À l’heure où, selon le ministère de l’Intérieur, les Français juifs (soit moins de 1 % de la population) subissent 60 % des agressions en raison de la religion, il m’arrive d’exprimer ma solidarité à ceux que je peux croiser et qui ont eu à subir des agressions verbales ou physiques. À chaque fois, je suis stupéfait de leur reconnaissance, car, en manifestant ma compassion, je ne sauve personne et je n’accomplis aucun exploit héroïque. Jamais je n’aurais imaginé susciter une quelconque gratitude pour un soutien qui est, à mon sens, évident. Je soutiens en effet par principe un compatriote juif victime de violence, comme je soutiendrais n’importe quel autre compatriote qui viendrait à être discriminé parce qu’il est chauve, noir, philatéliste, bouddhiste, homosexuel, soufiste, handicapé, adorateur de la licorne rose invisible ou en surpoids. Au même titre que les Français ultramarins, que les Français de souche européenne ou que les Français de désir (naturalisés), les Français juifs sont mes frères en République et en Francité. D’ailleurs, leur judéité m’indiffère, elle m’indiffère tant qu’elle ne constitue pas un prétexte utilisé par des malfaisants pour s’en prendre à eux.
L’effroyable singularité du bien
Le fait qu’en 2025 un Français juif soit bouleversé et témoigne ses remerciements suite à une simple manifestation de solidarité à son égard – comme si c’était l’exception et non pas la règle – est le signe indubitable que l’antisémitisme se réenracine profondément dans la société française. C’est aussi le signe que les Français juifs se sentent affreusement seuls et abandonnés par la nation française depuis le pogrom du 7 octobre et l’explosion des agressions antisémites qui a suivi.
À propos des actes du génocidaire nazi Eichmann, Hannah Arendt évoquait une effroyable « banalité du mal ». En ce qui concerne la solidarité à l’égard des Français juifs stigmatisés aujourd’hui, il conviendrait plutôt de parler d’effroyable singularité du bien, tant la mobilisation pour les soutenir est faible et sporadique. À cet égard, force est de constater que le premier des Français lui-même a envoyé un bien mauvais signal par son absence « inexplicable » et « inexcusable » à la marche pour la République et contre l’antisémitisme du 12 novembre 2023, alors qu’on l’avait connu bien plus engagé et réactif en d’autres circonstances tragiques. Aurait-il préféré être injuste plutôt qu’un juste ?
Triangle des Bermudes et « sentiment d’antisémitisme » »
Alors, la France serait-elle devenue antisémite ? Absolument pas ! Certes, l’antisémitisme est sorti du ghetto soralien et a désormais pignon sur rue (de l’Université) avec un parti politique antisémite qui siège à l’Assemblée nationale ; certes, certains élus et responsables politiques de ce parti sont déats d’admiration devant les exactions du Hamas et alimentent ainsi un antisémitisme d’atmosphère qui est le pendant du « jihadisme d’atmosphère » évoqué par Gilles Kepel… Cependant, les conversions politiques à l’islamo-gauchisme dans la population française ne fédèrent qu’une minorité constituée d’incultes (ou d’un culte), d’étudiants manipulés et d’intellectuels post-staliniens ; autant de judéophobes autrefois honteux, mais qui peuvent enfin aujourd’hui exhiber à loisir leur judéophobie sous couvert d’antisionisme. L’antisionisme, c’est le string des antisémites d’extrême-gauche : il peine à dissimuler les poils… de barbe des salafistes.
Quant à la majorité des Français, alors qu’elle sort à peine de la sidération engendrée par la crise de la COVID, voilà que le gouvernement et les médias lui teasent une guerre potentiellement apocalyptique contre la Russie (« Celui qui contrôle la peur des gens devient le maître de leur âme » écrivait Machiavel).
Ajoutons à cela une inflation incontrôlée et on comprendra aisément que, dans un tel contexte anxiogène, la montée de l’antisémitisme soit perçue comme une information secondaire et non une urgence.
En outre, faire de la lutte contre l’antisémitisme résurgent une cause nationale reviendrait, pour ceux qui nous gouvernent, à admettre leur échec total en la matière, puisqu’ils n’ont pas su le prévenir et pas osé le combattre réellement. L’antisémitisme, avec l’immigration et l’insécurité, c’est le Triangle des Bermudes de la politique : les élus qui veulent surnager durablement dans le marigot politique ne s’y aventurent pas car il suffit d’une accusation de racisme ou d’islamophobie pour couler définitivement une carrière ! Bientôt, comme l’insécurité, l’antisémitisme sera décrété « sentiment » et, « en même temps » que la poussière, on le mettra sous le tapis (de prière).
Un canari, des cosplayers et un pasteur
Sur ce sujet de l’antisémitisme, il convient de remettre, si j’ose dire, la synagogue au centre du village. La parabole du canari dans la mine est largement connue : tout comme le petit oiseau prévient les mineurs de l’imminence d’un coup de grisou (à l’odeur indétectable par l’homme), la situation des juifs dans une société est un indicateur du niveau de démocratie, de liberté d’expression et de tolérance dans cette société. Quand le canari ne chante plus parce qu’il s’étouffe, cela signifie que l’explosion meurtrière dans la mine est proche ; quand de plus en plus de Français juifs font leur aliyah (donc préfèrent partir dans un pays étranger en guerre où ils se sentent plus en sécurité que chez eux en France), c’est que la République et ses valeurs héritées des Lumières sont moribondes et qu’un totalitarisme politico-religieux menace toute la population, toute la population et pas seulement les Français juifs. L’ouïe engourdie par les bruits de bottes fantômes que veulent absolument nous faire entendre les idiots utiles (politiques, médiatiques et culturels) de l’islamisme conquérant, nous ne sentons pas l’odeur de cendres des autodafés à venir.
C’est pourquoi, à l’heure où des cosplayers cagoulés – imitant à s’y méprendre les miliciens du Hamas – pénètrent dans une enceinte universitaire et chassent un enseignant de l’amphi en psalmodiant le mot « sioniste » (comme s’il justifiait toutes les exactions), l’ensemble des Français ferait bien de méditer la fameuse tirade du pasteur allemand Martin Niemöller, tirade que je me permets, toute révérence due, de paraphraser :
Quand ils sont venus chercher les Juifs, je n’ai rien dit, je n’étais pas Juif.
Quand ils sont venus chercher les dessinateurs, je n’ai rien dit, je n’étais pas dessinateur.
Quand ils sont venus chercher les profs, je n’ai rien dit, je n’étais pas prof.
Quand ils sont venus chercher les femmes, je n’ai rien dit, je n’étais pas une femme.
Quand ils sont venus chercher les homosexuels, je n’ai rien dit, je n’étais pas homosexuel.
Quand ils sont venus chercher les apostats, je n’ai rien dit, je n’étais pas apostat.
Quand ils sont venus chercher Boualem Sansal, je n’ai rien dit, je n’étais pas écrivain.
Puis, ils sont venus me chercher. Et il ne restait personne pour protester.
Marc Hellebroek