C’est un grand philosophe quasi centenaire qui se retourne sur toute l’histoire de sa discipline vieille de plus de deux mille cinq cents ans. Le fait est assez rare pour être relevé. Et l’exercice est vertigineux.
Avec Une histoire de la philosophie, Jürgen Habermas propose une relecture ambitieuse et critique pour remettre en perspective le discours classique sur l’avènement et l’élaboration des grands problèmes de la philosophie depuis sa naissance. Avec le tome II de son histoire de la philosophie (« Une histoire… », insiste l’auteur dans son titre) que vient de publier Gallimard, Habermas met les pieds dans le plat et annonce d’emblée l’angle par lequel il a choisi de prendre la question : les rapports entre « foi et savoir ».
Alors que la conception moderne de la philosophie a toujours enseigné l’opposition de la religion et de la philosophie, de la foi et du savoir, le philosophe allemand réarticule les deux pour montrer comment leur imbrication a nourri en profondeur toute l’histoire de la philosophie jusqu’à nos jours, et que la scission des deux notions, leur opposition, n’est que le résultat tardif de notre modernité.
Dans un moment historique où la question religieuse — celle de la foi et des croyances —reprend de la vigueur dans nos sociétés contemporaines, et où la place de la science et de la connaissance rationnelle est interrogée et souvent remise en cause, ce travail immense de généalogie philosophique mené par Habermas est de grande utilité.
Il nous aide à mieux appréhender notre modernité dont l’un des traits les plus caractéristiques est l’opposition de la foi et du savoir. Dans ce deuxième tome, le vieux philosophe héritier de l’école de Francfort aborde la période qui va de Luther au mode contemporain, en passant par une grande discussion du moment représenté par le débat entre Hume et Kant, lesquels fixent les deux pôles au travers desquels se sont distribués les principaux courants de la philosophie après eux et jusque’à nous.
Cette histoire de la philosophie n’est pas un manuel de philosophie. C’est une généalogie conceptuelle à visée historique qui cherche à éclairer les conditions d’apparition des problèmes épistémologiques, moraux et éthiques dont nous sommes les héritiers.
C’est un livre majeur et il faut prendre le temps de le lire dans la durée.
Habermas a eu ce courage de nous livrer une histoire singulière de la philosophie à contre-courant de l’opposition facile et figée qui oppose, sans les questionner, les rapports entre le monde du savoir et celui de la foi.
Eduardo RIHAN CYPEL
Ancien député de 2012 à 2017
Porte parole de “Territoires de progrès”
Membre du conseil éditorial de la Revue Politique et Parlementaire