Le Moyen-Orient ne ressemble plus à ce qu’il était en 2023, plus précisément avant le pogrom du Hamas contre les Israéliens du 7 octobre 2023 dans le sud d’Israël, qui a fait plus de mille deux cents morts.
Le premier constat que l’on peut faire est que, face à la menace existentielle que représentaient les organisations terroristes, Israël a mené une action déterminée et décisive en vue de renforcer sa sécurité à court et moyen terme.
La direction du Hamas éliminée, mais au prix de nombreux morts civils
S’agissant de Gaza, si l’initiative aérienne et terrestre a permis d’éliminer de nombreux terroristes du Hamas, cela a été au prix de nombreux morts civils et la direction du mouvement continue aujourd’hui de se dissimuler parmi la population. Si l’on compte malheureusement plus de 44 000 morts civils et cent-cinq mille blessés, on doit la responsabilité de ce drame au Hamas, d’une part, qui a orchestré les assassinats intervenus le 7 octobre 2023, mais aussi, d’autre part, à l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas qui a été dans l’incapacité d’exercer son contrôle politique et militaire sur cette bande de terre.
Il faut espérer que les conditions d’un cessez-le-feu durable puissent intervenir. Cela parait toutefois hautement improbable tant que le Hamas n’aura pas libéré les otages israéliens et permis le rapatriement des corps des personnes décédées. Le président élu Donald Trump a ainsi promis un « enfer » si, au 20 janvier 2025, jour de son installation à la Maison-Blanche, la totalité des otages n’étaient pas libérés. Cela devrait faire réfléchir non seulement le Hamas, mais également les parties prenantes aux négociations en vue de la libération des otages qui ont eu lieu soit au Qatar, soit en Égypte en présence notamment de représentants de l’administration Biden, et qui se poursuivent.
L’éradication du Hezbollah au Sud-Liban ?
Mais Israël a aussi été présent sur le front au Sud-Liban. Plus de soixante mille Israéliens avaient dû être évacués du nord d’Israël en raison des roquettes et autres drones envoyés depuis les bases du Hezbollah implantées dans le sud Liban. Israël avait déjà éliminé des dirigeants du Hezbollah par le passé. Ses interventions aériennes ciblées de cette année ont aussi atteint cette organisation terroriste qui, à l’heure actuelle, est suffisamment affaiblie pour ne plus être en capacité de frapper Israël. Le constat est hélas que le Liban n’a jamais pu exercer sa souveraineté sur son territoire. C’est particulièrement vrai dans le sud du pays où cette organisation s’est, comme le Hamas à Gaza, cachée parmi les civils jusque dans les écoles, les édifices publics et a contrôlé l’approvisionnement alimentaire. L’affaiblissement durable du Hezbollah constitue une double opportunité pour les autorités libanaises et pour Israël. Toutefois, l’organisation terroriste n’est pas complètement éliminée et continue de représenter une menace pour Israël.
La chute du régime de Bachar el-Assad en Syrie
Un autre évènement remarquable est venu conforter Israël : la chute brutale du régime de Bachar al-Assad. Tout a été dit sur le règne de la famille Assad depuis plus de cinquante ans : un régime dictatorial et criminel qui s’est rendu coupable de crimes contre l’humanité par l’utilisation d’armes chimiques contre sa propre population à la Goutha au mois d’août 2013. Des actions pénales ont été initiées dans plusieurs pays de l’Union européenne, notamment en France et en Allemagne. Ayant malmené son armée, abandonné son peuple, les rebelles ont pu renverser d’autant plus facilement ce régime mafieux que la Russie n’était plus en mesure de le soutenir. Vladimir Poutine a contribué à l’affaiblissement de son dirigeant en rapatriant une partie de ses troupes pour les rediriger vers l’Ukraine. Bachar el-Assad s’était rendu à plusieurs reprises à Moscou, mais Vladimir Poutine avait compris depuis longtemps que la survie de son allié au Proche-Orient était comptée. La Russie va tenter aujourd’hui de rebondir, ce qui explique que Poutine ait, par exemple, haussé le ton envers Israël lorsque ce dernier a annoncé vouloir occuper définitivement le plateau du Golan, en tout cas ne pas vouloir quitter ses positions du mont Hermon.
Le régime syrien, qui a toujours été un ennemi d’Israël, n’est plus aujourd’hui en position de le menacer. Toutefois, son affaiblissement politique et stratégique ne signifie pas que les nouveaux dirigeants de Damas ne finiront pas par se tourner à nouveau vers la Russie, pour redevenir une puissance régionale.
Le nouveau pouvoir d’Ahmed al-Chareh semble vouloir stabiliser sa situation le plus rapidement possible. Il a ainsi reçu les chefs des milices et groupes armés pour leur demander de rendre toutes les armes. Il a nommé ses ministres, qui sont d’anciens chefs du mouvement rebelle dans différentes régions. Il fait aussi preuve d’activisme diplomatique. Le nouveau maître de Damas a ainsi reçu, le 23 décembre 204, le ministre turc des affaires étrangères Hakan Fidan, lors d’une rencontre qui apparaîtra sans doute plus tard comme un jeu de dupes.
Le rôle ambigu de la Turquie
La Turquie traine un handicap urgent à rattraper pour montrer sa bonne entente avec le nouveau régime. Elle veut prouver qu’elle soutient le nouveau régime et n’a jamais été un soutien de Bachar al-Assad. La Turquie veut défendre son rôle de puissance régionale et n’acceptera pas une situation fragile, notamment sur le sud-est, dans la région où vit une bonne partie de la communauté kurde. Au cours des années précédentes, le président turc, Recip Tayyip Erdoğan, a menacé à plusieurs reprises d’envahir une partie du nord de la Syrie afin d’y créer une zone tampon. La Turquie estime que la communauté kurde constitue une menace pour son pays, l’identité nationale. Il entretient volontairement la confusion entre le pari des travailleurs du Kurdistan – le PKK – officiellement une organisation reconnue comme terroriste non seulement par la Turquie, mais aussi aux yeux de la communauté internationale, et les autres organisations comme l’HDP, le Parti démocratique des peuples, et celui qui lui a succédé, le DEM, le Parti de l’égalité et de la démocratie et de l’égalité des peuples, mais surtout le YPD, les Unités de protection du peuple, qui a été un allié des États-Unis pour combattre l’État islamique en Syrie. Pour Erdoğan, tous les Kurdes sont des terroristes qu’il faut éliminer. Derrière cette position constante se profile une volonté d’expansionnisme qualifiée par des spécialistes de « panturquisme », soit une des plus importantes menaces dans la région de nature à la déstabiliser, encore plus que l’arrivée d’un nouveau régime à Damas. Erdoğan a aussi eu des mots très sévères à l’égard d’Israël et n’a pas hésité, lui aussi, à parler de « génocide » à propos de la guerre à Gaza.
L’Iran : un pays durablement affaibli
Un autre pays devrait, en 2025, susciter une attention particulière : l’Iran. Ce pays, singulièrement affaibli depuis que l’élimination d’une bonne partie des cadres dirigeants du Hezbollah – son « proxy » – a réduit considérablement sa capacité de nuisance et de destruction, est aussi déstabilisé par une contestation interne que l’on sous-estime sans doute, notamment de la part des jeunes sur lesquels la répression s’est abattue de façon encore plus féroce cette année avec des centaines d’exécutions. Une loi récente dispose que les femmes ne portant pas le hijab seront condamnées à une lourde peine de prison, voire à la peine de mort. Le pays est exsangue aussi sur le plan économique avec les sanctions économiques mondiales qui ont eu des effets importants et reste sous la double menace des États-Unis et d’Israël s’agissant de son programme nucléaire. Ce n’est pas parce que la première administration Trump (2016-2020) avait elle-même décidé de sortir de l’accord nucléaire qui avait bridé les ambitions de Téhéran que le nouveau président s’en désintéressera lors de son second mandat, bien au contraire. Le président élu est entouré de faucons avérés qui considèrent que ce pays, tout comme la Chine d’ailleurs, constitue une menace existentielle pour la région, les intérêts américains, mais aussi pour la sécurité d’Israël. Même si les militaires s’accordent pour dire qu’il serait vain de vouloir détruire l’arsenal nucléaire à vocation militaire de l’Iran en raison de la profondeur des installations, il n’est toutefois pas exclu que des frappes aient lieu qui pourraient fragiliser le régime iranien, voire le faire chuter, ce qui constitue l’ambition secrète des proches de Donald Trump. Israël lui-même n’hésitera pas à frapper l’Iran si ses intérêts vitaux sont de nouveau menacés.
L’Iran veut ainsi renouer rapidement des liens avec le nouveau régime de Damas. Car ce pays a aussi des choses à se reprocher. Il a plutôt entretenu des relations cordiales avec le régime de Damas dont il partageait la volonté de dominer la région par le même proxy, le Hezbollah. Il n’a jamais vraiment soutenu l’opposition, bien qu’il le démente aujourd’hui en faisant valoir qu’il a encouragé le gouvernement syrien à ouvrir des pourparlers avec l’opposition. Si l’Iran est entré en Syrie en 2012, c’était pour lutter contre l’État islamique et non pour combattre les rebelles qui sont au pouvoir aujourd’hui, affirment les dirigeants iraniens. L’Iran va donc devoir faire profil bas dans l’attente que la situation s’améliore.
Quel rôle pour la Russie et les États-Unis ?
Mais la configuration classique pourrait reprendre forme dans les mois qui viennent avec un retour de la Russie dans lejeu moyen-oriental avec un risque majeur de confrontation avec les États-Unis. Car si l’administration américaine républicaine qui gouvernera à partir du 20 janvier 2025 semble privilégier l’isolationnisme, Donald Trump ne pourra, sans paraître faible – ce qu’il ne veut pas être –, se cantonner à un simple rôle de spectateur du jeu des puissances régionales. Le président Joe Biden a par exemple décidé de maintenir son contingent de troupes en Syrie précisément pour lutter contre l’État islamique qui reste encore actif.
Quant à Israël, si l’évolution de la situation lui est nettement favorable, la situation de Benjamin Netanyahu est aussi fragile sur le plan intérieur, où la pression s’accroît pour la libération des otages. Il devra aussi faire face à la réprobation internationale devant la pression de ses partenaires extrémistes et religieux de son gouvernement de s’engager résolument dans la colonisation de Gaza, de la Cisjordanie et du plateau du Golan en violation du droit international.
Patrick Martin-Genier