A l’initiative d’un certain nombre d’ONG environnementalistes, un grand séminaire intitulé « Beyond Growth » sur la thématique de la décroissance économique sera organisé à Bruxelles du 15 au 17 mai 2023. L’évènement est adoubé par la Commission européenne (introduction d’U. Von der Layen), le Conseil (conclusion de C. Michel) et le Parlement (intervention de R. Metsola). La brochette des speakers donne tout de suite le ton quant à la… pluralité de l’évènement. Sans surprise, les parlementaires européens participant à l’évènement seront à une écrasante majorité (>70%) de gauche (S&P) et d’extrême-gauche (Greens et Left). Les intervenants académiques sont sans exception des économistes décroissantistes assumés issus du GIEC, du Club de Rome, de mouvements écologistes extrémistes (Extinction Rebellion, Youth for Climate) ou encore « flirtant » avec les milieux collapsologiques. Je vous laisse enfin imaginer la liste de partenaires et sponsors gravitant autour d’ONGs anticapitalistes comme OXFAM, Les Amis de la Terre ou la Fondation de l’Ecologie Politique
Vers une « climatocratie » totalitaire
La Gauche possède cette constance historique à considérer que « ce qui ne marche pas résulte du fait qu’on n’a pas été assez loin ni assez fort »[1]. Ainsi, Mao Tsé Toung après l’échec du Grand Bond en avant persévéra avec la Révolution Culturelle. A une époque où « il valait mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron », il fallut de nombreuses années aux idolâtres maoïstes pour reconnaître que le Grand Timonier était le plus grand criminel de l’Histoire.
La crise énergétique apparue à l’été 2021 renforcée par le conflit russo-ukrainien a démontré l’incohérence d’un Green Deal construit en filigrane de l’Energiewende allemand.
Tout le monde sait que les objectifs 2030 (55% de GES en moins) et 2035 (fin de la fabrication des voitures thermiques) ne seront pas atteints.
Mais, plutôt que de reconnaître ses erreurs, l’Europe veut accentuer sa marche suicidaire en promouvant des pistes toujours plus délirantes.
La décroissance en fait partie et les positions publiques de la plupart des speakers invités à « Beyond Growth » ont de quoi effrayer. Ainsi le collapsologue Aurélien Barreau[2] considère que « nous sommes face à une extinction massive de la vie sur Terre ». Comme les autres prophètes de l’apocalypse, Barreau encourage l’avènement d’un nouveau totalitarisme vert. Une vision partagée par l’énergéticien JM Jancovici qui, lors d’une interview récente[3], se disait « favorable à un système communiste : riche ou pauvre vous aurez droit dans toute votre vie à 3 ou 4 vols »[4].
Une société de décroissance égalitariste est par construction indissociable d’un régime totalitaire où l’Etat Vert décidera de tout : de ce que les agriculteurs produiront au sein de nouveaux Kolkhozes collectivistes[5], de ce que vous aurez le droit de manger, de la surface de votre logement, du nombre d’enfants que vous aurez le droit d’engendrer, de la durée, de la destination de vos vacances et j’en passe. Si vous avez aimé le totalitarisme Stalinien vous adorerez cette « climatocratie verte » remarquablement décrite par l’épistémologiste Jean-Paul Oury dans son dernier ouvrage « Greta a ressuscité Einstein »[6]. L’enfer que vivent les riverains résidant aujourd’hui dans les villes dirigées par des maires écologistes en donne un premier aperçu[7]!
Les promoteurs du décroissantisme ont évidemment une vision toute autre. Pour l’écologiste Delphine Batho[8] la décroissance serait « une société du plus » selon G. Kallis « Une décroissance heureuse »[9]permettant d’accéder à « la prospérité sans croissance »[10] de T. Jackson. Tous trois sont des invités phares de Beyond Growth.
Qu’est ce qu’une économie de décroissance ?
Le décroissantisme n’est en rien un modèle capitaliste à croissance négative. Il s’agit d’une société nouvelle concaténant trois filiations : l’écologisme, le marxisme et l’anarchisme[11].
Le constat de départ relève de l’écologie « collapsologique » : la décroissance serait le seul levier crédible pour éviter la catastrophe écologique ultime. Bien que jugeant sévèrement la pensée productiviste des marxistes[12], les décroissantistes y empruntent les valeurs traditionnelles de partage, de solidarité et surtout d’égalité. Comme leurs ainés, ils sont obsédés par l’égalitarisme, abhorrent la liberté d’entreprendre, les riches et tout ce qui s’y corrèle (sélection, compétition, réussite sociale).
Enfin, le décroissantisme rejette la démocratie représentative et promeut une pseudo-démocratie directe faite d’assemblées participatives où les biens rares sont répartis de façon homogène.
Rappelant les terribles « comités de quartier » issus de la Révolution Culturelle chinoise[13], ils légitiment des pratiques totalitaires prohibant toute contestation de la décision collective. Associant croissance et développement, les décroissantistes rejettent les principaux véhicules du développement parfois jusqu’à l’extrême comme le prêtre viennois Ivan Illich qui promouvait une société…sans école[14] et sans hôpitaux[15].
La haine du capitalisme nourrie par le marxisme classique a été remplacée par la haine du développement.
Le modèle et ses trois piliers sont parfaitement synthétisés dans l’ouvrage « Ralentir ou périr » publié en 2022 par l’économiste Timothée Parrique[16], autre participant vedette au colloque de l’UE.
Partant du constat néo-marxiste que « l’économie de croissance ne cherche qu’à améliorer le bien-être d’une minorité privilégiée », il estime nécessaire de « baisser les émissions de 96% à l’horizon 2030 en réduisant la production et la consommation dans un esprit de justice sociale et de souci du bien-être ». L’atterrissage est une économie « régénérative et stationnaire » en « harmonie avec la nature ; les décisions seraient prises ensemble pour partager équitablement les richesses et prospérer sans croissance ». En Rousseauiste convaincu il considère que « de la crise climatique naitra un monde nouveau et meilleur ». Rien de très différent de l’ « homme nouveau » de Staline[17] purifié de tout vice capitaliste par la terreur, la violence et l’oppression.
Sous couvert d’apocalypse, les décroissantistes nous somment donc de choisir entre croissance et fin du monde. Mais quelle est réellement leur motivation première ? Le dessein est-il de protéger la planète en luttant contre le réchauffement, la filiation gauchiste étant alors une conséquence logique de l’engagement climatique ? Ou au contraire le climat n’est-il qu’un instrument pour mettre à bas la société de croissance et son démon capitaliste. Le poids de leur engagement anticapitaliste fait plutôt pencher pour la seconde thèse ce qui nous a amenés, par analogie avec « l’islamo gauchisme », à qualifier les décroissantiste de « climato gauchistes ».
Un glissement lent vers le Lyssenkisme climatique
Le totalitarisme a de tout temps instrumentalisé la science pour satisfaire ses agendas idéologiques. Une instrumentalisation résultant d’un étonnant regard sélectif sur les lois de la physique : j’amplifie ce qui me convient et j’oublie ou mieux j’interdis ce qui ne me convient pas.
Ainsi, les Nazis avaient-il créé dans les années 1930 L’Ahnenerbe[18] sorte d’institut de recherche archéologique destiné à justifier « scientifiquement » la supériorité raciale des Aryens sur les races supposées inférieures. Sous la pression d’Himmler convaincu que le Tibet était le berceau de la race aryenne, l’Ahnenerbe avait poussé le ridicule jusqu’à organiser en 1938 une expédition himalayenne[19] pour y rechercher les traces hypothétiques de leurs descendants.
De l’autre côté du rideau de fer, le sinistre Trofim Lyssenko (1898-1976) assura son succès en promettant à Staline de sauver l’agriculture soviétique mise à bas par la collectivisation des terres. Réfutant les lois de Mendel qu’il qualifia de « génétique bourgeoise », Lyssenko finit par étouffer tout débat scientifique, fit arrêter et exécuter nombre de scientifiques éminents. Ses théories absurdes furent saluées par de nombreux intellectuels communistes et contaminèrent même les milieux scientifiques ouest-européens. Le Lyssenkisme est probablement le plus bel exemple de la perversion de la science par l’idéologie avec l’assentiment de la communauté scientifique.
Cette instrumentalisation se retrouve aujourd’hui en filigrane du débat climatique. Sur le fond, les documents du GIEC constituent un travail remarquable et une inestimable base de données. L’organisation internationale reconnaît elle-même d’énormes incertitudes quant à l’impact des émissions de GES sur le réchauffement. Des incertitudes en grande partie liées au manque de fiabilité des modèles climatiques et admirablement résumées par Steven Koonin dans son ouvrage[20] « Climat : la part d’incertitude ». Des incertitudes pourtant implicitement niées par Y. Jadot quand il déclare « qu’il faut dégager les climatosceptiques des ministères »[21]. Challenger les rapports du GIEC ne constitue en rien un acte révisionniste. D’autant que le pédigré de certains de ses membres influents ont de quoi poser question. Ainsi l’économiste décroissantiste J. Steinberger (autre invitée vedette du colloque de l’UE !) est aussi une proche sympathisante de collectifs radicaux comme Extinction Rebellion ou Renevate Switzerland encourageant la désobéissance civile[22] ou encore candidate d’Ensemble à Gauche partit genevois d’extrême gauche exhibant sur ses affiches le logo LGBT. Un mélange des genres affectant la crédibilité des conclusions du GIEC quand il commence lui aussi à encourager la décroissance[23].
Nous ne demandons pas au GIEC et à ses membres de faire de la politique ou de la désobéissance civile mais de fournir aux politiques des données et des modèles fiables afin qu’ils puissent à travers une approche bénéfice risque faire les choix les plus pertinents pour notre avenir.
Principe de précaution vs approche bénéfice risque
Dans son « train de la décroissance » Parrique part d’un dogme « l’économie de croissance n’améliore que le bien-être d’une minorité privilégiée » largement contredit par les données socio-économiques les plus élémentaires. Est-il en nécessaire de démontrer l’extraordinaire aptitude de la croissance économique à stimuler le développement humain ?
La mortalité infantile encore de 15% au début du XXème siècle est aujourd’hui de 3 pour milles dans les pays développés. A l’autre extrémité de la vie, la croissance économique a été le principal propulseur de l’espérance de vie passée de 35 ans au début du XIXéme siècle à plus de 80 ans aujourd’hui. La croissance économique a éradiqué l’analphabétisme dans les pays développés et l’a réduite à 15% dans les pays émergents. Enfin, si elle n’est en rien une garantie d’honnêteté, elle y contribue indirectement par le truchement des règles logiques imposées à la société. Dans les faits, les Démocraties Libérales sont de loin les pays moins corrompus alors que les régimes totalitaires sont synonymes de fraude, corruption et contrebande.
Face à ces chiffres, quel serait l’impact d’une baisse de 96% des GES via une contraction autoritaire de la production et de la consommation. Conduirait-il au monde meilleur de Parrique et Jackson ? Ou au contraire nous plongerait-il inexorablement dans la pauvreté absolue ?
Les chiffres climato-économiques liés à la première pandémie de 2020 nous en donne un aperçu chiffré. En France, le confinement avait contracté le PIB de 8% et les émissions de GES de 9,5% par rapport à 2019[24]. Réduire les émissions de 92% à l’horizon 2030 comme le suggère Parrique conduirait mécaniquement à diviser le PIB/hab par 4,5 et réduirait mécaniquement l’espérance de vie des Français de 7 ans. 7 ans d’espérance de vie correspondent en termes de mortalité à 850 000 décès annuels supplémentaires. 850 000 victimes collatérales de la décroissance en 2030 à comparer aux 2800 victimes attribuées aux canicules en 2022[25], à chacun de choisir en conscience sa stratégie.
Pourquoi le décroissantisme ne peut-il conduire qu’à la pauvreté absolue ?
Lorsqu’on laisse évoluer naturellement un système fermé, il converge vers un état « d’équilibre thermodynamique » égalitaire, désordonné et irréversible. Associé à une perte totale de mouvement et d’information, il peut être qualifié de « mort clinique ».
Pour lutter contre cette situation mortifère, la nature a imaginé le concept de « structure dissipative » théorisé par chimiste belge Illya Prigogine[26]. Maintenue en permanence hors équilibre, ouverte, ordonnée mais inégalitaire, une structure dissipative puise dans son environnement des ressources matérielles et énergétiques, conserve de l’énergie de haute valeur (dite énergie libre) pour assurer son fonctionnement et rejette l’environnement des déchets de très faible valeur.
Prigogine démontra que tous les systèmes naturels inertes (galaxies, étoiles, planètes) mais aussi vivants survivent de cette façon dans un univers qui cherche en permanence à leur imposer l’équilibre thermodynamique. Le corps humain n’y échappe pas : vous mangez et vous respirez (flux d’énergie rentrant), vous bougez, vous pensez et vous maintenez votre température à 37°C (énergie libre) et vous rejetez dans l’environnement du CO2 et des excréments (flux de déchets sortant).
Quant à l’équilibre thermodynamique du corps humain, il correspond à la mort clinique : votre température retourne à celle de la pièce (égalitarisme), votre corps se disperse dans l’humus du sol (désordre) et vous perdez toute la richesse de vos mouvements et l’information de votre cerveau.
La société de croissance[27] se comporte comme une gigantesque structure dissipative consommant en entrée des ressources matérielles (minerais, humus du sol) et énergétiques (dont 83% d’énergies fossiles), produit de l’énergie libre sous forme de biens (richesse matérielle) et de services (richesse informative) et rejette dans l’environnement de multiples déchets dont le CO2 responsable du réchauffement climatique.
Il n’y a malheureusement pas de miracle : Sapiens ne peut perpétuer son développement qu’aux dépends de Gaïa.
Comme toute structure dissipative, la société de croissance repose sur trois piliers. L’ouverture (le libre échange), l’ordre (autorité et organisation) et enfin les inégalités (sélection, compétition). Des valeurs aux antipodes de celle d’une Gauche au socle profondément égalitariste[28] promouvant les valeurs de l’équilibre thermodynamique : lutte contre les inégalités, critique du libre- échange, refus de toute sélection, compétition, et autorité. Ceci explique cela et notamment pourquoi l’égalitarisme marxiste a inéluctablement convergé vers la pauvreté absolue. Pour la même raison, tel est l’inexorable destin du décroissantisme. Le marxisme classique promettait (à tort) l’égalité dans l’abondance, le climato gauchisme nous propose l’égalité dans la pauvreté. L’incomparable Winston Churchill n’avait-t-il pas écrit « si le vice du capitalisme est l’inégale répartition de la richesse, la vertu du socialisme est l’égale répartition de la misère ».
Comme toute structure dissipative, la société de croissance ne sera pas pour autant éternelle. Mais, loin d’être optimisé elle a encore de beaux jours devant elle. Avec les meilleures technologies et les meilleurs comportements on pourrait faire aussi bien avec quatre fois moins. Ne jetons donc pas le « bébé avec l’eau du bain » et misons sur un développement durable reposant sur une croissance soutenable.
Philippe Charlez
Expert en Questions Energétiques
Institut Sapiens
[1] https://www.contrepoints.org/2022/10/24/441391-crise-energetique-lexecutif-remet-une-couche-de-transition-vers-le-neant
[2] https://www.dirigeant.fr/planete/aurelien-barrau-les-vraies-realites-sont-biologiques-climatiques-geologiques-et-elles-se-rappellent-a-nous/
[3] https://www.youtube.com/watch?v=FMGb4Wb0gO0
[4] https://www.leparisien.fr/societe/jean-marc-jancovici-face-a-nos-lecteurs-jai-plus-peur-de-laisser-mes-enfants-traverser-la-rue-que-du-nucleaire-03-10-2022-COLCHDWFE5GVBBCRM6NNZI2EQQ.php
[5] https://www.contrepoints.org/2021/08/31/404227-ou-sarretera-la-folie-de-lecologie-politique
[6] JP Oury (2022) « Greta a ressuscité Einstein” Editions VA
[7] https://fr.irefeurope.org/publications/articles/article/les-villes-dirigees-par-les-ecologistes-un-enferD
[8] https://reporterre.net/Delphine-Batho-La-decroissance-est-une-societe-du-plus-pas-du-moins-22634
[9] G. Kallis, S. Paulson, G. D’Alisa & F Demaria (2023) « Plaidoyer pour une décroissance heureuse » Pressses Unviversitaires de France
[10] Tim Jackson (2015) « Prospérité sans croissance » Editions De Boek Supérieur
[11] https://www.afri-ct.org/wp-content/uploads/2015/02/99_BLANC-NOEL-AFRI_2010.pdf
[12] Serge Latouche (2009) « Oublier Marx », Revue du MAUSS, n° 2, 2009
[13] https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_1992_num_4_1_1496
[14] I. Illich (1971) « Une société sans école » Editions du Seuil
[15] I. Illich (1975) « Némésis médicale » Editions du Seuil
[16] Th. Parrique (2022) « Ralentir ou Mourir » Ed Le Seuil
[17] https://books.openedition.org/pur/46112?lang=fr
[18] Héritage ancestral
[19] https://himalaya.socanth.cam.ac.uk/collections/journals/ret/pdf/ret_61_02.pdf
[20] S. Koonin (2022) « Climat : la part d’incertitude » Ed L’Artilleur
[21] https://www.dailymotion.com/video/x87epxq
[22] https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/crise-climatique/video-climat-une-scientifique-du-giec-arretee-lors-d-une-action-de-desobeissance-civile-en-suisse_5410945.html
[23] https://www.nouvelobs.com/idees/20220430.OBS57849/le-giec-ouvre-la-voie-d-une-decroissance-soutenable-et-conviviale-par-timothee-parrique.html
[24] Source des données INSEE https://www.insee.fr/fr/statistiques/5387891
[25]https://www.google.com/search?q=nombre+de+victimes+climatiques+en+France&rlz=1C1GCEA_enFR915FR915&oq=nombre+de+victimes+climatiques+en+France&aqs=chrome
[26] https://www.universalis.fr/encyclopedie/structure-dissipative/
[27] Ph. Charlez (2021) « L’utopie de la croissance verte » Editions JM Laffont
[28] D. Godefridi (2018) « La passion de l’égalité »