Conférencier, enseignant et journaliste, Matthieu Creson rappelle comment le protectionnisme trumpien (
Depuis son investiture, Donald Trump a décidé d’agir, et vite, sur de nombreux fronts à la fois. Il a raison, à notre sens, de vouloir prendre à bras-le-corps, entre autres problèmes, celui de l’excès de réglementations, qui nuit très fortement à la liberté d’entreprendre. Les États-Unis passent souvent pour être le pays libéral par excellence, or il faut bien voir que la bureaucratie s’y est considérablement élargie sous l’effet du développement de l’État providence depuis les années 1930 et des politiques progressistes de ces dernières années, et même des décennies. Mais, comme nous l’avions déjà signalé dans un précédent article, Trump se fourvoie complètement au sujet du protectionnisme, qui non seulement n’apportera rien de positif à l’économie américaine, mais qui risque même de nuire très sérieusement à celle-ci.
À cet égard, un récent article2 de l’hebdomadaire The Economist nous alerte lui aussi sur les effets délétères qu’aurait une hausse des tarifs douaniers, censés « protéger » l’économie américaine de la concurrence étrangère et permettre une « réindustrialisation » du pays. Plusieurs points peuvent ainsi être mis en avant :
• Tout d’abord, il faut se défaire une bonne fois de cette idée fausse et pernicieuse, d’origine keynésienne, selon laquelle la recherche d’un excédent commercial devrait être un objectif prioritaire des politiques publiques. Pour les keynésiens, en effet, il faut exporter le plus possible, car ce serait là un moyen de stimuler la demande globale. Or ce n’est pas la demande globale qu’il faut stimuler, ce sont les obstacles d’ordre étatique (excès de prélèvements et de réglementations) qu’il faut réduire, voire supprimer—ce que Trump entend aussi faire, il est vrai. « L’attention monomaniaque portée à la balance commerciale, peut-on ainsi lire avec raison dans l’article de The Economist, n’a aucun rapport avec les véritables atouts de l’économie. Il suffit de regarder l’Allemagne et la Chine aujourd’hui, qui affichent toutes deux d’énormes excédents commerciaux et qui sont toutes deux engluées dans une croissance morose.
• Ensuite, il faut voir que l’augmentation des tarifs douaniers ne crée pas d’emplois, contrairement à ce que Trump croit et répète inlassablement. La « protection » que celui-ci a cru apporter à des secteurs comme l’acier et l’aluminium est en réalité une protection en trompe-l’œil : une foule d’entreprises américaines, ayant pâti de l’augmentation du coût des produits dont elles dépendaient, ont ainsi vu leurs revenus et leur compétitivité décroître, avec des conséquences néfastes sur l’emploi. Drôle de manière, comme le souligne avec raison l’hebdomadaire britannique, de vouloir renouer avec un âge d’or de l’industrie américaine…
• En outre, Trump croit naïvement à la possibilité de faire financer les dépenses de l’État par les pays étrangers plutôt que par les Américains : il entendrait ainsi remplacer l’impôt sur le revenu… par les tarifs douaniers. Si vouloir réduire celui-ci pour l’ensemble des citoyens est certes une bonne chose, cette proposition de Trump est à vrai dire complètement démagogique : selon The Economist, l’application d’un tarif de 10% à l’ensemble des importations (tout en supposant qu’elles resteraient au même niveau) permettrait en réalité de financer… à peine plus de 5% du budget fédéral.
• Ajoutons enfin que si certains producteurs bénéficieront sans doute des mesures protectionnistes que Trump a déjà décrétées, ou menace d’adopter, c’est le consommateur américain qui va avant tout en subir les effets négatifs en étant contraint de payer plus cher un même produit. Trump n’est peut-être pas fondamentalement protectionniste, dans le sens où il semble voir la menace de tarifs douaniers comme un moyen de faire pression sur d’autres pays sur un plan géopolitique.4 Reste qu’il existe, en dépit des apparences, et conformément à ce que nous enseigne la théorie économique, une contradiction interne entre l’application de mesures protectionnistes et la défense légitime des intérêts économiques de la nation.
Matthieu Creson