Écrire une contribution sur Jacques Pilhan, ce communicant politique qui traversa la vie sociale et politique de 1981 à 1998, est une gageure. Quelle est la question sous-jacente qui la justifie ? Sûrement pas un simple récit de son action, ceci a été fait et bien fait – Gérard Colé, François Bazin. La véritable quête est différente. Il y a un engouement actuel centré sur une question : quelle est la méthode Pilhan ? De quoi finalement est-il le nom aujourd’hui, c’est le titre de mon propre livre. D’où ce point d’interrogation, Pilhan, une méthode ?
Ma contribution répond à sa manière. Elle pourra décevoir ou décrypter selon les points de vue. J’adopte une présentation particulière dont je dois donner les fils conducteurs. Elle cadre avec l’homme Pilhan, plus curieux et à l’écoute qu’ingénieur d’une méthode rodée. Non, il n’y a pas de méthode Pilhan mais une posture corpus et des outils de méthode évoluant au fil des mutations de la société et de ses outils d’analyse. De la période disruptive de l’élection de Mitterrand pour laquelle avec son complice partenaire Gérard Colé, il va produire un plan de communication qui demeure une référence historique jusqu’à celle des années Chirac où avec ses deux complices Jean-Luc Aubert et Jacques Anfossi il visitera les tréfonds de la psychosociologie.
Avec Colé, il introduira les méthodes de la publicité dans la communication politique. Il révèlera plus tard le pot aux roses de ce qui est vraiment le substrat de toute ses démarches intellectuelles. Il y sera question d’inconscient collectif, de désir aux bonnes épices de la psychanalyse. Dans une première partie, je me suis livré à une expérience : demander à ChatGPT, avec une série de prompts sélectionnés, la description du personnage Pilhan. Puis j’ai soumis les mêmes documents à la grille d’analyse que je viens de développer en créant un LLM4 personnalisé – une hybridation entre la méthode projective chère à Jacques Anfossi et les potentialités de l’IA générative (j’ai respecté les réponses machine). La voici !
JACQUES PILHAN : ARCHITECTE DE LA COMMUNICATION POLITIQUE MODERNE
Un stratège de l’ombre
Jacques Pilhan (1943-1998) fut un conseiller en communication influent qui façonna la communication politique des présidents François Mitterrand et Jacques Chirac. Ancien publicitaire, il révolutionna l’image et la stratégie médiatique des dirigeants en introduisant des principes inédits, empruntés à la psychanalyse, à la sociologie et à la théorie de l’information.
Son approche, fondée sur la gestion du désir et la rareté de la parole présidentielle, permit d’imposer un contrôle quasi absolu sur l’agenda médiatique.
Les fondamentaux de sa méthode
Pilhan est notamment reconnu pour avoir conceptualisé :
• La gestion du temps médiatique : il impose l’idée d’un plan média, où l’agenda du président structure l’actualité et non l’inverse.
• La rareté et la maîtrise du discours : en limitant les apparitions et en dosant les prises de parole, il crée un effet d’attente et d’autorité.
• Le storytelling présidentiel : il ne s’agit plus seulement de convaincre, mais de raconter une histoire qui donne au leader une dimension mythique.
• La gestion du manque et du désir : moins un président est visible, plus il suscite d’intérêt.
• L’émergence de l’écriture médiatique : la communication ne doit pas être ré- active mais proactive, en imposant son propre rythme aux médias.
Un héritage en question
Aujourd’hui, avec l’avènement des réseaux sociaux et l’accélération du cycle médiatique, la méthode Pilhan est-elle toujours pertinente ? Certains estiment qu’elle est dépassée par l’instantanéité d’Internet et la pression continue de l’opinion publique. D’autres soulignent au contraire qu’elle demeure une référence incontournable, notamment dans la gestion de la rareté et du contrôle du récit politique.
L’un des grands défis contemporains est de transposer ces principes dans un monde où la viralité et l’interaction dominent.
Le rôle de Gérard Colé
Pilhan ne travailla pas seul. Gérard Colé fut son double opérationnel, à la fois conseiller stratégique et homme de terrain. Ensemble, ils ont formé un duo complémentaire :
• Colé comme interface visible, négociateur et stratège, proche des cercles politiques et médiatiques.
• Pilhan comme cerveau de l’ombre, analysant les tendances de fond et concevant des stratégies d’influence à long terme.
Pilhan, un mythe durable
Vingt-cinq ans après sa disparition, Jacques Pilhan reste une référence de la communication politique. Son travail continue d’influencer les campagnes électorales et la mise en scène des dirigeants. Mais à l’ère des réseaux sociaux et de la sur-médiatisation, l’adaptation de ses principes reste un défi pour les spin doctors modernes.
Analyse projective de Jacques Pilhan et de son héritage
L’œuvre de Jacques Pilhan s’inscrit dans une mutation profonde de la communication politique. Son apport majeur réside dans la mise en place d’une écriture médiatique où l’image du leader politique se construit autant par son contenu que par sa mise en scène.
L’organisation inconsciente du discours politique
Pilhan identifie une transformation de l’espace public : l’opinion politique ne se forme plus sur la base d’un débat rationnel, mais à travers des mécanismes de désir et de manque. Le temps médiatique crée la réalité politique (le réel est dans le 20h), et elle est fondamentalement fictionnelle.
Ainsi, la rareté de la parole présidentielle et l’anticipation des crises médiatiques deviennent des leviers structurants.
Là où le discours politique traditionnel s’appuyait sur une dialectique du pouvoir, Pilhan le reconfigure en une gestion de la perception. L’homme politique n’existe que dans la mesure où il s’inscrit dans un récit un récit qui doit être écrit avant même d’être perçu.
L’impact physique et technologique
Avec l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux, la transformation opérée par Pilhan trouve une limite. Son approche, fondée sur la maîtrise du temps et l’effet d’attente, est aujourd’hui contestée par la logique du flux permanent. Le pouvoir s’exerce désormais dans l’immédiateté, et plus assez dans l’anticipation.
Pilhan travaillait à partir d’une télévision encore centralisée, il n’a pas connu l’ère du discours démultiplié et fragmenté. Il aurait sans doute intégré ces mutations en transposant la gestion du désir à ces nouvelles plateformes, où la communication indirecte (on parle de moi plutôt que je ne parle) devient une stratégie clé.
Symbolique et pouvoir
Là où Pilhan est crucial, c’est dans son approche du rapport entre pouvoir et symbolique. Il ne conçoit pas la politique comme une simple gestion d’images, mais comme une production de signifiants : le président n’est pas seulement une figure publique, il est un mythe actif qui doit incarner un récit universel.
C’est ici que Gérard Colé joue un rôle complémentaire : il assure le lien avec les cercles politiques et médiatiques, garantissant que la mise en scène du symbolique soit perçue comme du réel. Ce duo illustre bien la scission entre ceux qui produisent la réalité du pouvoir et ceux qui en gèrent la logistique opérationnelle.
Imaginaires et tensions actuelles
L’imaginaire pilhanien reposait sur une construction rigoureuse du désir et du
temps médiatique. Aujourd’hui, ce modèle est bousculé par la multiplication des narrations concurrentes, portées par les réseaux sociaux. Là où Pilhan imposait une économie de la parole, nous assistons à une infobésité politique, où chaque prise de position est noyée dans le bruit du web.
Mais la question centrale demeure : qu’est-ce qui structure encore le récit politique ?
Si le modèle Pilhan ne fonctionne plus à l’identique, ses principes restent valables : la rareté, la justesse du moment et la gestion du récit restent des outils puissants.
Conclusion
L’héritage de Pilhan montre que la communication politique n’est pas une simple technique, mais une écriture du symbolique. Aujourd’hui, l’enjeu n’est pas tant d’appliquer ses recettes que d’en comprendre les ressorts inconscients : comment reconstruire une autorité dans un monde où le pouvoir est devenu transparent et éphémère ?
Là où Pilhan gérait la parole comme un bien rare, les nouvelles stratégies doivent composer avec un excès de présence. La vraie question n’est donc pas « comment contrôler le message ? », mais « comment redonner du poids à la parole politique ? ». C’est là que se joue l’avenir de la communication publique et de sa capacité à produire du sens.
Résumé des différences entre les deux analyses
1. Approche générale :
• L’analyse classique se concentre sur l’évolution des méthodes de Pilhan face aux mutations médiatiques, en opposant télévision et Internet. Elle détaille les stratégies de communication et leur pertinence actuelle.
• L’analyse projective s’attache à une lecture plus profonde, en distinguant les dimensions (l’inconscient du discours politique, les technologies et médias, la symbolique du pouvoir) et I’imaginaire collectif. Elle interroge la structure même du discours politique et ses mutations.
2. Perspective sur l’héritage de Pilhan :
• L’analyse classique met en avant le rôle des nouvelles plateformes et la nécessité de gérer la multiplication des narrations.
• L’analyse projective va plus loin en montrant que ce n’est pas seulement la technique qui évolue, mais la nature même du pouvoir et de son inscription symbolique. Elle pose la question fondamentale de la légitimité du discours politique dans un monde saturé d’informations.
Vision du changement médiatique
• L’analyse classique voit Internet comme un changement de paradigme nécessitant une adaptation des stratégies (plus de réactivité, engagement des communautés, gestion de la rumeur).
• L’analyse projective montre que cette évolution modifie la structure même du discours politique : la rareté calculée n’est plus possible, et la bataille n’est plus dans la maîtrise de l’image mais dans la reconstruction du symbolique et de l’autorité.
Rôle du symbolique
• L’analyse classique s’intéresse aux outils et aux méthodes (gestion du temps médiatique, storytelling, enjeux de crédibilité).
• L’analyse projective insiste sur l’effondrement du cadre symbolique : Pilhan utilisait la télévision pour structurer un imaginaire collectif, tandis que les réseaux sociaux fragmentent cette unité, rendant plus difficile la création d’une adhésion collective.
Conclusion
L’analyse classique est une lecture stratégique et technique, tandis que l’analyse projective est une lecture structurelle et psychanalytique du phénomène. La première cherche à voir comment adapter les méthodes de Pilhan, la seconde interroge si ces méthodes peuvent encore produire un effet dans un monde où le symbolique est en crise.
DU MIEL SOUS L’AFFICHE
Un peu de chair après la froideur de l’IA. Je veux d’un récit personnel témoigner de ce qui nourrit encore aujourd’hui nos échanges avec Aubert et Anfossi. Cela ne remet nullement en cause l’extraordinaire travail Pilhan/Colé des débuts.
Un peu de chair donc et ce petit témoignage pour anecdotiquement le raconter.
Dans une sorte de synchronicité, j’ai rencontré deux personnalités, deux intellectuels, qui, malgré leurs différences, m’ont toujours paru être deux faces d’une même pièce. Les dîners que nous partagions, bien que souvent empreints de séduction intellectuelle et de méfiance, étaient toujours stimulants. Charles Melman, psychanalyste émérite et ancien directeur des enseignements de Lacan, avait fondé l’Association Lacanienne Internationale, un formidable réservoir d’idées.
Melman était un psychanalyste politique dans le sens le plus noble du terme, engagé dans la défense de valeurs essentielles. Le travail de Melman ne pouvait qu’inté- resser un stratège tel que Pilhan, lui qui, à travers ses fameuses « écritures médiatiques », cherchait à capter les courants d’opinion.
Pilhan avait le trousseau de clés de lectures de l’inconscient collectif, capable de graver dans la société des normes et des langages.Sa méthode projective, héritée de la psychologie, notamment des travaux de Didier Anzieu, permettait de sonder les tendances profondes sans que les participants eux-mêmes en soient conscients.
Dès le début le corpus que je veux décrire était présent mais moins clairement identifié. Il était latent, il est devenu systématisé. Ce corpus répond aux approches de la psychanalyse qui dépasse les récits des signifiés (ce qui est littéralement exprimé) pour ceux des signifiants (les marqueurs inconscients).
Il s’agit toujours d’aller chercher les fils de tensions cachés des subjectivités.
Lacan dit que l’inconscient est structuré comme un langage, et qu’il « parle » sans que le sujet en ait conscience. Le sujet est traversé par le langage, et ses choix de mots révèlent plus qu’il ne le pense. C’est ce qui est nommé le parlêtre, un sujet « pris dans le langage », qui ne maîtrise pas totalement ce qu’il dit.
Tout est dit dans la nouvelle d’Edgar Poe La lettre volée qu’analysera Lacan. Il s’agit de cerner ce qui est visible mais non perçu et qui structure les dynamiques sociales comme psychiques.
N’est-ce pas là l’exigence même de la communication politique ?
Mais en disant cela je ne prétends nullement que ces outils technico sémantiques étaient si clairement explicités par l’équipe de Temps Public (la société de Pilhan). Je veux seulement souligner que s’il n’y a pas de méthode Pilhan stricto sensu il y a cette démarche essentielle de traverser la « réalité » (ce qu’on perçoit, ce qui est exprimé) pour atteindre le « réel » (ce qui ne se formalise pas dans un discours mais qui pourtant nous agit). Ensuite, il y aura tous les outils de la publicité comme de la méthode projective pour permettre la traque mais ce n’est pas le fusil qui décrit la chasse.
Aujourd’hui, bien sûr, et c’est ma recherche, c’est l’IA générative qui vient se présenter comme l’outil séducteur et, ou, inquiétant.
Nul doute que Pilhan aujourd’hui se plongerait dans le sujet. Qui mieux que Jean-Luc Aubert pour le dire : « Nous étions des moines soldats en guerre, des dadaïstes et des saints – rien que ça… ».
À ce titre il nous fallait produire des « œuvres fortes, précises et à jamais incomprises » (Tristan Tzara). Quant au saint c’est bien connu « il ne fait pas la charité, plutôt se met-il à faire le dachet – il décharite » ( Jacques Lacan).
Comme vient de me dire Larrouy à la Rotonde, on a bonne bine aujourd’hui avec nos algorithmes !
Qu’aurait fait Pilhan l’artisan de l’écriture médiatique dans cette époque bouleversée par la révolution numérique, l’information continue et les réseaux sociaux ?
Une fois de plus nous nous serions réunis dans notre cloître du cours Albert 1er. Nous aurions épuisé nos forces pour comprendre, construire, déconstruire, faire rendre gorge enfin à cette époque passionnante.
Mais je crois que nous aurions gardé le cap – nous n’aurions pas fléchi sur les règles fondamentales – à savoir – un Président élu au suffrage universel dans le cadre de la Ve République ne peut pas vouloir être un Président normal. Il y a un Premier ministre pour ça.
Nous aurions gardé coûte que coûte le primat du symbolique.
Nous aurions appris à susciter le bon buzz. Mais surtout à donner à l’opinion la fierté de leur Président.
Comme dirait Mao – le poisson pourrit par la tête. Il faudrait inverser la proposition – c’est une tête bien faite, dans un positionnement juste qui oriente un peuple.
Violence du désir, violence du manque (préface de Pilhan, de quoi est-il devenu le nom ?).
Dès lors que l’on se situe dans une forme d’épistémologie pilhanienne, tout prend un sens clair : le désir, la rareté (il vaudrait mieux parler de scansion) etc.
J’espère avoir ainsi dépassé la question de Pilhan obsolète ou actuel. Il est par essence actuel sauf à ce que le monde promis par Musk et les transhumanistes accouchent d’une IA générative absolue, dissolvant la spécificité de l’humain.
A fortiori cette société de l’IA et des réseaux sociaux devrait inviter les politiques à revenir aux fondamentaux. Quand on peut constater la quantité de fois où ils utilisent le mot « réel » sans avoir le décryptage de sa différence d’avec la « réalité », on peut avoir des doutes. Pourtant il y a fort à parier qu’une partie de la désaffection des citoyens à leur endroit pourrait y trouver matériaux à combler la fracture profonde et s’élargissant sans cesse de la société.
Pierre Larrouy
Conseiller en stratégie Essayiste