant au président Biden un moment diplomatique décisif : actualité ukrainienne oblige, quelques heures après l’état d’alerte les chefs d’États membres de l’OTAN se réunissaient à Bali pour défendre une des thématiques du moment : leurs intérêts fondamentaux. Soulignons enfin que derrière l’Ukraine l’ennemi numéro un reste la Chine, cela n’a pas bougé stratégiquement bien que les États-Unis déclinent comme en attestent les propos d’Anthony Blinken disant à un moment donné que « l’on aide les Ukrainiens afin d’aborder les négociations avec la Russie ».
Autrement dit, les États-Unis veulent garder le contrôle stratégique et les moyens de contrecarrer la Chine dans un ordre chahuté.
C’est dans ce temps long qu’il faudra comprendre ce que l’on perçoit de l’année 2022, mais nous sommes dans un ordre véritablement systémique et ce que fait l’un rejaillit sur tous les autres en même temps et ça c’est une donnée géopolitique inédite depuis le 24 février. Face à ce constat, l’intérêt pour la Chine est sa perception du concept d’insécurité globale qui n’est plus liée aux rapports bilatéraux entre deux États, mais qui conduit à l’extension de crises. Et l’effet « boule de neige » est préoccupant : crise énergétique, alimentaire et une crise économique qui menace la prospérité du monde.
Pour l’Indo-Pacifique, l’année 2022 est une année de pivot en raison de l’actualité internationale : lorsque l’année commence, la région prend quelques distances avec l’actualité. Lorsque l’année se clôt, l’actualité est au cœur des stratégies destinées à pallier la faiblesse temporaire ou non des États tentant de résister aux réactions en chaîne. Autre conséquence pour l’Indo-Pacifique, c’est le moment où le monde réuni sort de sa réserve pour faire la leçon à la Russie et voir à quel point les grandes questions internationales sont aujourd’hui interconnectées. Et rappeler qu’avant cela le monde, autour des cinq grandes puissances nucléaires réaffirmait son opposition à l’usage de la menace nucléaire dans une déclaration commune à la Maison-Blanche[3].
Au moment où la guerre en Ukraine est encore loin d’être terminée, le communiqué commun à l’issue du sommet du G20 ou plutôt du « G19 », dénonçant les menaces nucléaires de la Russie a rappelé que : nous ne devons pas diviser le monde en plusieurs camps »[4]. Un petit coin de ciel bleu pour le G20 et son hôte en 2022, le président indonésien Joko Widodo, de donner au format du G20 une réelle participation sur un sujet de gouvernance politique.
En somme, en 2022, la politisation de ce sommet traditionnellement consacré aux enjeux géoéconomiques montre que les puissances émergentes jouent un rôle de manière plus aiguisée et qui s’adapte aux logiques de géopolitique.
La voie s’ouvre pour une dynamique croissante au fond de ce qu’il y aurait de plus redoutable : un maître du Kremlin dos au mur et un isolement complet de la Russie. Aura-t-il lieu dès l’année 2023 ?
Le mot « diplomatie »
Dans le domaine strictement diplomatique, 2022 est jalonnée d’événements sino-américains avant d’être des événements intrinsèquement de l’Indo-Pacifique. C’est pourtant à Phnom Penh, à Manille, sur l’île de Bali, en passant par Varsovie ou encore Kiev que se déroulent les principaux faits sur une courte période de l’année. C’est une évolution significative de la compétition sino-américaine et de l’agenda qui n’est plus le même entre Pékin et Washington. Les deux se livrent toujours à une féroce lutte d’influence, surtout à l’étranger, qui culmine indéniablement lors des sommets internationaux en Asie.
L’anatomie de cette compétition entre la Chine et les États-Unis qui gagne par ses répercussions les principaux pays, surtout les westphaliens, tient en réalité en quelques faits.
Le premier à une tonalité classique du jeu des alliances pour garantir cet équilibre et pousse la stratégie de confrontation à la recherche d’alliés. Le gendarme américain est fatigué et le dit : « you cannot deter by defense alone »[5]. En appelant à une « compétition compétitive », fut-elle légitime, c’est-à-dire domination par le statu quo hégémonique, les Américains sont en tout point opposés à la Chine dans leurs moyens de rassembler le plus possible les pays de la région et de les aligner sur une stratégie offensive. Parmi les questions centrales posées aux pays de l’alliance autrement dit à la fin aux États-Unis : que l’OTAN s’investisse dans les affaires de l’Indo-Pacifique, que le fardeau des budgets militaires soit accru à hauteur de 2 % du PNB national, que soit assuré le déploiement de la puissance vers ces pays qui se retrouvent centraux, à défaut d’être unis, pour contrer en quelque sorte la Chine. Sur le plan du rapport bilatéral de ces pays face à la rivalitésino-américaine cela peut dérouter.
Quant aux séquences diplomatiques, tout au long de ces sommets, deux autres faits dans leur déroulement sont symptomatiques pour comprendre les manœuvres américaines dans l’Indo-Pacifique qui ne se limite pas à une martingale diplomatique avec la Chine en 2022.
Le 12 novembre 2022, une rencontre entre le président américain Joe Biden et le Premier ministre cambodgien Hun Sen a certainement permis de trouver des points d’appui à un moment où les États-Unis poursuivent une ligne dure avec Pékin[6]. L’autre stratégie résolue de cette rencontre, qu’il soit dit que Joe Biden est seulement le deuxième président américain en exercice à se rendre au Cambodge, restait de renforcer l’élan des efforts américains auprès des pays membres de l’Asean afin de les garder à leurs côtés. Persuadé qu’il faut « parler à tout le monde » et que les condamnations régulières américaines sur la question des droits de l’homme au Cambodge n’empêchaient pas d’avancer, le Cambodge a pu saisir une bonne occasion pour réussir ce sommet de l’Asean 2022. Si on considère ainsi le rappel historique de l’année 2012 au cours de laquelle le Cambodge avait organisé le sommet de l’Asean dans un contexte tendu privant l’organisation de l’adoption d’un texte commun pour la première fois en quarante-cinq ans, l’opposition sino-américaine se retrouve aussi avec les Ouïgours sur le sujet permanent des droits de l’homme et de ses prérogatives démocratiques. Après Washington, Pékin aussi s’intéresse à Phnom Penh, en l’occurrence un des principaux poils àgratter de la région.
Adepte du pragmatisme et de l’influence pleine d’arrière-pensées, la rhétorique américaine est bien huilée pour faire ce qui est « juste » sur un large éventail de questions et tenter de reprendre la main en Indo-Pacifique.
Les Américains savent bien que pour exercer leur influence dans ce monde ils doivent s’appuyer sur leurs partenaires ou alliés pour créer du consensus. Et l’épilogue n’est pas encore écrit face au défi chinois. Même écho lors de la visite de la vice-présidente Kamala Harris aux Philippines le 16 novembre 2022, chargée de nouer un nouveau dialogue avec les Philippines du président Ferdinand Marcos Jr et rappeler qu’il incombe aux États-Unis, en tant que première puissance navale du monde, membre à part entière de l’Indo-Pacifique, de défendre résolument le statu quo dans le présent rapport de forces en mer.
Derrière leur compétition économique et commerciale d’autant plus forte qu’elle s’intensifie avec Pékin, il y a surtout un désaccord géostratégique sur le fond.
Dans le domaine du maritime, le droit de naviguer et de commercer constitue la clé de voûte de la puissance américaine ou d’un autre point de vue, représente un intérêt vital pour l’US Navy de ne pas voir entravée cette liberté de navigation.
Faute d’avoir pu convaincre Xi Jinping depuis 2014 de ne pas poldériser son arrière-cour en mer de Chine du Sud, ses voisins (en particulier vietnamien et philippin) regardent souvent la même chose que les Américains, mais d’un accent de souveraineté différente. C’est tout cela que la vice-présidente Harris a dû évoquer lorsqu’elle a lancé son initiative diplomatique avec les Philippines[7]. Ça, plus l’intensité des activités militaires chinoises dans une zone où la Chine développe des capacités militaires de type interdiction et déni d’accès pour protéger sa souveraineté continentale et in fine sa vision d’un ordre mondial dans lequel elle se sent plus à l’aise avec le réalisme des militaires qu’avec les diplomates et le respect du droit maritime international. Tout simplement, il ne faut pas oublier que la Chine constitue une puissance majeure se tenant au sommet du monde et reportons-nous aux récentes exhortations européennes de la voir se tenir au chevet de la médiation diplomatique avec la Russie tant il est évident que l’appui de la Chine apparaît essentiel.
Année pivot pour la Chine (aussi)
Plus profondément, une autre dimension de la compétition sino-américaine est le point de basculement de leur relation bilatérale d’une forme d’engagement à une autre. Pour Xi Jinping il faut tirer les leçons de onze ans d’une relation envisagée autour d’un ordre sans véritable leader qui a échoué. Il importe de rappeler les efforts communs entre Xi Jinping et Joe Biden, tous deux vice-présidents à l’époque, d’établir les conditions de la posture stratégique entre les deux puissances en 2011. Un statut d’égal à égal non sans arrière-pensées dans leur aspiration de logique de domination politique et militaire. À l’évidence entre les pulsions impériales d’une Chine millénaire et le messianisme impérial des États-Unis, ce qui se jouait alors, c’était de reconnaître lequel des deux allait garantir ce statut de premier ordre.
Désormais, « Washington dans l’œil de Pékin », c’est dans une logique de domination que leur rencontre bilatérale de trois heures le 14 novembre 2022 à Bali vient historiquement parlant entériner cette relation en rappelant qu’on ne peut pas aller au-delà du rappel des lignes rouges du périmètre de sécurité de ce qui constitue leur compétition « responsable »[8].
Le rendez-vous de Bali est un moment que l’on voyait venir depuis plusieurs années avec l’administration républicaine de Donald Trump et une logique de rivalité orchestrant une division du monde en système différent.
Les deux dirigeants luttent pied à pied dans le domaine des relations internationales. Aujourd’hui dans le conflit ukrainien et demain dans celui de Taïwan, la Chine manifeste une réelle participation à la défense collective avec l’évocation pour la première fois du concept de « Global Security Initiative » qui tient en six points dans la version du texte en ligne[9].
Ce qui est intéressant dans sa lecture, c’est qu’il donne la priorité à conceptualiser un outil de gouvernance à l’instar du cadre économique Indo-Pacifique pour la prospérité (IPEF) des États-Unis de mai 2022, il n’y a rien de concret, mais conforte l’idée que 2022 ouvre une période matricielle pour comprendre les évolutions toutes à la fois politique, diplomatique et géopolitique. Loin de sauver le multilatéralisme en le renforçant, le « GSI » et l’introduction d’une nouvelle architecture régionale pour la sécurité en Asie, ouvre un processus de refonte de l’ordre mondial conçu sur une théorie occidentale du concept de sécurité, dixit le ministre des Affaires étrangères chinois Yang Yi.
Qu’il s’agisse d’une stratégie résolue de la Chine pour contrer les initiatives des États-Unis, si on considère le futur immédiat des pays de l’Indo-Pacifique, 2022 ouvre une période de dilemme difficile avec indéniablement pour les États la contrainte d’un choix de modèle sine die. Celui de la domination occidentale basée sur la confrontation, autrement dit le concept de Carl Schmitt qui pensait que la construction de la nation n’était possible qu’en désignant un ennemi[10]. C’est une stratégie inverse pour la Chine, sa mission étant avant tout de diffuser son système d’interdépendance en exerçant une véritable tutelle sur l’ensemble du monde dorénavant réduit au rôle de satellite de l’Empire du Milieu. Deux visions différentes d’une domination de l’ordre mondial et qui vont à rebours de la logique de compétition interétatique au sens où nous l’entendons et qu’incarne le vieux concept des alliances.
Principe de réalité
Dans un ouvrage majeur Le Leviathan, Thomas Hobbes mettait en évidence en son temps la nature complexe entre conflit et compétition reflet de l’omniprésence sino-américaine et des termes qui définissent une relation qui se lézarde, s’ébrèche en 2022. Qui plus est, la lutte des gladiateurs dans le chapitre XIII décrit la nature humaine du rapport de force et il est frappant de voir combien la pensée bellum omnium contra omnes reste d’actualité[11].
En termes géopolitique et réaliste, cette année fournit plusieurs autres énumérations de cette question de mobilisation de la puissance.
Ce que l’on comprend au fil des mois de cette année c’est que le monde est partagé d’une part entre le conflit opposant les États-Unis et la Russie qui aboutit à mettre Moscou hors-jeu du nouveau jeu mondial.
Dans le domaine militaire, ses capacités sont fortement érodées, éclipsant les rêves du président russe en revenant au monde de la puissance de parvenir à la résurrection d’un Empire déchu.
Partant de cet acquis qui redessine la logique de puissance, ce qui se dessine sous nos yeux est le nouveau rapport de force entre les deux grands. En bref, une compétition sino-américaine très nationale qui tire ses racines de deux modèles antagonistes. À l’horizon 2030, la Chine pourrait dépasser les États-Unis, expliquions-nous dans un récent article[12].
Parce que l’ordre mondial du XXIe siècle n’aura rien à voir avec ce monde fini, comprenons bien que le problème stratégique auquel nous sommes confrontés est sans précédent : une compétition sino-américaine dans le temps et l’espace de l’Indo-Pacifique, pour se donner un rendez-vous dans l’Histoire.
Venons-en à Taïwan, fil rouge de cette compétition et il en est ainsi depuis l’après-1972 (année du communiqué de Shanghai entre la Chine et les États-Unis). Tout ramener à cette pause stratégique, comme je le fais régulièrement, pour en faire l’épicentre de l’avenir de l’ordre mondial, est là pour rappeler la réalité et surtout, c’est le plus essentiel, saisir le seul enjeu factuel et, donc, la quête de légitimité fondamentale dans ce contexte. Taïwan est une des étapes qui conduisent la Chine et les États-Unis du fait de leur compétition à prouver leurs propres légitimités. Ce qui se joue là-bas, à Taipei, théâtre de la confrontation sino-américaine c’est la justification des tensions militaires et sécuritaires pour les deux puissances en confortant leur soutien et leur légitimité autant au plan national qu’international. La légitimité de cette compétition repose sur l’équilibre des pouvoirs entre les deux pays. C’est ce qui accélère les deux pays à poursuivent de façon explicite et volontaire leurs intérêts dans le sillage de l’approche réaliste des relations internationales.
L’expansion chinoise dans un ordre où elle serait la puissance régionale dominante au cœur du statu quo mondial et une vision géopolitique considérée par les États-Unis comme une question d’intérêt vital devant être jugulée.
Ceci dit, et qu’on me comprenne bien, il n’est pas question de tomber dans une approche manu militari de cette question, mais de rappeler que l’on ne peut minimiser plus longtemps la profondeur stratégique de Taïwan pour aborder la grande interrogation sur l’avenir de paix par la force dans l’Indo-Pacifique[13]. À partir de ce diagnostic qui, je le répète, correspond à l’analyse que j’ai moi-même développée dans ce livre de chroniques[14], de cette réalité qui semble aller de soi, mais ce n’est pas si exact. Sûre de son bon droit historique, la Chine couturée par un siècle d’humiliation et c’est important l’humiliation dans les relations internationales, muscle sa realpolitik à partir du rapport de forces avec les États-Unis afin de peser sur eux et infléchir le cours de l’histoire.
À cette aune, la nouvelle réalité créée par la guerre en Ukraine offre une leçon de grammaire stratégique et je serais tenté de résumer selon la judicieuse formule de Norman Angell « the end of the great illusion »[15], c’est-à-dire que l’année aura une charge négative évidente face à un statu quo de plus en plus ambigu.
Au plan multilatéral, elle marque l’échec du monde à se prémunir du recours à la guerre par des moyens non militaires ; au plan bilatéral, elle questionne la mise en relation entre la décision politique et la stratégie.
Cette idée que la ligne rouge de Taïwan restera une donnée géopolitique inconciliable entre Pékin et Washington compte tenu de la prise en compte de l’intérêt national.
Ainsi, la relation entre la Chine et les États-Unis d’aujourd’hui tire ses divergences depuis 1972 autant que dans 2022, année déterminante pour les deux « Empires » dans leur statu quo. La conviction de Norman Angell, selon laquelle il faisait valoir « que les coûts des guerres étaient devenus si élevés qu’ils l’emportaient sur tout gain potentiel », est désormais battue en brèche. Il en va de même avec la rationalité en politique et l’exaspération face à l’ordre actuel qui faisait aussi dire en son temps à Zhou Enlai, que « l’hégémonie occidentale ça coûtait très cher et ça ne rapportait rien ». Toujours difficile de s’exprimer sur ces questions, mais remarquons enfin que la guerre en Ukraine fondée sur la realpolitik fait bel et bien entrer la rivalité sino-américaine de plain-pied dans l’histoire.
Hervé Couraye
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[1] Joe Biden さんは Twitter を使っています : « America, I’m honored that you have chosen me to lead our great country. The work ahead of us will be hard, but I promise you this: I will be a President for all Americans — whether you voted for me or not. I will keep the faith that you have placed in me. https://t.co/moA9qhmjn8」 / Twitter
[2] Voir la récente enquête complète du 29 juin 2022, disponible en ligne : Negative Views of China Tied to Critical Views of Its Policies on Human Rights | Pew Research Center
[3] Communiqué de presse du 3 janvier 2022, Maison-Blanche, disponible en ligne: Joint Statement of the Leaders of the Five Nuclear-Weapon States on Preventing Nuclear War and Avoiding Arms Races | The White House
[4] Déclaration commune des dirigeants du G20, 16 novembre 2022, Bali, voir la version finale disponible en ligne : G20 Bali Leaders- Declaration, 15-16 November 2022.pdf (utoronto.ca)
[5] Voir Philip Davidson, ancien amiral, commandant en chef de l’US Indo-Pacific Command (USINDOPACOM), hearing US Senate Armed Services Committee, mars 2021, document PDF disponible en ligne : Davidson_03-09-21.pdf (senate.gov)
[6] Voir lldisponible en ligne: Readout of President Joe Biden’s Meeting with Prime Minister Hun Sen of Cambodia | The White House
[7] Source : communiqué de presse du 20 novembre 2022, disponible en ligne : FACT SHEET: Vice President Harris Launches New Initiatives to Strengthen U.S.-Philippines Alliance | The White House
[8] Voir le texte intégral de la rencontre entre Joe Biden et Xi Jinping, le 14 novembre 2022, Bali (Indonésie), disponible en ligne : Readout of President Joe Biden’s Meeting with President Xi Jinping of the People’s Republic of China | The White House
[9] Communiqué de presse du “Global Security Initiative (GSI), présenté pour la première fois lors du discours d’ouverture de la conférence annuelle du Forum de Boao pour l’Asie, 21 avril 2022, disponible en ligne : Xi proposes Global Security Initiative (cppcc.gov.cn)
[10] Carl Schmitt, The Concept of the Political, traduction et édition de Georg Schwab, 1932 : University of Chicago Press, Chicago, 2007, p.26, version disponible en ligne: Carl Schmitt’s Concept of the Political on JSTOR
[11] Source Thomas Hobbes, Le Leviathan, chapiter XIII, disponible en ligne : Chapter XIII. Of the Natural Condition of Mankind as Concerning Their Felicity and Misery. Hobbes, Thomas. 1909-14. Of Man, Being the First Part of Leviathan. The Harvard Classics (archive.org), Traduction en anglais “ A war of all men against all men”.
[12] Hervé Couraye, “ Le leadership sino-américain, dans la peau de l’autre (volet 1)”, Conflits, avril 2021, disponible en ligne: Le leadership sino-américain, dans la peau de l’autre | Conflits : Revue de Géopolitique (revueconflits.com)
[13] C’est bien dans ces termes que Pékin évoque ne pas renoncer au recours à la force “to guard against external interference and all separatist activities”, “ The Taiwan Question and China’s Reunification in the New Era”, Livre blanc disponible en ligne, août 2022 : Full text: The Taiwan Question and China’s Reunification in the New Era | english.scio.gov.cn
[14] J’ai développé cette analyse dans Rivalité sino-américaine en Indo-Pacifique, VA Editions, 2022, pour aller plus loin l’ouvrage est disponible en ligne: RIVALITÉ SINO-AMÉRICAINE EN INDOPACIFIQUE – Chroniques de Tokyo (va-editions.fr)
[15] Sir Norman Angell, The Great Illusion, Toronto, 1911, McClelland And Goodchild Publishers, 1911, en ligne: The great illusion : a study of the relation of military power in nations to their economic and social advantage : Angell, Norman, Sir, 1874-1967 : Free Download, Borrow, and Streaming : Internet Archive