Dans cette analyse, que nous publions en six parties, Mariame Viviane Nakoulma interroge le lien entre laïcité et aumônerie.
En dehors de l’aumônerie carcérale, les aumôniers interviennent également auprès du corps des armées. L’aumônerie militaire trouve son origine dans les guerres du Moyen Âge et ne devient une institution permanente en temps de paix qu’après la Seconde Guerre mondiale[1].
Sous Napoléon Bonaparte, l’institutionnalisation de la Grande aumônerie en 1806 renoue avec une tradition monarchique et gallicane. Au XIXè siècle[2], l’institutionnalisation de l’aumônerie militaire est difficultueuse, étant donné qu’elle apparaît comme une ingérence étrangère, celle du Saint-Siège, au sein d’une institution qui plus est régalienne. Ce sont les deux guerres mondiales (1914-1918 ; 1935-145) qui feront prendre conscience de l’important rôle joué par les aumôniers, en temps de guerre comme de paix.
Il faudrait justement rappeler que l’institutionnalisation des aumôneries militaires au cours des XIXè et XXè siècles est un bon indicateur de l’évolution des rapports entre les religions et l’État et de la sécularisation de la société française[3].
Dans l’armée, la laïcité en tant que principe constitutionnel incarne bien la liberté de conscience et de religion. Cette assertion invite de même à tenir pour vrai le besoin encore présent de la spiritualité et, partant, l’intérêt de la présence de l’aumônerie dans l’univers particulier qu’est le monde militaire. La pratique de sa foi ou d’un culte via le service d’un aumônier ne viole pas les dispositions et autres règlements de service de l’armée. La liberté de croyance et de conscience des soldats et des cadres de l’armée est prise en compte. Le cadre juridique spécifique de l’aumônerie militaire est un régime fixé par les textes tels que la loi du 8 juillet 1880 ; le décret n° 64-498 du 1er juin 1964 portant règlement d’administration publique relatif aux ministres du culte attachés aux forces armées (complété par l’arrêté du 16 mars 2005) ; le décret n° 2008-1524 du 30 décembre 2008 relatif aux aumôniers militaires (complété par l’arrêté du 15 juin 2012 portant organisation des aumôneries militaires). Ce décret de 2008 fixe que les aumôniers militaires « sont des militaires servant en vertu d’un contrat »[4] et qu’ils assurent « le soutien religieux du personnel de la défense qui le souhaite » et « peuvent être consultés par le commandement dans leur domaine de compétences »[5]. En 2019, on compte 209 aumôniers militaires d’active, 66 dans la réserve opérationnelle et 83 dans la réserve citoyenne. Chacun des quatre cultes est associé à une autorité religieuse civile qui propose des candidats : le Diocèse aux armées françaises (créé en 1986), la Fédération protestante de France, le Consistoire central israélite et le Conseil français du culte musulman (créé en 2003)[6].
En Suisse, la pratique des aumôniers de l’armée existe. Le conseil, l’accompagnement et le soutien fournis par l’Aumônerie de l’armée sont encadrés. Des églises et institutions religieuses peuvent établir un partenariat avec l’aumônerie de l’armée afin que des personnes dûment formées issues de leurs rangs puissent rejoindre l’aumônerie de l’armée, sans occulter la diversité propre à l’armée. L’apport spécifiquement religieux se fait dans le respect intégral des militaires[7].
Relativement à l’aumônerie hospitalière, elle est celle qui se met au service des malades, des souffrants et des personnes âgées.
L’accompagnement de l’aumônier dans les divers hôpitaux, à la polyclinique et dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (ÉHPAD) se fait dans l’accueil de la souffrance et des doutes d’autrui face à la maladie ou au dépérissement, dans le respect de l’autre, de sa conscience, de ses valeurs, de ses besoins spirituels et de sa recherche de sens.
Dans les hôpitaux, la gestion des aumôneries se fait au niveau de l’établissement de santé qui confère, pour les besoins de son service, un statut à l’aumônier qui est recruté soit en qualité de contractuel rémunéré, soit en tant que bénévole, sur proposition des autorités cultuelles dont il relève. Ce sont les conseils d’administration qui fixent les effectifs des aumôniers. Dans chaque établissement, un référent chargé du service des aumôneries hospitalières est désigné.
Pour ce qui est du cadre juridique, il faut retenir qu’au sens de l’article R1112-46 du Code de la santé publique[8] « les hospitalisés doivent être mis en mesure de participer à l’exercice de leur culte. Ils reçoivent, sur demande de leur part adressée à l’administration de l’établissement, la visite du ministre du culte de leur choix ». Quant à la Charte du patient hospitalisé annexée à la circulaire DGS/DH n° 22 du 6 mai 1995 relative aux droits des patients hospitalisés, elle souligne ceci : « L’établissement de santé doit respecter les croyances et les convictions des personnes accueillies. Un patient doit pouvoir, dans la mesure du possible, suivre les préceptes de sa religion (recueillement, présence d’un ministre du culte de sa religion, nourriture, liberté d’action et d’expression, …) ». Il en est de même pour les personnes atteintes de troubles mentaux et hospitalisées sans leur consentement[9].
L’expression des convictions religieuses « ne doit porter atteinte ni au fonctionnement du service, ni à la qualité des soins, ni aux règles d’hygiène, ni à la tranquillité des autres personnes hospitalisées et de leurs proches. Tout prosélytisme est interdit, qu’il soit le fait d’une personne hospitalisée, d’un visiteur, d’un membre du personnel ou d’un bénévole ».
Le rôle actuel des aumôniers entre en cohérence avec la laïcité. Dans l’État laïque français, la liberté de conscience et la liberté de croyance sont protégées. Individuellement comme collectivement, il est possible d’exercer ces libertés. La neutralité du service public n’empêche pas que se déploient, dans certains établissements qui le requièrent, les aumôneries. Le droit français porte à l’équilibre la neutralité laïque et la liberté de conscience/religieuse. Mais cet équilibre est chancelant.
[1] Ministère des armées, « Expliquer la laïcité française : une pédagogie par l’exemple de la laïcité militaire », décembre 2019, p. 30.
[2] Pour aller plus loin, lire. Dominique et Marie-Claude HENNERESSE, Insignes et tenues des aumôniers militaires français depuis 1852, ETAI, 2011.
[3] Ministère des armées, op. cit., pp. 20ss.
[4] Article 1.
[5] Article 2.
[6] Données du ministère des Armées, idem.
[7] Raphaël LEROY, voir https://www.rts.ch/info/suisse/11487161-une-invitation-a-la-priere-dans-une-caserne-choque-des-militaires-suisses.html.
[8] Version en vigueur depuis le 27 mai 2003. Cf. également le Décret n° 74-27 du 14 janvier 1974 relatif aux règles de fonctionnement des centres hospitaliers et des hôpitaux locaux.
[9] Cf. Article L 3211-3 du code de la santé.
Mariame Viviane NAKOULMA
Dr en Droit/diplômée en Sciences politiques.
Enseignante universitaire
Chercheure associée au CLÉSID Lyon 3-Jean Moulin
Fondatrice Conseil Droit international pénal-Gouvernance politique (https://dipen-gouvernance.com)
Auteure