Pour la Revue Politique et Parlementaire, Olivier Rouquan, politiste et constitutionnaliste, réagit à la nomination de Gabriel Attal comme Premier ministre.
Gabriel Attal est donc nommé Premier ministre. Ce choix est cohérent par rapport aux vœux présidentiels, axés sur l’autorité et l’action. À ce second titre, la jeunesse fait figure de symbole. Au premier des deux titres, le positionnement de l’ancien ministre de l’Éducation, pendant six mois, a par anticipation illustré le thème du « réarmement civique » – énoncé le 31 décembre par le président. De fait, la « séquence » ouverte par l’Élysée après la loi relative à l’immigration, d’abord par l’annonce d’un nouveau « moment macronien » pour janvier, ensuite par les vœux, est désormais enrichie par le changement de Premier ministre. Cette nomination renforce le présidentialisme institutionnel assumé par le chef de l’État depuis 2017. Gabriel Attal, lors de la cérémonie de passation des pouvoirs, a rendu plusieurs fois hommage au président, dans le sillage duquel il a fait sa carrière sans avoir jusqu’à présent développé une autonomie politique – ou partisane ou parlementaire. Il lui a ouvertement juré fidélité.
Présidentialisme : jusqu’où ?
Avec cette nomination, le resserrement présidentialiste a aussi un sens idéologique : il s’agit de retrouver l’esprit de 2017. Ce faisant, elle rappelle des précédents : tous les présidents réélus ont la tentation de renouer en seconde partie de mandat, avec les fondamentaux de leur identité politique et ce faisant, préfèrent un exécutant fidèle. François Mitterrand nomme Édith Cresson puis Pierre Bérégovoy, après Michel Rocard afin de limiter le « big bang » de l’ouverture promu par ce dernier. Jacques Chirac nomme Dominique de Villepin après Jean-Pierre Raffarin, qui semblait incapable de cantonner Nicolas Sarkozy… Comparaison n’est pas raison, mais ces analogies peuvent donner plusieurs indications. La première d’entre elles est que ces rétractions présidentialistes sont rarement plébiscitées.
En premier lieu, à presque mi-temps de second quinquennat, l’usure est telle que le rebond dans l’opinion peut être de courte durée. François Mitterrand en pariant sur Édith Cresson nomme la première cheffe de gouvernement femme. Cela surprend et séduit : la côte de popularité monte très vite,… pour redescendre tout aussi vite et très bas, notamment parce que le PS est alors profondément divisé.
Gabriel Attal prend certes le poste avec une forte estime de « l’opinion », soit des sondages et des communicants favorables, ainsi qu’un écho médiatique positif.
La situation d’Édith Cresson n’était pas aussi bonne. Alors cette fois-ci, qui sait ? L’opération pourra-t-elle générer un regain durable de légitimité ?
L’opinion certes, mais les institutions ?
Nos démocraties d’opinion donnent certes toute leur importance à la visibilité, mais il reste des institutions. Ainsi en second lieu, le président et le nouveau Premier ministre ne peuvent seulement compter sur ce capital de départ pour affronter des logiques en désordre. Car la fonction de Premier ministre se heurte à deux dynamiques rarement récompensées par l’opinion, lorsque la défiance est installée : la conduite de la majorité et le pilotage de l’Administration. Or, la majorité reste aléatoire et les services publics majeurs sont en mauvais état (santé, école, police, justice, services sociaux…), alors que les attentes sont fortes et que la réduction de la dette va obliger à une énième phase de rationalisation.
Or, Gabriel Attal n’a pas durablement géré les ministères qu’il a dirigés.
Il est resté un peu plus d’un an au budget : cette expérience lui sera plus qu’utile pour veiller à l’équilibre budgétaire, alors que des investissements d’importance sont nécessaires pour « réarmer » le pays, y compris sur le plan civique. Cette équation pourra-t-elle être tenue sans nouveau 49.3 ? Sur le plan du projet, le nouveau Premier ministre pourra dans son discours de politique générale indiquer quelle pâte il souhaite donner à la régénération macronienne, qu’il incarne désormais. Quelle place pour la transition climatique ? Quelle place pour les politiques sociales ? Quelle tournure donner à la lutte contre la crise démocratique, citée comme préoccupation présidentielle ? Si Gabriel Attal veut gagner en densité politique, il ne peut se contenter de conforter la tournure libérale imprimée depuis 2017 par le macronisme à notre État providence. Il ne peut préalablement se contenter de nommer des ministres voulus par le seul président.
Des limites à l’autonomie du PM toujours présentes
Des limites à une conduite effective du gouvernement par Gabriel Attal demeurent : outre le présidentialisme, la faiblesse majoritaire et la temporalité politique sont des écueils majeurs.
À court terme, beaucoup glosent sur un duel Bardella/Attal dans la perspective des européennes.
Mais qu’a donc un nouveau Premier ministre à gagner à prendre trop de risques dans une élection mal engagée et dont le résultat ne redistribuera pas les pouvoirs internes ? À moyen terme, la présidentielle est dans tous les esprits. Le sortant ne se représentant pas et l’échéance approchant, les députés LR, RN et Nupes n’ont aucune raison de faire des « cadeaux » majoritaires – et donc de donner des votes favorables – au nouveau Premier ministre. Édouard Philippe, patron d’Horizon en a-t-il davantage ? Le Modem semble satisfait, mais jusqu’à quand ?
Bref les conditions d’approbation des textes à venir ne semblent pas, une fois le Premier ministre porté sur ses fonds baptismaux, meilleures que pour Élisabeth Borne.
La formation du nouveau gouvernement va peut-être aider à régénérer pour un temps la solidarité des députés.
Mais pour durer, au vu des enjeux actuels, le nouveau Premier ministre ne pourra se contenter de faire passer des textes « techniques » et les maquiller en grandes réformes politiques. Or, au vu des logiques politiques institutionnelles et administratives, la nomination de Gabriel Attal ne résout pas sur le papier et du seul fait de « l’opinion », une équation à X inconnues posée dès 2022 voire dès 2017 : comment redéfinir les conditions de fonctionnement normal de la démocratie majoritaire d’une part ; et comment reconfigurer durablement le jeu partisan d’autre part ?
Olivier Rouquan
Politiste et constitutionnaliste
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