Matthieu Creson, chercheur, enseignant, conférencier, souligne ici les inconséquences du libéral-populisme en général, qui semble avoir la faveur d’une partie des candidats à l’investiture républicaine aux États-Unis, dont Donald Trump. Les républicains devraient plutôt selon lui supprimer le populisme de leur programme économique pour renouer pleinement avec un authentique libéralisme, seule source de prospérité durable au bénéfice du plus grand nombre. Les « Trumponomics » sont pour lui intrinsèquement contradictoires ; mieux vaudrait s’inspirer des « Reaganomics », qui conservent toute leur actualité.
Un article1 des Echos nous apprend que Donald Trump, candidat à la présidentielle de 2024 et dont le mot d’ordre est comme on sait America First, n’entend pas seulement freiner les importations chinoises – il avait taxé 200 milliards2 d’importations chinoises en 2018 –, mais les importations tout court : il s’est en effet dit, fin août 2023, favorable à un droit de douane minimal universel sur l’ensemble des importations. « Je pense que quand les entreprises viennent et débarquent leurs produits aux Etats-Unis, elles devraient payer automatiquement, disons une taxe de 10 % », a déclaré le 45e président des États-Unis, ainsi que le relate le journal Les Echos.
Le protectionnisme commercial trumpien n’est donc pas seulement une manière de s’opposer aux pratiques déloyales de la Chine comme le vol de la propriété intellectuelle3 : pour l’ancien président, les entreprises qui exportent aux États-Unis nuisent nécessairement aux entreprises américaines.
C’est là un préjugé qui montre que Trump ne comprend pas ce que l’enrichissement des États-Unis au XXe siècle doit à la mondialisation libérale.
Comme l’a souvent rappelé l’économiste Pascal Salin4, l’échange implique que chacune des parties y trouve son intérêt, sans quoi l’échange n’aurait tout simplement pas lieu. Trump fait ainsi erreur lorsqu’il parle d’entreprises étrangères « débarquant leurs produits aux États-Unis ». Les sociétés étrangères qui exportent leurs produits aux États-Unis n’obligent aucunement ceux-ci à acheter ceux-là : si importations il y a, c’est parce qu’il existe de toute évidence une demande pour ces produits. Imposer un droit de douane minimal universel sur toutes les importations est donc une aide en trompe-l’œil : comment Trump peut-il ne pas voir que la mesure protectionniste qu’il voudrait instaurer s’il était réélu aurait pour effet de nuire à l’intérêt du consommateur américain, ainsi contraint de payer plus cher le même produit ? Trump serait bien avisé de lire Frédéric Bastiat (notamment les Sophismes économiques), l’une des références marquantes de Reagan5 : il y trouverait la meilleure démonstration de la stupidité et de la nocivité du protectionnisme sans doute jamais écrite, y compris6 lorsque les autres pays érigent des barrières douanières. Bastiat montre en effet comment le protectionnisme ne fait qu’avantager un petit nombre de producteurs, lésant les consommateurs dans leur totalité. (Voir Pascal Salin, Libéralisme, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 50.) Dans les Sophismes (« Réciprocité »), Bastiat imagine que la ville de Stulta, entendant lutter contre l’importation de produits venant de la ville de Puera, mette sur pied un corps d’Enrayeurs (ibid.). Un vieillard de Puera déclare ainsi : « Les obstacles créés par Stulta nuisent à nos ventes, c’est un malheur. Ceux que nous avons créés nous-mêmes nuisent à nos achats, c’est un autre malheur. Nous ne pouvons rien sur le premier, mais le second dépend de nous. Délivrons-nous au moins de l’un, puisque nous ne pouvons nous défaire des deux. Supprimons nos Enrayeurs sans exiger que Stulta en fasse autant. Un jour sans doute elle apprendra à mieux faire ses comptes. » (Cité dans ibid.) Cette fable7 de Stulta et Puera vaut encore de nos jours, et il est regrettable que les libéraux-populistes actuels ne la connaissent pas. Car s’ils la connaissaient, et s’ils en tiraient les conclusions qui s’imposent, ils prôneraient une politique économique et commerciale qui serait bien plus cohérente, en ce qu’elle serait pleinement libérale.
Ne soyons pas dupes du populisme protectionniste, qui, en privilégiant quelques-uns (une poignée de producteurs) au détriment du plus grand nombre (les consommateurs), ne fait que donner l’illusion de servir l’intérêt du pays, alors qu’il le dessert très largement dans la pratique.
Le libéral-populisme, dont se réclament plusieurs candidats à l’investiture républicaine aux États-Unis, est donc une contradiction dans les termes qui ne s’explique que parce qu’il semble être politiquement payant aux yeux de leurs partisans, même s’il constitue un non-sens économique.
On peut comprendre que les États-Unis veuillent défendre avant tout leurs intérêts – c’est le propre de chaque pays. Mais il ne faut pas que les tenants du America First oublient que l’échange est par définition mutuellement avantageux. Il serait souhaitable qu’ils rompent avec leurs préjugés néo-mercantilistes et reviennent aux fondamentaux du libéralisme en défendant la liberté économique sous toutes ses formes.
Matthieu Creson
Chercheur, enseignant, conférencier
7 https://www.institutcoppet.org/stulta-puera-fable-de-frederic-bastiat-1845/
Photo : Joseph Somh/Shutterstock.com