Avec plus de 180 000 personnes contaminées et plus de 10 000 décès, l’Amérique latine et la région des Caraïbes subissent la pandémie du Covid-19 de plein fouet. Pascal Drouhaud, président de LatFran, vice-président de l’institut Choiseul et Guillaume Asskari, journaliste, spécialisé sur l’Amérique latine, font le point de la situation.
Si nous connaissons désormais l’ampleur de la crise sanitaire, les économies des différents pays pourraient également vivre un choc inédit. Une récente étude de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepal) évoque même la pire récession de l’Amérique latine depuis 1940.
La tendance au développement de la pandémie se vérifie dans les principales économies régionales (chiffres au 3 mai 2020) : le Chili compte plus de 18 435 contaminés et 1 427 morts ; l’Argentine, 4 770 cas et 246 morts, le Pérou, plus de 45 028 contaminés, plus de 1 286 morts et le Brésil avec plus de 7 000 morts. Cette pandémie du Covid-19 a entraîné des tensions politiques fortes au Brésil et au Mexique.
Un nombre croissant de victimes du Covid-19
Le décompte macabre se renforce tous les jours avec une inquiétude aigüe en Equateur (29 538 cas et officiellement 1 564 morts, tandis que les témoignages font valoir une crise renforcée à Guayaquil et dans l’Etat de Guayas) et au Venezuela (qui affiche officiellement, 357 contaminés et 10 décès). Le Mexique, qui est entré tardivement dans l’application des mesures de lutte, dénombre actuellement 23 471 cas et 2 154 morts. L’Amérique centrale applique des mesures strictes de confinement, à l’exception du Nicaragua, et parvient malgré tout à contenir la pandémie. Les autorités sanitaires internationales sont en alerte concernant Haïti. Cuba et la République dominicaine comptent pour l’heure respectivement 1 649 et 7 954 cas, 67 et 333 morts.
Après la crise sanitaire, entraînée par le Covid-19, la crise devrait être économique mais également sociale. L’inquiétude est de mise notamment sur les marchés et dans tous les secteurs de l’économie.
Ce choc risque de mettre un frein violent à la reprise qui s’était installée, avec mesure, ces trois dernières années.
Crise économique en perspective
Avec un taux de croissance de 1.2 %, 2.3 % et 1.9 % entre 2017 et 2019, l’Amérique latine espérait stabiliser sa situation économique. Le souvenir des années 2000, décennie qui paraît bien fastueuse du haut de ses 3.5 % (2004-2014), s’efface devant celui de la période de récession traversée entre 2015 et 2016 (respectivement -0.2 et -1 .2 %). Les tensions sociales et politiques qui se sont propagées tout au long de l’année 2019, du Chili à l’Argentine, du Pérou à l’Equateur, de la Colombie à la Bolivie, avaient noirci les perspectives économiques à court terme, pour 2020. La pandémie du Coronavirus aura accéléré cette tendance : les récentes projections économiques de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, ne laissent la place à aucun doute.
L’Amérique latine va connaître une récession historique, avec un recul de son PIB aux alentours de 5.3 %.
Fin avril, les pires récessions annoncées concernent, en premier lieu, le Venezuela, avec -18 %. L’Argentine, le Mexique et l’Equateur devraient connaître une contraction de leur économie de l’ordre de 6,5 %, le Nicaragua de 5,9 %. Les îles des Caraïbes, qui dépendent principalement du tourisme, seront les plus touchées (-7,2 % pour Antigua et Barbuda, -6,8 % pour les Bahamas, -8,1 % pour Sainte-Lucie).
Cette récession, précise le texte, sera due en grande partie à la chute de l’activité économique mondiale à cause de la pandémie, surtout aux Etats-Unis, en Chine et en Europe, principaux partenaires commerciaux de l’Amérique latine et des Caraïbes. Les exportations régionales vers la Chine devraient être celles qui diminueront le plus -24,4 %). « Les pays les plus exposés sont l’Argentine, le Brésil, le Chili et le Pérou, les plus gros exportateurs de la région de produits [tels que le fer, le cuivre, le zinc, l’aluminium ou encore le soja] vers la Chine », précise la Cepal. En effet, chacun est concerné par les conséquences générées par la crise : effondrement du prix des matières premières notamment de celui du pétrole, impactant des pays déjà en crise comme le Venezuela.
Les exportations largement impactées
Nombreux sont les pays qui voient la valeur de leurs exportations chuter : la part de leurs produits primaires (blé, soja, viande, minerais, pétrole) représente plus des 2/3 de leurs exportations. Au Chili, 85 %, en Colombie, 73 % , au Brésil, 60 %. La chute du tourisme et, avec elle, celle des activités commerciales régionales et des transports aériens constituent une menace immédiate pour les économies des pays de la région des Caraïbes. Les Etats de l’arc des petites Caraïbes, peu touchés par le coronavirus, sont frappés de plein fouet par l’arrêt du tourisme dont ils dépendent pour certains, comme Saint Lucie à hauteur de 70 %.
Le Mexique, l’Amérique centrale, notamment le Costa Rica, les pays andins, le Brésil, sont également impactés alors que le tourisme participe à hauteur de 10 à 15 % des revenus. Les « remesas », ces revenus envoyés par les ressortissants nationaux établis à l’étranger, qui représentaient 22 milliards de dollars en 2019, vont diminuer. Dans certains pays comme ceux d’Amérique centrale, principalement El Salvador, le Guatemala et le Honduras, elles représentaient près de 15 % du PIB. Enfin, le ralentissement du commerce international et la baisse des échanges aériens sont deux facteurs importants de la crise économique.
Une hausse du taux de pauvreté
La rivalité commerciale qui existait entre les Etats-Unis et la République populaire de Chine avant la crise du coronavirus, avait déjà eu des conséquences en 2019 : la Chine est le premier partenaire commercial du Brésil, premier investisseur en Equateur, partenaire stratégique de l’Alliance du Pacifique qui regroupe le Mexique, la Colombie, l’Equateur, le Pérou et le Chili. Le niveau des échanges vers la Chine, baisserait de 24.4 %. Le ralentissement provoqué par le Coronavirus expose les économies latino-américaines qui ne peuvent pas se tourner vers leur marché intérieur comme source de consommation : près de 58 % de la population active participe de l’économie informelle.
Dès lors, la pauvreté va se renforcer : la Cepal annonce une hausse de 4.4 % du taux de pauvreté, passant de 30.3 à 34.7 % de la population totale.
Cela représente 29 millions de personnes qui risquent de grossir les rangs des 189 millions de pauvres déjà reconnus. Le niveau d’extrême pauvreté atteint 12.4 % de la population.
Autant dire que le continent est en train de renouer sur le plan économique et social, avec la période noire des années 1930. Régimes sanitaires sous pression et parfois vacillants, peu ou pas d’aides aux plus démunis, autant d’éléments aggravants et participant d’un pessimisme général. Avant de se transformer en possible crise de la gouvernance, des pistes méritent d’être explorées : l’accompagnement de lignes de crédit à taux bas, un allègement des services de la dette, intéressant par exemple au premier chef l’Argentine, l’accès à de nouvelles ressources financières notamment par le renforcement de la solidarité régionale. A la différence de l’Union européenne, il n’existe pas de dispositifs régionaux offrant la mise en place de plan de soutien, de solidarité ou de relance. Plus que jamais, la coopération régionale mériterait d’être renforcée sur le plan budgétaire car elle fait actuellement cruellement défaut.
Davantage qu’auparavant, l’Amérique latine et la région des Caraïbes doivent faire face à leur réalité économique et sociale : la chronique d’une catastrophe annoncée peut être corrigée par des réformes structurelles fortes, contribuant à la mise en place de dispositifs de solidarité nationale mais également de réactivation des marchés intérieurs. Les crises politiques de 2019 avaient mis en exergue les insuffisances de sociétés qui paraissaient confrontées à de profondes fractures sociales. La crise de la pandémie du Covid-19 place l’Amérique latine devant ses forces et faiblesses.
2020 est l’année de l’urgence économique et sociale.
Elle peut offrir l’opportunité de construire un nouveau contrat social qui se fera en faveur de l’unité des pays. Elle sera la condition d’une réussite de structures régionales mises au service du développement économique et social.
Dans ce tableau général sombre, quelques lueurs d’espoir émergent tout de même : la Colombie est devenue officiellement le 28 avril dernier le 37e pays membre de l’OCDE. Jusqu’à présent, l’Organisation de coopérations et développements économiques comptait le Mexique et le Chili parmi ses membres. Un autre pays latino pourrait également rejoindre le club des pays les plus riches, c’est le Costa Rica. Enfin et surtout, la majorité des pays comprennent que la sortie de la crise devra ouvrir une réflexion profonde en faveur de la mise en place de coopérations régionales renforcées sur le plan économique et financier. La crise rappelle l’importance des dispositifs visant au soutien des PME/TPE, des filières notamment agricoles, textiles et mécaniques. Autant de chantiers à mener au lendemain d’une crise qui aura mis à l’épreuve le lien entre l’Etat central et les régions notamment.
Pascal Drouhaud
Président de LatFran (www.latfran.fr), vice-président de l’institut Choiseul
Guillaume Asskari
Journaliste, spécialisé sur l’Amérique Latine