On ne saurait promouvoir les droits des animaux sans changer le vocabulaire que nous utilisons encore fréquemment pour définir nos co-locataires sur terre. La plupart des gens, à commencer par les défenseurs de la corrida, ne regardent pas les animaux tels qu’ils sont : des êtres vivants doués de sensibilité, capables par conséquent de ressentir toutes les émotions (humaines) : joie, amour, tristesse, douleur. Ils oublient ces caractéristiques.
Quel meilleur moyen que de travestir, de « déguiser la réalité » (Georges Chapouthier) ? Comment ? En usant de mots « objectivant » toujours l’animal dans la tradition d’un Code civil qui en faisait juste un « meuble ». D‘où cette vieille réalité sémantique où il est toujours question de « bétail », de « volaille », de « gibier », de « viande ». Il n’y a donc, en ce bas-monde, véritablement, ni bœufs, ni vaches, ni taureaux : du bétail ; ni poules, ni canards, ni lapins : de la volaille ; ni chevreuils, ni sangliers : du gibier. Et, bien sûr, il n’y a pas de chair dans nos magasins, mais de la « viande ».
Tous ces mots, on le sait, ont pour fonction de priver « nos amis les bêtes » d’existence concrète.
Reprenons l’exemple de nos magasins qui, petits ou grands, les mettent en vente chaque jour. En boucherie, il existe toute une série de termes qui doivent faire oublier que, derrière la viande vendue, il y a des cadavres. Malgré les gentils mots de « filet mignon », de « bavette », ce que nous avons sous les yeux, ce sont des morceaux de chair (sanguinolente souvent).
Ce « déguisement de la réalité », nous le retrouvons dans ces deux domaines sensibles que sont la corrida et la chasse à courre. Comme le note Georges Chapouthier (Les droits des animaux, 1992), à propos de la corrida, « ici, toute une présentation colorée et sonore est faite pour que la torture de l’animal par l’homme disparaisse devant un contact symbolique qui oppose un être supérieur de lumière et de beauté (l’homme) et un être inférieur vil et méchant (l’animal). L’éclairage symbolique cherche, ici encore, à faire oublier la réalité des faits et à déguiser le réel ».
Ainsi, les défenseurs de la corrida parlent-ils à longueur de temps de « tradition culturelle », d’« esthétisme », d’ « art » pour justifier le spectacle pourtant ignoble de tauromachie.
Si, enfin, l’on ne parle plus de « bêtes » (mot faisant penser à vilaine bête, à « bestialité »), l’on parle toujours d‘animaux « sauvages » (avec cette idée de sauvagerie, donc de dangerosité), tandis que nous devrions parler d’animaux « vivant en milieu naturel ».
Soyons-en sûrs, la progression des droits des animaux dans ce pays passe donc aussi par une « révolution sémantique ».
Michel Fize
Sociologue