En amont de la nouvelle édition du Printemps des Technologies à Saint-Raphaël qui a lieu les 21 et 22 mars, nous sommes partis à la rencontre de grands témoins qui y interviendront. Ils nous apportent leur regard sur la technologie.
Revue Politique et Parlementaire – Quelle géographie a le cyber ?
Marc Watin-Augouard – Le cyberespace a été conçu sans frontière. En choisissant une organisation « distribuée », les pionniers ont créé la « toile » qui assemble plus de 120.000 réseaux autonomes (autonomous system) liés entre eux par des protocoles de frontière (BGP). Cette interconnexion ne correspond pas nécessairement aux frontières westphaliennes. Cependant, certains Etats, notamment totalitaires, ont limité les points d’accès pour mieux contrôler les contenus véhiculés. Aujourd’hui se manifeste un risque de « splinternet », c’est-à-dire de repli derrière les frontières. C’est la tentation de Runet, en Russie, de la muraille électronique de Chine. La Corée du Nord et l’Iran sont relativement coupés du monde. Il y a donc une géographie politique du cyberespace, une géographie des câbles sous-marins, de la couverture satellitaire, une géographie des terres rares (on le voit actuellement avec l’Ukraine), une géographie des semi-conducteurs. Ajoutons la géographie des espaces où une régulation est en marche (je pense à l’Union européenne), tandis que d’autres s’orientent vers une dérégulation (les USA avec l’administration Trump), alors que certains Etats appliquent un contrôle absolu et intrusif. Derrière la géographie, il y a une géopolitique.
RPP – Comment perçoit-on le cyber ? A quoi l’associons-nous ?
Marc Watin-Augouard – Nous considérons à tort le cyberespace comme un espace immatériel, invisible. C’est vrai pour la « couche logique » (software), pour la couche « cognitive », mais on oublie que tout repose sur des équipements. Il y a une couche « matérielle » (le hardware). Il n’est pas nécessaire d’être un hacker chevronné pour perturber le fonctionnement d’internet. Les ruptures de câbles sous-marins, les sabotages de fibres optiques ou les incendies d’antennes 5G suffisent à montrer la fragilité d’un réseau qui fait globalement preuve de résilience, mais qui peut aussi être fortement perturbé régionalement. Nous ne percevons pas toujours le danger là où il est. Par ailleurs, le cyberespace est difficilement perceptible, car il conjugue infiniment grand (340 milliards de milliards de milliards de milliards d’adresses IP), infiniment rapide (un milliard de milliards de calculs à la seconde avec un exaflop), infiniment petit (une gravure des semi-conducteurs proche des 2 milliardièmes de mètre). Le cyber échappe à nos sens, à nos référentiels habituels. L’informatique « en nuage » contribue au mystère. L’immatériel nous conduit parfois à ignorer les risques faute de pouvoir les imaginer avec précision.
RPP – De quelle façon peut-il participer à renforcer le lien de confiance entre les parties prenantes ?
Marc Watin-Augouard – Le mot « confiance » sera sans doute le maître-mot du XXIème siècle. Plus nous entrons dans une société hyperconnectée, plus internet devient un intermédiaire opaque, plus il faut retrouver les voies de la confiance : confiance dans les équipements, dans les objets connectés, dans les identités numériques, dans le cloud, dans l’IA, dans les applications, dans les contenus, etc. D’où le développement du zero trust , principe selon lequel pour avoir confiance je dois d’abord ne pas faire confiance et exiger que chaque équipement que chaque individu, que chaque application produise une preuve qui justifiera ma confiance. C’est le thème central du prochain Forum InCyber, dont je suis le fondateur et qui se déroulera à Lille du 1 au 3 avril.
Marc Watin-Augouard
Fondateur du Forum InCyber (FIC)
Propos recueillis par Mathilde Aubinaud