Le malentendu est un accident relationnel qui s’ignore. Et c’est précisément de cette ignorance qu’il tire sa force. Plus on l’ignore comme tel, plus le pouvoir masqué du malentendu peut déployer sa redoutable force comique ou dramatique mais dès qu’il se dévoile dans sa réalité d’accident relationnel, il disparait. L’évoquer c’est le dissiper. Le mot s’épuise avec la chose.
Continuer à patauger dans un malentendu alors même que celui vient d’être dévoilé, c’est afficher sa mauvaise foi. Mauvaise foi (première définition) : continuité ou prolongement d’un malentendu dévoilé.
Alors que la grandeur du débat démocratique consiste à dialoguer et à dissiper les malentendus sans abandonner ses convictions, on assiste de plus en plus souvent à des justifications erronées, des mensonges avérés, et des attitudes dignes d’une arène de jeux de cirque où le pugilat a remplacé le débat parlementaire et contradictoire.
Macron et la gauche ? Une aspiration (au début peut-être), un calcul (souvent), un malentendu (la plupart du temps). Malentendu dévoilé qui n’en est donc plus un : Macron a bel et bien rejoint son camp.
Cette réforme permettrait la retraite pour tous à 1200 euros ? Au mieux, un malentendu, au pire un mensonge. Maintenant que l’économiste de gauche Mickael Zemmour (homonyme de l’autre mais son antonyme absolu d’un point de vue politique) a dévoilé la supercherie, le gouvernement ne peut plus brandir cette argutie sans afficher sa mauvaise foi.
La NUPES ? Un arrangement pour beaucoup, un malentendu pour certains. Ces derniers doivent maintenant retrouver le sens de la gauche sociale-démocrate et de la mesure car la volonté d’obstruction démocratique et de buzz systématique a sonné le glas de la réconciliation.
Ceux qui au LR jouent les vierges effarouchées face à la réforme ? Aucun malentendu, juste un mauvais calcul politique qui les disqualifiera pour longtemps ; cette réforme était quand même quasi la leur ! Ils ne pourront pas plaider le malentendu pour faire illusion. Mauvaise foi (deuxième définition) : invoquer un malentendu qui n’existe pas
Le RN au pouvoir ? Un risque qui, pendant longtemps, a été considéré comme un malentendu (« les gens expriment leur colère et leur désarroi mais ça n’arrivera pas ») Ce risque s’actualise pourtant d’élections en élections.
Le 49, 3 ? Sans refaire toute l’histoire de cet outil, ayons simplement à l’esprit que son utilisation sera qualifiée de normale et constitutionnelle ou de déni démocratique selon que l’on se situe dans la majorité ou l’opposition.
Les considérations changent avec la fonction et fragilisent ainsi la confiance des français face au théâtre politique.
Cet article 49,3 donc, qui nonobstant sa légitimité constitutionnelle, pourrait s’avérer dangereux dans la séquence politique actuelle. Comme le compte n’y était pas, Elisabeth Borne et Emmanuel Macron ont choisi de passer en force pour rassurer les marchés financiers, et ainsi éviter les conséquences d’une faillite annoncée (mais supposée). Le geste sacrificiel que la première ministre est convaincue de faire pour son pays (« jamais mon destin personnel ne me fera prendre une décision que je juge contraire à l’intérêt de mon pays ») risque de jouer à rebours. Elisabeth Borne pense réellement que cette réforme a abouti à un compromis acceptable entre les deux assemblées et que, sans la promulgation de celle-ci, un risque de faillite serait en jeu. Sa conviction n’est pas feinte, mais cela ne fait pas pour autant de cette réforme la bonne réforme. Le champ lexical de son dernier discours à l’assemblée est révélateur de ce qui anime son action : compromis (prononcé 6 fois) et responsabilité (prononcée 3 fois). Le malentendu est ici, sur le sens du mot responsabilité. Car une responsabilité peut en cacher une autre, plus urgente, et dans le tumulte actuel, la conséquence concrète de l’utilisation du 49,3 sera de fragiliser une démocratie déjà affectée par la vertigineuse défiance et méfiance des français envers les institutions. Dans ce jeu étrange du qui perd gagne (sa place contre la réforme), au-delà du destin personnel d’Elisabeth Borne, le véritable perdant sera sans nul doute la démocratie.
Au lieu d’expliquer les efforts nécessaires pour remettre le système à l’équilibre et de proposer une réforme qui aurait dû s’élaborer avec plusieurs autres leviers (cf. ma dernière tribune « dessine-moi une retraite » du 3 mars 2023 dans la revue politique et parlementaire), on a exagéré le diagnostic ; ors, si le système n’est effectivement pas à l’équilibre, il n’est pas pour autant à l’agonie. Le gouvernement a agi comme si un risque vital de l’assurance retraite était en jeu et l’obligeait à adopter une temporalité d’urgentistes réformateurs !
Face à un risque vital, les explications ne sont plus les mêmes, et le gouvernement s’est ainsi embourbé dans une logique dangereuse.
Thierry Pech, le directeur général de Terra Nova rappelait sur France Inter (Emission Esprit Public du 19 mars 2023) que ce qu’il fallait sauver maintenant c’était le sens de la mesure et que pour cela, il fallait en faire preuve soit même. En ne donnant pas les bonnes explications, on crée du malentendu et on attise la crispation. Les fausses justifications, le débat empêché par LFI à l’assemblée et in fine l’utilisation du 49,3 donnera une victoire à la Pyrrhus ou une défaite immédiate.
En impactant en priorité les classes populaires et en cherchant, non pas les compromis sociaux avec les syndicats, mais les compromis politiques avec le LR, la crispation s’est accélérée et nous amène à la situation actuelle, avec un RN aux aguets et une tension démocratique inédite.
LFI, en refusant le débat contradictoire, a rajouté du chaos au chaos mais cela aura au moins permis d’évacuer le malentendu de la réconciliation à gauche.
Le malentendu le plus étrange est sans doute celui que le gouvernement entretient avec lui-même et qui se cristallise autour de la personne d’Elisabeth Borne, persuadée d’avoir trouvé les bons compromis et de proposer la bonne réforme alors même que de compromis, il n’en restera, pour beaucoup de français, que l’acception péjorative qui s’apparentera à une compromission.
A l’heure où je finis ces lignes, les deux motions de censure ont été rejetées, dont celle du groupe LIOT à 9 voix près. Une responsabilité nouvelle chasse l’ancienne. La colère gronde. Certains responsables politiques se nourrissent de cette colère et attisent les tensions ; comparer Emmanuel Macron à un dictateur nous en apprend plus sur la bêtise de ceux qui s’expriment ainsi que sur l’objet de leur détestation. Mais Macron est un réformateur sourd qui à force d’utiliser tous les moyens, pourvu qu’ils soient constitutionnels et qu’il en ait le droit, l’enferme dans une posture qui devient intenable. Il a l’occasion de reprendre la main en la tendant aux français. Mais comment accéder à son oreille ? Mr le président, entendez-vous la colère ? Mr Macron, comment apaiser une France aux bords de l’implosion ? Emmanuel, ne vois-tu rien venir ?
Vincent Millet
Enseignant à Tours
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