Si l’est une image que l’on retiendra de la réouverture de Notre Dame de Paris, dans sa magnificence retrouvée, ce pourrait être – au moins pour le mécréant quelque peu taquin – celle de ce prêtre qui vint en frapper la porte au risque d’ébranler tout l’édifice ! Mais ce sera surtout, évidemment, celle de cette masse d’officiels applaudissant les vrais héros de cette résurrection. Au premier rang, on y découvrait une brochette de présidents passés, actuels et à venir, dont la notoriété des échecs, des erreurs, bref, de l’incompétence n’échappe à personne, lesquels ovationnaient le talent, la réussite bref, la compétence des « sans grade » auxquels seuls, nous devons l’achèvement de cette œuvre mémorable. Quel contraste et quelle illustration du monde dans lequel nous vivons !
Du « haut » en « bas » de l’échelle dite sociale, la même observation peut être faite que ce soit dans ces grandes entreprises internationales dont maints dirigeants échouent lamentablement avant de se faire grassement payer leurs erreurs patentes avec des parachutes dorés, alors que, dans telle ou telle de ces sociétés des télécommunications ou de l’énergie électrique, au hasard, des petites mains recrutées au rabais ne maîtrisent pas les règles et les principes les plus élémentaires du commerce, tel que : « le client est roi ». Les premiers s’expriment aussi dans un langage de convenance et de connivence qu’eux seuls semblent comprendre, alors que les seconds peinent parfois à exprimer les idées les plus simples par manque de maîtrise de la langue ; et il ne s’agit pas de dénoncer le recours abusif à des employés basés, on ne sait trop où sur la planète, puisque la même défaillance est aussi constatée dans l’expression approximative de nombre d’étudiants dans les universités françaises.
Le secteur public n’échappe pas non plus à la progression continue de l’incompétence puisqu’on y rencontre – si l’on en croit les constatations faites par les magistrats financiers – des cadres qui ignorent les règles de base de la comptabilité, voire des finances publiques. N’entend-on pas encore, et ce n’est pas un détail, des employés de mairie ou de préfecture, prétendre qu’une délibération d’un conseil local n’est pas exécutoire parce qu’elle « n’est pas encore revenue de la préfecture », alors que cette obligation n’existe plus depuis 40 ans, d’après la loi du 2 mars 1982. On pourrait citer à l’envi les exemples de telles défaillances qui altèrent le fonctionnement de la société en profondeur, moins par leur gravité que par leur multiplication.
Si l’artisanat tel qu’il s’est manifesté dans le chantier de restauration de Notre Dame, semble échapper à cette tendance n’est-ce pas parce que dans les métiers dont il s’agit on n’a pas honte de tenir encore et toujours au précepte qui guide l’acte : « L’amour du travail bien fait ». L’ouvrier dont l’œil et la main évaluent sans faiblesse le résultat du travail accompli sait combien la première des récompenses et peut-être la plus précieuse en est la satisfaction personnelle de cet accomplissement. Ensuite seulement viendront les compliments du patron et du client, tout aussi éventuels les uns que les autres. Qui verra durablement tel détail de la sculpture perchée à plusieurs dizaines de mètres de hauteur ? Qui saura avec quelle minutie aura été réalisée telle soudure dissimulée aux regards pour toujours ? Qu’importe, l’individu sait ce qu’il se doit à lui-même envers et malgré tout. Cette exigence première, personnelle, n’est possible que parce qu’un long apprentissage, souvent fastidieux et difficile, a précédé l’acte final. Dominer de bout en bout les difficultés d’un métier dit manuel exige en effet du temps, beaucoup de temps fréquemment plus de dix ans et l’on s’étonne que dans le monde des affaires publiques et privées quelques années, voire quelques mois d’expérience peuvent parfois suffire pour prétendre à des postes dont la rémunération dépasse de loin celle d’un compagnon qui a terminé son Tour de France. Et pourtant, quelle est l’utilité réelle pour la société d’un trader surpayé ou d’un consultant, voire d’un communicant, face à celle de tel ou tel artisan ? Pourquoi tolère-t-on tant d’erreurs et d’approximations dans l’action quotidienne du monde des « services », alors qu’il paraîtrait insupportable qu’un carrossier livre une voiture marquée d’une rayure ou qu’un vitrier ne rende pas parfaitement étanche la fenêtre qu’il répare ?
Cette inversion des valeurs n’a pas toujours été de mise puisque au Moyen-aAge par exemple, les maîtres artisans et leurs ouvriers bénéficiaient souvent d’une notoriété qui n’avait rien à envier à celle des clercs, et ceux qui ont œuvré à Notre Dame en sont les héritiers directs. Pourquoi est-ce donc si difficile, aujourd’hui encore, de convaincre un adolescent doué qu’il a mieux à faire dans un de ces métiers plutôt que de perdre son temps en études dites supérieures et dont les débouchés dans le monde du travail ne sont même pas garantis ? Aussi, il est grand temps qu’on s’efforce de considérer à leur juste valeur ces professions indispensables et pas seulement quand le spectaculaire le dispute à l’utile. Les bavardages des « toutologues » des plateaux de télévision ne suffiront pas à inverser la manœuvre et des efforts collectifs bien plus importants et durables seraient nécessaires malgré ce qui est déjà entrepris. Il n’est pas trop tard pour réussir cette politique-là, celle qui fera de l’horloger expérimenté un personnage respecté et envié, bien plus que celui qui, se prétendant le « maître des horloges » n’est pas parvenu à se mettre à l’heure des nécessités réelles de notre temps. Au moins, si Louis XVI n’a pas non plus brillé par ses réussites politiques, pouvait-il prétendre s’y connaître en horlogerie !
Hugues Clepkens
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