
Plusieurs facteurs autorisent à douter de la durabilité d’une configuration pour le moins inédite et instable.
Les institutions ne tiennent plus la vie politique, ne lui garantissent plus la stabilité qui jusqu’à maintenant lui permettaient d’absorber les épreuves, y compris les plus convulsives.
Une dissonance potentiellement incontrôlable opère désormais entre un champ politique balkanisé, à l’image des insatisfactions françaises et un système représentatif qui ne parvient plus à articuler attentes citoyennes et offre partisane dans un écrin susceptible de fournir stabilité et visibilité à court et moyen terme. En d’autres termes le bateau est ivre – ou presque -. Le risque de l’échouage sur les brisants, par exemple, de l’enjeu immigration n’est pas à exclure, tant les LR ont posé des conditions telles que le franchissement de l’obstacle par l’exécutif apparaît quasi improbable sauf à ce que l’une des deux parties accepte de se renier pour l’une ou de se risquer à une crise interne pour l’autre…
Dans ces conditions, le jeu est hautement contraint pour le chef de l’Etat ; ainsi, les solutions visant à desserrer l’étau sont toutes limitées : le remaniement sans changement de Premier ministre relèverait du non-évènement; la nomination d’un nouveau chef de gouvernement à Matignon devrait obéir pour faire sens à une recomposition politique mais l’hypothèse d’une alliance avec LR témoignerait immanquablement de la raréfaction de l’oxygène du mainstream politique, contraint de puiser jusque dans ses réserves d’oppositions de proximité pour s’assurer de sa survie ; la dissolution, quant à elle, si elle permettrait de rebattre les cartes et de justifier une recomposition post-électorale, apparaîtrait très vite comme une ultime manœuvre dont l’objectif consisterait à préserver le fragile et friable pré-carré de ce qu’Alain Minc avait abusivement dénommé et désigné comme « le cercle de la raison »…
C’est une lutte existentielle qui au-delà des conjectures de l’instant se dessine ; si les institutions se mettent à vaciller du fait de l’absence d’un fait majoritaire à l’Assemblée nationale, il faudra y voir l’expression objective de ce que le parti présidentiel continue de nier, enfermé dans ses certitudes héritées d’un conformisme de plusieurs décennies : une crise de régime dont la genèse n’est pas tant dans l’esprit supposé « néfaste » des institutions comme voudrait le penser Jean-Luc Mélenchon, mais dans un usage altéré de la lettre de la Constitution, réduite à une interprétation opportuniste des intérêts du President et non de ceux du peuple français…
En démocratie, les régimes sont d’abord ce qu’en font leurs dirigeants ; en vidant de la préoccupation de souveraineté la pratique politique de la Ve République, l’actuel chef de l’Etat comme ses prédécesseurs les plus récents ont décalcifié nos institutions.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne