Michel Monier critique l’État-Providence en le qualifiant de « vol », en s’appuyant sur des idées de Proudhon et de penseurs libéraux. L’auteur, met en avant l’importance de l’économie dans la redistribution des richesses et appelle à recentrer l’État sur ses missions régaliennes tout en redonnant à l’économie sa place centrale.
En se lamentant sur la crise de l’État-Providence on se trompe de débat, en dénonçant la « panne de l’ascenseur social », on se trompe de débat !
La panne qu’il faut dénoncer est celle de l’Économie.
Dire que l’État-Providence, c’est le vol ! c’est emprunter à Proudhon, mais pas seulement, c’est emprunter aux libéraux aussi. Avec les libéraux Jean-Baptiste Say et Auguste Blanqui, Proudhon opposait à ses contemporains socialistes que la révolution ne devait pas être politique mais économique, seule révolution qui peut garantir les libertés individuelles. Leur convergence n’était pas seulement parce qu’ils s’accordaient, l’un et les autres, sur les méfaits de la rente – sujet encore d’actualité avec les débats sur l’héritage – ou sur la valeur-utilité ou encore la libre concurrence. Ils s’accordaient pour dénoncer la subsidiarité de l’économique, le primat donné à la politique et aux institutions de gouvernement qui, s’enchaînant depuis 1789, ne trouvaient pas à résoudre, et faisaient émerger, la question sociale.
Le Politique s’est toujours méfié de l’Économie.
Les modes de gouvernements, quels qu’ils soient, ont privilégié la gestion administrative sur l’Économie. En 1848, la chaire d’économie du Collège de France est supprimée, en 2021 le rapport Tirole-Blanchard, pourtant commandé par l’exécutif, est mis au placard. Rien ne change ! Nous en sommes au même point : l’Économie est suspecte, une suspicion aggravée par la grammaire « communautaire » enrichie encore des utopies de décroissance. La solution économique est simple, elle se résumerait à « prendre aux riches », l’impôt, devenu « prélèvements obligatoires » s’y emploie.
Proudhon avait raison, nous nous sommes trompés de révolution (de révolutions au pluriel) elle devait être d’abord économique, elle a été politique et l’école libérale n’a pas vu que la défense de la propriété faisait conforter l’intervention publique.
Le roman national nous donne une mauvaise lecture des Trente glorieuses. Glorieuses elles l’ont été non pas par la création de l’État-Providence ni de la Sécurité sociale, mais avec le formidable développement de l’économie nationale qui permettait de financer les assurances sociales.
Ce qui est glorieux c’est le progrès économique qui a permis le progrès social.
Le carburant de l’ascenseur social c’est l’Économie. Il fallait bien sûr une incitation politique et c’est bien là le rôle des gouvernements que d’organiser les conditions du développement économique, les conditions favorables à la création et à la répartition des richesses. On appelle ça l’Économie politique, la science de créer puis de répartir les richesses. Le mot est « répartir », ab initio, et non pas « redistribuer ». En comprenant le modèle de 1944-45 comme un système de providence sociale et non pas d’assurance économique une logique d’assistance s’installait qui, de politiques publiques en politiques publiques, nous a conduits au « quoi qu’il en coûte » qui a fini d’enterrer l’Économique. La formule était, au sortir de la crise sanitaire « l’État a tenu », on voit, si l’on n’avait pas compris, que l’Économie déjà fragilisée n’a pas, elle, tenue. La conséquence est évidente : quand il n’y a plus d’huile dans la lampe des finances publiques… ça n’éclaire plus !
Les finances publiques ont épuisé le système productif en enchaînant des politiques d’aides et subventions qu’il fallait financer … en captant toujours plus de la richesse créée. On a choisi de payer le coût de la redistribution, des aides et subventions plutôt que le vrai prix économique. Ainsi des subventions à l’emploi, par le moyen d’exonérations ou allègements de « charges » et prime à l’emploi dont on oubliait de voir que ces interventions publiques sont financées par l’Économie. Chacun y a trouvé son compte … à court terme, au prix de la socialisation du modèle économique et social.
L’État, oubliant qu’il devait être stratège s’est fait Robin des bois prenant la richesse « à la production » pour en redistribuer toujours plus.
L’État-Providence, en captant plus de la moitié de la richesse créée s’est fait voleur, voleur au grand cœur.
Revêtu de la morale de la redistribution l’État se présente utile et renforce sa prétention au toujours plus d’État : l’action publique prévaut sur l’action économique. Bras armé de l’État, l’Administration est devenue obèse (un quart de l’emploi salarié) et le moteur de l’Économie, l’industrie (12% de l’emploi), s’est faîte « fabless ».
Un récent Premier ministre voulait engager la « désmicardisation », l’actuel l’engage semble- t-il en révisant les aides à l’emploi en en modifiant les paramètres. Prise de conscience, tardive, que ces aides jouent comme des trappes à bas salaires. Prise de conscience que l’allègement administratif du coût du travail peu qualifié a mis en branle le cercle vicieux de l’austérité salariale qui justifie l’intervention de l’État. C’est une prise de conscience salutaire, mais insuffisante. La mesure ne suffira pas à désmicardiser, ne suffira pas à faire sortir de l’austérité salariale. Pour en sortir il faut promouvoir un modèle économique détertiarisé, un modèle industriel, un modèle qui offre des emplois évolutifs. Le nez sur le coin fiscalo- social, des propositions viennent pour transférer les cotisations sociales du travail vers l’impôt ou la consommation : c’est là un tour de passe-passe qui allège le coût du travail (cotisations sociales et impôts de production) pour faire porter la charge sur les revenus et la consommation.
Au point où il est arrivé, l’État-Providence c’est le vol, un vol dont nous sommes tous receleurs et dont profitent quelques « passagers clandestins » (free riders). Il faut sortir de cet État- Providence non pas pour opter pour un néolibéralisme obtus, mais pour redonner à l’Économie la responsabilité de la juste répartition, « à la production », des fruits de la croissance, lui redonner la responsabilité du financement et de la gestion des assurances sociales- professionnelles contributives et, en même temps, recentrer l’État sur ses missions régaliennes et d’assistance sociale. Sortit de cet État-Providence obèse c’est redonner à l’Économie, à l’entreprise, son entière responsabilité sur l’emploi et ses conséquences – les externalités sociales .
Depuis cinquante ans le Politique, en multipliant les normes, en accélérant la réduction du temps de travail, en taxant, a posé bien des obstacles au développement économique. On peut reprendre le mot de Frédéric Bastiat 1 : l’État contraint à ne travailler que de la main gauche. En travaillant avec la seule main gauche on est entravé, on est moins habile … forcément on produit moins, avec plus de monde et pour plus cher ! Et moins on produit, plus les impôts et taxes augmentent …
Si la formule « l’État-Providence, c’est le vol ! » peut paraître quelque peu forcer le trait, la littérature économique et les comptes de la Nation nous éclairent sur le sujet. La littérature économique nous apprend que les administrations publiques produisent par elles-mêmes 12% du PIB 2 ; les comptes de la nations nous disent, eux, que les prélèvements obligatoires c’est 48% de PIB. L’action publique consomme donc 48% de richesses pour en créer 12%3 :si ce n’est pas du vol, c’est 36% gabegie. Evidemment l’action publique crée de la valeur sociale non marchande qui n’est pas « du PIB » ne pas le reconnaître serait nier les missions régaliennes de l’État. Ne pas les nier c’est, alors, s’interroger sur l’efficacité de l’action publique régalienne : la valeur sociale est-elle à hauteur des 36 %, en avons-nous pour notre argent ?
Le libéralisme classique hérité des Sentiments moraux d’Adam Smith, le libéralisme orthodoxe, celui de l’équilibre des dépenses et des recettes publiques, ont cédé devant l’interventionnisme débridé de l’État.
Au niveau où nous sommes arrivés, le premier niveau de redistribution c’est celui de l’Économie au profit de l’État et, si ça « ruisselle mal » la faute en revient à l’action publique, à force de politiques publiques d’entraves à l’Économie. Oui, l’État- Providence c’est le vol, mais un vol en réunion, nous en sommes tous, plus ou moins, receleurs. Qui bénéficie de ce vol en bande organisée ? (à suivre dans une prochaine tribune…)
Michel Monier,
Membre du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale est ancien DGA de l’Unedic.