La réalité s’impose : l’inflation est vigoureusement installée et lamine les budgets des ménages tout autant qu’elle altère la trésorerie des entreprises et singulièrement des PME.
Certains agents peuvent répercuter vers l’aval la hausse des prix, d’autres sont coincés et subissent de plein fouet des variations tarifaires qui sont éloignées du chiffre moyen que nous fournit l’Insee.
Dire que la hausse des prix est autour de 6% est un conte pour les jeunes enfants là où le portefeuille des citoyens subit une valse des étiquettes bien supérieure. Il est déraisonnable de se fier à un chiffre moyen alors qu’il faut effectuer des relevés de prix sectoriels moins naïfs. Le président de Système U – Dominique Schelcher -, homme pondéré et avisé, considère que l’inflation va atteindre plus de 15% d’ici à l’Été.
Le Printemps sera rouge et concernera tout autant les prix du rayon jardinage que celui d’un modeste paquet de coquillettes.
L’inflation est une variable poisseuse en ce qu’elle vise des achats indispensables tout autant que des achats d’impulsion éventuellement moins impératifs. Vraiment poisseuse, elle affecte d’autant plus les ménages modestes que la part des dépenses alimentaires est conséquente dans leur budget mensuel. Michel-Édouard Leclerc a été jusqu’à parler de » tsunami » en stigmatisant les hausses de prix réclamées, pour ne pas dire exigées, par les grands industriels. Plus de 40% pour certains produits d’hygiène est la preuve sonore et trébuchante que l’inflation a subi une véritable mutation.
Avant le déclenchement de la guerre en Ukraine qui a renchéri des biens industriels et des produits agricoles, il y avait eu les répercussions des chocs d’offre dans le rebond de croissance post-Covid. L’inflation est née de la rareté de certains approvisionnements et de l’inflation monétaire découlant de la politique accommodante des banques centrales. Ici, la Fed a mieux régaté que notre BCE. Puis, telle la contrition du boa, l’inflation s’est propagée vers l’aval et les grands producteurs ont répercuté, autant que faire se peut, la hausse des prix via un essor sans précédent de leurs marges que leurs résultats nets de 2022 illustrent avec netteté.
Quand le Gouverneur de la Banque de France déclare, dans la semaine du 8 mars, que » l’inflation sera divisée par deux d’ici à la fin de l’année 2023 « , il n’y a que Pirandello et son comique de répétition pour nous aider à digérer un tel propos. N’est-ce pas le même responsable central qui nous disait que l’inflation serait comme une » bosse » ( sic ) et que la question serait réglée à la fin de 2022.
Clairement, en matière d’inflation, les responsables de l’État tiennent un discours éloigné de la réalité observable et subie.
Oui subie car les Français sont inquiets de cette valse des étiquettes qui se conjugue avec des hausses modérées de salaires. Cet effet de ciseaux des revenus pourrait bien avoir des conséquences sociales plus délicates à endiguer que ne le pense le ministre Bruno Le Maire.
Les prévisionnistes de Rexecode et Denis Ferrand ont mis en évidence que les dernières salves de hausses des prix proviennent des élévations de marges des fournisseurs du secteur de la distribution, celle-ci essayant de tenir le cap.
Pour ma part, je considère que nous sommes passés d’une inflation de répercussion à une inflation d’amplification.
Le bornage supérieur est alors plus délicat à situer et les profiteurs en tous genres ont encore de jolis mois devant eux.
Faute d’un dialogue musclé entre l’État et les grands donneurs d’ordre, c’est la Bérézina pour le portefeuille du consommateur. Il serait d’ailleurs intéressant de noter que l’État et l’inflation entretiennent un concubinage coupable. Un prix qui monte est un prix qui draine davantage de rentrées de TVA. Idem pour les carburants où la ficelle est grosse. Certes, la rémunération du Livret A passe à 3% ce qui est la moitié du niveau de l’inflation officielle tandis que les prêts immobiliers deviennent trop souvent inaccessibles pour celles et ceux qui veulent acquérir un bien.
La BCE ne pourra lutter contre l’inflation qu’au moyen d’une hausse des taux d’intérêt – avec impact sérieux sur notre charge de la dette publique – qui va altérer la dynamique de la croissance alors même que la consommation est, depuis plus d’un an, le moteur principal de l’expansion.
Depuis les travaux d’Irving Fischer, il est établi que le taux d’intérêt nominal est lié aux taux d’inflation de la période passée. Autrement dit, l’ensemble des agents économiques s’adaptent et développent un modèle de prophétie auto-réalisatrice.
Ainsi les prix ont à la fois une dynamique autonome et une dynamique issue de la volonté des agents et de leurs comportements.
Le stère de bois, l’automobile, le paquet de pennes n’ont pas fini d’augmenter sous les yeux ébahis du Régulateur monétaire qui a pour mission, dans ses Traités constitutifs de limiter l’inflation à 2%.
Sans le ressentir de prime abord, nous sommes désormais dans un autre cycle économique qui inscrit en lettres capitales le mot inflation et qui va conduire la sphère publique à mieux appréhender les forces motrices sauf à continuer de sous-estimer le risque de révoltes de la faim.
» Il est terrible le petit bruit de l’oeuf dur cassé sur un comptoir d’étain
il est terrible ce bruit quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim
elle est terrible aussi la tête de l’homme, la tête de l’homme qui a faim » Jacques Prévert. ( La grasse matinée ).
Qui peut nier l’affluence hors-norme des points de distributions alimentaires qui ne cesse de se répandre au travers des territoires ?
L’inflation n’est pas que de l’économie mais aussi du vivant, pire de l’urticant pour des millions de pauvres gens.
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique