Le 30 Juillet 2024, la France précise sa position concernant la crise du Sahara occidental en déclarant que le plan d’autonomie proposé par le Maroc est la seule base de négociation pour mettre fin à ce conflit qui a presque 50 ans d’âge.
Rabat salue cette décision. Désappointé, Alger fulmine et rappelle son ambassadeur à Paris. Les mauvaises relations entre ces deux pays datent et sont même enracinées dans les mémoires populaires. En fait, la position française n’a pas vraiment changé avec le temps. En revanche, les situations mondiales, dans le monde arabe et africain sont en pleine évolution et ont des répercussions.
Situé à la porte du stratégique détroit de Gibraltar qui voit passer une grande partie du commerce international, notamment des hydrocarbures, le Maroc a développé une approche pragmatique des grands pays d’Europe mais aussi des États-Unis, de la Chine, de la Russie qui ont été visités par le roi Mohammad VI. Il n’est donc pas étonnant de le voir, en 2020, rejoindre les accords d’Abraham où il a habilement négocié l’existence d’Israël contre la reconnaissance par Donald Trump de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.
Comme le roi hachémite jordanien, celui du Maroc bénéficie du prestige de l’affiliation de sa dynastie régnante avec le prophète Mohammad. Il est donc le Commandeur des croyants, et, de ce fait, Il a la reconnaissance du monde arabe et musulman. Par ailleurs, le Maroc peut bénéficier de l’appui des monarchies pétrolières du Golfe qui ne lésinent pas sur leurs nombreux soutiens au pays.
Fort de ses liens historiques avec l’Afrique occidentale et sahélienne, le roi n’a pas hésité à leur rendre visite. Il y bénéficie aujourd’hui d’une notoriété certaine dans de nombreux domaines comme l’économie, les banques, les forces armées, sans oublier le religieux puisque ce sont les Marocains qui forment leurs imams.
Pays stable de la région, le royaume du Maroc est considéré et respecté.
Pour sa part, l’Algérie a brutalement réagi à l’annonce française en faveur de la position marocaine sur le différend saharien. Elle assiste impuissante aux avancées de pays plus compréhensifs de la position marocaine. Elle aussi, cherche à compter ses soutiens extérieurs. Si la Chine reste toujours intéressée par tout ce qui touche aux besoins économiques locaux, elle reste prudente pour le reste. Très courtisée, l’Europe demeure en attente car l’Algérie, avec ses hydrocarbures, possède un atout qui parle.
Les deux parties ont bien pris conscience de l’importance des soutiens extérieurs à leur cause. Il faut donc se montrer, se faire valoir et occuper le champ médiatique. Le conflit au Moyen-Orient avec l’attaque du Hamas sur Israël du 7 Octobre 2023 a eu un impact au niveau des populations.
Rabat qui vient de signer l’accord d’Abraham est naturellement préoccupé.
De son côté, Alger entend en profiter et paraître comme le pays arabe et musulman le plus engagé dans le soutien aux Palestiniens de la bande de Gaza. La possibilité pour son armée de passer par l’Égypte pour aller leur porter secours a même été envisagée.
L’Algérie suit également de près les crises qui secouent l’Afrique et la zone sahélienne. Elle s’y sent d’autant plus concernée qu’elle partage certaines de ses frontières et qu’elle entend être associée à toute évolution qui pourrait impliquer les Touaregs qui se trouvent sur son territoire. Sur le plan interne, les élections prochaines entrainent une certaine nervosité dans les milieux du pouvoir et tous les moyens sont bons pour s’y maintenir. La crise du Sahara Occidental avec le Maroc vient à propos pour permettre d’enflammer son opinion publique.
La France, après sa récente prise de position pour régler le différent, est aussi naturellement l’autre coupable historique tout désigné.
Malgré des approches d’apaisement de Paris, l’Algérie reste arc- boutée sur son opposition systématique à la France dont elle n’arrive pas à s’extraire avec le temps.
Le Maroc et l’Algérie doivent tenir compte de certaines réalités politiques, industrielles et économiques dans leurs relations avec la France.Ils doivent également garder en mémoire l’existence et la pérennité de leur nombreuse diaspora dans l’hexagone.
Complètement insérée dans le monde moderne, à l’écoute des réseaux sociaux, leur jeunesse ne trouve pas toujours sur place le travail correspondant aux études faites et aux diplômes acquis. Elle est donc préoccupée par son avenir au pays ou vers d’autres univers plus propices à son épanouissement. Cruel dilemme que celui d’être écartelé entre rester au pays ou être attiré par un départ à l’étranger plus valorisant et surtout plus rémunérateur. Ainsi, environ 8.000 médecins marocains choisissent d’exercer en France plutôt que de rester dans leur pays qui en a tant besoin.
Quatre-vingts ans après la Libération, la France, le Maroc et l’Algérie demeurent liés par leur passé commun mais encore par la pratique du français.
Après le sang versé qu’il faut savoir garder en mémoire, il faut maintenant compter avec les binationaux mais également avec le sang mêlé des unions inter- communautaires et la génération d’enfants qui en sont issus. Entre les trois pays il existe des échanges culturels, professionnels, mais aussi humains, qui entrainent des flux migratoires, notamment saisonniers.
Gardons encore en mémoire que Daech n’est pas mort et que le djihadisme d’atmosphère demeure sous jacent. Le Sahara Occidental vient s’ajouter à la crise moyen-orientale en entretenant l’exacerbation des passions.
Ces nervosités demandent à être gardées dans le contexte des relations entre l’Algérie, la France et le Maroc.
Elles sont à rajouter à la liste non exhaustive des soubresauts épidermiques qui régissent nos relations.
François Besson,
Membre de l’Académie des Sciences d’Outre-mer