L’intelligence artificielle (IA) est au cœur d’une compétition mondiale, et l’Europe doit agir pour ne pas rester à la traîne face aux investissements massifs des États-Unis et de la Chine. Lors du sommet sur l’IA à Paris en février 2025, Emmanuel Macron a annoncé un plan d’investissement de 109 milliards d’euros en IA pour la France, soulignant l’urgence d’une réponse coordonnée et ambitieuse de la part de l’Europe.Sans sursaut, l’Europe risque un décrochage technologique irréversible marquant notre déclin.
Course à l’IA : L’Europe face au Duo USA-Chine
Les chiffres illustrent sans équivoque l’ampleur du défi auquel l’Europe est confrontée, face aux deux pôles américains et chinois. D’un côté, le plan « Stargate » américain, soutenu par une volonté politique forte et doté d’un budget colossal de 500 milliards de dollars, vise à dominer l’IA à l’échelle mondiale. Ce projet ambitieux repose sur une collaboration étroite avec des géants de la tech tels que SoftBank, OpenAI et Oracle. Il prévoit le développement d’infrastructures massives, y compris des centres de données abritant des milliers d’ordinateurs surpuissants, tout en attirant les meilleurs talents du monde.
De l’autre côté, le projet chinois DeepSeek, bien que moins coûteux (estimé à 6,5 millions de dollars), rivalise d’ingéniosité en adoptant une stratégie différente, axée sur l’efficacité et l’optimisation des ressources. Cette approche utilise des machines moins puissantes avec des logiciels plus performants, remettant en question la course à la taille et à la puissance brute prônée par les Américains.
Elle démontre qu’il est possible d’obtenir des résultats significatifs avec des moyens plus limités.
Face à ces géants américains et chinois, l’Europe risque de se contenter d’être un simple spectateur de cette révolution technologique, se limitant à consommer des solutions d’IA développées ailleurs. En effet, les investissements européens, bien que significatifs et en constante augmentation, restent encore modestes et fragmentés. Cela pourrait nuire à sa compétitivité, sa souveraineté et son influence sur la scène internationale. Si elle ne réagit pas avec force, cohérence et détermination, elle pourrait se retrouver marginalisée, incapable d’influer sur les orientations et enjeux de cette technologie transformative qui façonnera le monde de demain.
Réglementation Européenne : Bouclier ou Carcan pour l’IA ?
Consciente des défis et des risques liés au développement de l’IA, l’Europe a privilégié la réglementation avec l’adoption de l’AI Act. Cette approche vise à établir un cadre juridique harmonisé pour encadrer l’IA et son utilisation, qui pourrait devenir un argument de différenciation majeur. En promouvant une IA éthique, transparente et respectueuse des valeurs fondamentales telles que la dignité humaine et la protection des données personnelles, l’Europe cherche à se démarquer des géants américains et chinois, qui privilégient une approche moins régulée. Par exemple, l’AI Act interdit l’utilisation de systèmes d’IA qui emploient des techniques subliminales pour manipuler le comportement des utilisateurs.
Cependant, cette réglementation, si elle est trop stricte et mal adaptée aux spécificités du secteur, risque d’étouffer l’innovation. Elle pourrait freiner le développement des startups européennes et inciter à la délocalisation vers des zones réglementaires plus souples. Le « paradoxe de l’Europe » réside dans cette volonté de protéger les valeurs fondamentales tout en risquant de sacrifier l’innovation et la compétitivité. L’exemple du projet chinois DeepSeek, qui a démontré qu’il est possible d’obtenir des performances comparables aux modèles américains avec des moyens modestes, souligne l’importance de ne pas entraver l’innovation.
Il est donc impératif de trouver un équilibre entre la nécessité d’encadrer les risques liés à l’IA et celle de ne pas brider l’innovation et la compétitivité des entreprises.
L’IA Européenne : L’heure du Réveil
Face à l’ampleur des enjeux, l’Europe doit sortir du triptyque simpliste où les États-Unis innovent, la Chine copie et l’Europe réglemente. Il est temps de provoquer un véritable « réveil européen », de prendre conscience de l’urgence de la situation et de se doter d’une stratégie ambitieuse et cohérente pour l’IA. Le sommet de Paris sonne comme un appel à l’action, avec des annonces d’investissements massifs et la volonté affichée de faire de la France un leader en matière d’IA.
Cependant, les paroles doivent se traduire en actes concrets pour que l’Europe maintienne son ambition technologique.
Il est indispensable de se lancer dans un projet aussi ambitieux que la construction d’un véritable « Airbus de l’IA. ». Cela nécessitera une action coordonnée à de nombreux niveaux, mobilisant les ressources financières, humaines et technologiques disponibles. Établir une filière européenne dédiée à la production de puces IA, afin de réduire notre dépendance vis-à-vis des fournisseurs étrangers, est une étape cruciale. Ensuite, il sera essentiel de favoriser des partenariats public-privé ambitieux, inspirés du modèle des DARPA américaines, pour dynamiser le financement de la recherche et de l’innovation. Enfin, un écosystème fiscal avantageux devra être mis en place pour attirer les investissements et les talents. Il est temps d’agir, de mobiliser toutes les forces vives de l’Europe et de se donner les moyens de réussir. L’avenir de l’Europe est en jeu, et il dépend de notre capacité à saisir les opportunités offertes par l’IA tout en construisant un modèle performant, éthique et respectueux de nos valeurs.
Clément Pérrin, Secrétaire général du Millénaire, think-tank spécialisé en politiques publiques, et co-auteur de la note « IA : Europe vers un décrochage ou un sursaut ? »
Bastien Enjalbert, Analyste du Millénaire sur les questions technologiques et d’innovation et co-auteur de la note « IA : Europe vers un décrochage ou un sursaut ? »