Dans une économie de la connaissance, l’intelligence est la clé de tous les pouvoirs. L’école est malheureusement une technologie très peu efficace : elle est aujourd’hui incapable de diminuer les inégalités intellectuelles. Mais la classe politique refuse ce constat : l’intelligence est le dernier grand tabou. Par ailleurs, l’IA n’est pas comprise par les systèmes éducatifs, qui précipitent les enfants vers les métiers les plus menacés par son développement, ce qui nous promet bien des Gilets jaunes.
Le vrai « grand remplacement » sera le remplacement cognitif
Bill Gates a déclaré : « Les IA super-intelligentes sont notre avenir. » Pour Sam Altman, le créateur de ChatGPT : « Réussir la transition vers un monde doté d’une superintelligence est peut-être le projet le plus important, le plus prometteur et le plus effrayant de l’histoire de l’humanité. » Le patron de NVIDIA, le principal producteur de microprocesseurs destinés à alimenter l’IA, affirme qu’elle sera dans dix ans 1 million de fois plus puissante que ChatGPT.
En avril 2023, GPT4 possède un QI verbal de 155 soit plus que 99,989 % des Français.
Le QI de ChatGPT augmente de 3 points par mois. On frémit en pensant aux résultats de GPT5 ou GPT6 qui vont sortir dans les dix-huit prochains mois. Nous entrons dans un monde où la production d’IA sera infinie et quasi-gratuite.
Et, une nouvelle révolution technologique va achever de déstabiliser notre stratégie scolaire. Trois groupes technologiques foncent pour créer des robots dotés d’IA. Tesla avec ses robots Optimus ; OpenAI qui va équiper les robots NEO avec les prochaines versions de ChatGPT ; Google qui a présenté fin juillet 2023 des avancées remarquables dans les robots intelligents. La Robolution chère à Bruno Bonnell arrive. L’IA fusionnera bientôt avec la robotique, le coût des robots chutera radicalement.
ChatGPT ne peut pas arriver au plus mauvais moment
Le capitalisme cognitif qui réunit l’IA, les neurosciences et la robotique bouleverse la structure économique.
L’arrivée de ChatGPT va considérablement concurrencer les cerveaux humains formés par l’école.
L’éducation aurait pu profiter des dix dernières années pour se mettre en branle. Elle n’a pas bougé. Notre marginalisation est absolument inévitable. J’estime que je connais environ un millionième du savoir médical : seules des machines peuvent traiter cette explosion de la connaissance.
Les deux écoles
Il existe deux types d’école sur terre. L’école traditionnelle des cerveaux biologiques et l’école de l’IA, que les experts dénomment « AI teaching ». La concurrence est très inégale entre les deux écoles : il faut trente ans pour produire un ingénieur ou un radiologue en chair et en os ; quelques heures pour éduquer une IA. L’école est un artisanat archaïque tandis que l’éducation des cerveaux de silicium menée par les géants du numérique est la plus puissante des industries. L’école sous sa forme actuelle est une technologie dépassée aussi archaïque que la médecine de 1750 ! Son organisation et ses méthodes sont figées et, plus grave, elle forme aux métiers d’hier alors que l’éducation des cerveaux de silicium s’améliore de minute en minute.
L’école de 2050 ne va plus gérer les savoirs mais les cerveaux grâce aux technologies NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives).
Faire mentir Harari sera difficile : l’école va énormément décevoir
La vision du monde futur de Yuval Harari dans Homo Deus est un cauchemar politique qu’il intitule de façon atroce « gods and useless » : des dieux tout-puissants, maîtres des IA, et des inutiles ne comprenant pas la nouvelle économie du savoir. Il faut, bien sûr, tout faire pour empêcher la création d’une aristocratie de l’intelligence manipulant les « inutiles de Harari ». Mais, derrière ces bons sentiments, la réalité est tragique : il n’existe toujours aucune technologie éducative pour réduire significativement les inégalités intellectuelles. Le dédoublement des classes de CP en zones difficiles dites REP+ a permis de baisser la proportion d’élèves de REP+ en très grande difficulté de 40 à 37 % pour le français et de 40 à 34 % en mathématiques. L’impact du dédoublement n’est pas nul, mais il est bien faible. On observe un gain de 0,08 écart-type en français et de 0,13 écart-type en mathématiques, en faveur des élèves de REP+ dédoublés, par rapport au groupe témoin. Le dédoublement des classes – dont le coût est énorme – a rendu la situation un tout petit peu moins dramatique, mais ses bénéficiaires ne sont toujours pas armés pour s’intégrer dans l’économie de demain. N’oublions pas que ces enfants seront encore sur le marché du travail en 2070.
L’égoïsme insensé des élites intellectuelles : le tabou du QI est suicidaire
Les élites ont lancé la société de la connaissance, du big data et l’industrialisation de l’IA sans se préoccuper de la démocratisation de l’intelligence biologique. Parler du quotient intellectuel conduit les bien-pensants à sortir immédiatement la gousse d’ail et le crucifix. Les élites font de la mesure de l’intelligence un tabou. Posséder un QI élevé est pourtant la principale défense dans le monde qui vient. Or sans mesure il n’y a aucun management possible. Imagine-t-on de surveiller un cancer du poumon sans scanner, ou un diabétique sans mesurer la glycémie ? Le décalage temporel entre l’industrialisation de l’IA, foudroyante, et la démocratisation de l’intelligence biologique, qui n’a pas commencé, menace la démocratie. Dans une société de la connaissance, les écarts de capacités cognitives entraînent des différences de revenus, d’aptitude à comprendre le monde, d’influence et de statut social explosives.
L’horrible réalité est que le tabou du QI traduit le désir inconscient et inavouable des élites intellectuelles de garder le monopole de l’intelligence, qui les différencie de la masse.
Au XXIe siècle, la réduction des inégalités ne se fera plus par la fiscalité, mais par le « neuroenhancement » : il sera possible d’égaliser directement l’intelligence, réduisant de fait la nécessité de mécanisme de redistribution a posteriori. L’État providence de 2050 se fondera sur les neurotechnologies.
Bourdieu avait tout faux, hélas !
Pierre Bourdieu affirmait que les inégalités sont dues essentiellement à des facteurs culturels : l’environnement familial serait la source des différences de performances liées à la capacité de manipuler les codes de la bourgeoisie. En réalité, l’ADN détermine plus de 50 % de notre intelligence. L’école et la culture familiale ne pèsent pas beaucoup face au poids décisif de la génétique, selon les travaux conduits par plusieurs équipes dont celle de Robert Plomin au King’s College de Londres1. La causalité est l’inverse de ce que Bourdieu imaginait. Ce n’est pas parce qu’il y a des livres dans les bibliothèques des bourgeois que leurs enfants sont de bons lecteurs : c’est parce qu’ils ont reçu un bon patrimoine génétique. 64 % de nos différences en matière de capacité de lecture sont d’origine génétique : la famille, l’école, nos efforts individuels et le hasard n’en expliquent qu’un tiers.
La corrélation dérangeante entre pauvreté, environnement culturel, bagage génétique, capacités cognitives et QI reste taboue.
Comme l’explique Franck Ramus, de l’École normale supérieure : « En moyenne, les personnes les plus défavorisées socialement sont aussi les plus désavantagées génétiquement. » Il ne faut pas nier le déterminisme neurogénétique de 2023, mais le casser d’ici 2050 !
ChatGPT conduira au « droit opposable à l’intelligence »
L’école en tant que technologie de transmission de l’intelligence, est d’ores et déjà une technologie dépassée au siècle de ChatGPT. L’éducation va sortir de l’âge du bricolage pour devenir une technologie. Avec les NBIC, nous entrerons dans l’ère de l’industrialisation de l’école. L’apprentissage devient une véritable science fondée sur l’observation objective de la structure du cerveau et de ses modes de réponse. En 1860, aucun chirurgien ne se lavait les mains avant d’opérer ; en 2023, aucun enseignant n’évalue le cerveau avant d’enseigner. Dans quelques décennies, enseigner sans connaître les caractéristiques neurocognitives et génétiques d’un enfant paraîtra aussi absurde et antédiluvien que de soigner un cardiaque sans ECG ou un cancéreux sans scanner.
À partir de 2040, l’éducation deviendra une « branche de la médecine », utilisant les immenses ressources des neurosciences pour personnaliser d’abord la transmission et optimiser ensuite bio-électroniquement l’intelligence.
L’informatique et la neurologie fusionnent, à l’initiative des milliardaires de l’IA
Nous vivons un tournant dans l’histoire de notre cerveau. 48 heures après la sortie de GPT4, Elon Musk s’est lamenté : « Que restera-t-il à faire pour nous, les humains ? Nous ferions mieux de passer à autre chose avec Neuralink ! » Elon Musk entend développer les implants destinés à augmenter l’Homme car c’est, selon lui, la seule planche de salut de notre espèce. Elon Musk affirme qu’il n’aurait aucun problème à implanter Neuralink dans le cerveau de ses enfants puisque « La révolution de l’IA rend le cerveau humain obsolète. »
L’augmentation des capacités cognitives des individus fera l’objet d’une opération médico-technologique de routine.
La concurrence de l’IA sera le moteur d’une généralisation du neurorenforcement chez les enfants : il s’agira pour les parents du seul espoir d’assurer un avenir à leur progéniture.
La personnalisation de l’enseignement grâce aux neurosciences sera rapidement complétée par une action non plus d’adaptation de l’enseignement mais d’adaptation du cerveau lui-même. Il va en effet devenir possible d’augmenter l’intelligence non pas en jouant sur l’environnement – l’apprentissage –, mais en agissant soit en amont de la naissance, soit directement sur la machine cognitive qu’est le cerveau lui-même. L’école deviendra alors transhumaniste et trouvera normal de modifier le cerveau des élèves en utilisant toutes les technologies NBIC. Augmenter les capacités intellectuelles utilisera deux groupes de technologies, en réalité complémentaires : la sélection et manipulation génétique des embryons, ou l’action électronique sur notre cerveau. Dans le monde ultra-complexe que l’IA va induire, la démocratisation de l’intelligence biologique s’imposera comme une évidence. Une large partie des Chinois et 38 % des Américains souhaitent augmenter le QI de leurs bébés grâce aux biotechnologies ce qui pose d’immenses questions géopolitiques et éthiques. Que deviendraient les bébés européens du futur si on ne les augmente pas, pendant que les Chinois et les Américains fabriqueraient des surdoués à la chaîne ? Les élites intellectuelles françaises ont-elles moralement le droit d’interdire aux familles modestes d’augmenter le QI de leurs bébés ?
La nouvelle école débutera avant la naissance avec les technologies de sélection embryonnaire. Elle se poursuivra la vie durant, tant les besoins cognitifs changeront face aux écosystèmes rapidement évolutifs d’IA.
Les docteurs en neurosciences vont remplacer les éducateurs. L’ingénieur éducationnel et le médecin spécialisé en neuropédagogie seront chargés du paramétrage optimal de l’enseignement reçu par chaque élève en fonction de ses caractéristiques neuronales et des modalités d’augmentation cérébrale dont l’enfant aura bénéficié. L’école gèrera un écosystème complexe composé de généticiens, de neurobiologistes, de neuroélectroniciens, de neuro-éthiciens et de spécialistes d’IA appliquée à l’éducation.
Les créateurs d’Internet étaient persuadés que ce réseau deviendrait le principal outil de promotion de la démocratie, en garantissant la libre expression à chaque habitant de la Terre. Cette utopie technologique était d’une naïveté confondante. L’IA permet toutes les manipulations et fake news déstabilisatrices, ce qui augmente l’hystérisation du débat. L’IA brouille la frontière entre réel et irréel. Faux documents, vidéos parfaitement réalistes, « environnements ultra-immersifs », peuvent fausser le débat politique. Le développement de la réalité virtuelle va accentuer cette immersion dans un monde irréel et magique qui deviendra une drogue ultra-addictive.
L’école sous une forme totalement transfigurée devra ajouter trois missions à son rôle traditionnel qu’est la formation des citoyens et des travailleurs : apprendre aux nouvelles générations à gérer le pouvoir démiurgique de l’Homme apporté par les technologies NBIC ; organiser un monde où de nombreuses formes d’intelligences biologiques et artificielles vont cohabiter et former les futurs citoyens à éviter les cyberaddictions, à se repérer dans le brouillard du cyberespace pour sauver le libre arbitre.
L’école de 2050 devra rendre tous les enfants aussi intelligents que ChatGPT
Le droit au QI élevé pour tous deviendra aussi évident que l’égalité entre hommes et femmes.
Les neuroconservateurs qui refusent, au nom des bons sentiments humanistes, l’utilisation des neurosciences pour réduire les inégalités intellectuelles, nous conduisent à une situation révolutionnaire.
Les bourgeois ont imposé la vaccination et l’hygiène car les microbes des pauvres les menaçaient ; les élites de 2050 craindront que les gens moins doués ne détruisent l’ordre social. Le neurorenforcement sera le successeur de l’hygiénisme pasteurien.
Évidemment, ChatGPT relance le débat sur le revenu universel. Sam Altman s’engage à financer de larges expériences de revenu universel afin d’inventer l’État-providence du futur. À la question « Que deviendront les gens moins intelligents que ChatGPT ? », Sam Altman répond qu’ils seront payés par la collectivité puisqu’ils ne pourront plus travailler. Certains intellectuels de la Silicon Valley proposent même la gratuité des technologies de réalité virtuelle. Le RU est un cauchemar : on y parque les travailleurs dépassés par ChatGPT dès la sortie de l’école jusqu’à leur entrée chez Orpea. Ce n’est pas le revenu qui doit être universel mais le développement du cerveau !
Le déni de la révolution ChatGPT est total au gouvernement.
La seule réaction ministérielle a été la déclaration le 20 février 2023 du ministre chargé de la Transition numérique, Jean-Noël Barrot, le robot ChatGPT ne serait qu’ « un perroquet approximatif ». À cette aune, le gouvernement français aurait déclaré le jour d’Hiroshima : « La bombe atomique est un pétard mouillé… »
Vouloir castrer Homo Deus est illusoire : l’école doit tenir un discours positif
Nous sommes en train d’acquérir un pouvoir démiurgique mais nous ne savons pas comment l’encadrer. Il nous manque un « Théologiciel », c’est-à-dire le logiciel des dieux que nous devenons. Il est urgent de construire la boussole éthique d’Homo Deus. Tel est le paradoxe de notre temps : c’est dans une ambiance apocalyptique que nous devons réfléchir à l’avenir de l’humanité et à la domestication de l’Homo Deus que nous sommes devenus. Ressuscitant les peurs des chrétiens de l’an mille, on persuade les jeunes qu’on brûlera bientôt dans l’enfer du réchauffement climatique sauf s’ils acceptent une réduction massive de leurs libertés. L’école doit cesser d’être le porte-voix des ayatollahs apocalyptiques et de Greta Thunberg.
Nos enfants ne pourront pas être compétitifs face à l’IA si l’école les convainc que la fin du monde arrive.
En réalité, les technologies NBIC offrent des perspectives extraordinaires à l’aventure humaine : conquête de l’espace, recul de la mort, maîtrise de notre cerveau, transmission de pensée, manipulation du vivant.
Éduquer Homo Deus
L’Homo Deus est balbutiant, en rodage. Être un dieu n’est pas facile. Cela s’apprend.
L’Homme a coévolué avec la Nature puis avec les outils. Il doit désormais coévoluer avec l’IA.
Le changement de rythme est étourdissant : le neurone a lentement évolué en 550 millions d’années ; le transistor électronique n’a que 86 ans ; GPT4 quelques mois. Notre société va au-devant de trois crises. Une crise sociale dès la diffusion de ChatGPT5 qui sera ultra-compétitive face à nous. Une crise éthique, lorsque la neuroaugmentation deviendra nécessaire. Une crise existentielle enfin, lorsque l’IA nous défiera dans ce que nous sommes en tant qu’individus et êtres humains. L’école – ou plutôt l’institution qui lui succédera – aura la tâche de répondre à ces trois défis.
Docteur Laurent Alexandre
Auteur de La guerre des intelligences à l’heure de ChatGPT, Éditions J-C Lattés, 2023
- Robert Plomin, Blueprint: How dna Makes Us Who We Are, Londres, Allen Lane, 2018. ↩